lundi 25 mai 2009

Augé de Lassus :"Aux pyramides, la ruse fut associée à la force"



L'homme de lettres, librettiste de Camille de Saint-Saëns, Lucien Augé de Lassus (1841-1914), fut aussi un passionné de voyages.
Voici quelques extraits du chapitre consacré aux pyramides, de son Voyage aux sept merveilles du monde, publié en 1878:

"Vues à distance, les grandes pyramides semblent intactes ; on les prendrait pour des montagnes d'une parfaite régularité de forme ; mais l'action des siècles ou plutôt les ravages de l'homme se révèlent dès qu'on approche. L'ignorance brutale et sotte, l'avarice, toujours en quête de richesses imaginaires, se sont acharnées sur ces monuments mystérieux.
Plus ils étaient puissants, plus ils dépassaient la taille ordinaire des choses humaines, et plus on supposait merveilleux les trésors qu'on y disait enfermés. On les viola, on s'ouvrit de vive force accès jusqu'aux chambres intérieures, puis on entreprit d'exploiter ces entassements de pierre, comme une carrière, carrière qui aurait suffi à la construction de plusieurs cités ; c'est ainsi que le revêtement disparut.
Les pyramides, en effet, étaient, de la base au sommet, couvertes de belles pierres polies ; aussi pour en exécuter l'escalade, fallait-il des prodiges d'adresse et d'agilité.
(...)
Lorsque la pieuse Égypte élevait, pour protéger les momies de ses maîtres, ces citadelles inouïes, elle ne faisait pas œuvre si vaine. En quel autre pays, sous quel autre ciel, trouverait-on une tombe royale si longtemps inviolée ? Et qui sait ! A-t-on pénétré tous les mystères ? Sous ces masses puissantes, dans ces flancs énormes, ne reste-t-il plus rien qui soit inexploré ? N'a-t-on pas suivi quelque fausse piste, profané un faux sarcophage ? La mort ne nous dérobe-t-elle pas encore quelque dernier secret ?
L'Égypte, en effet, mettait tout en œuvre pour sauver de l'injure les restes confiés au tombeau. Elle croyait à l'immortalité de l'âme, avec plus de netteté, plus d'énergie qu'aucune autre nation de l'antiquité. Elle admettait de plus que l'âme devait un jour reprendre possession du corps. De là, la nécessité de conserver, en dépit de la mort, ce pauvre corps qui n'avait pas terminé sa tâche, de là les embaumements universellement pratiqués même pour les plus humbles, de là l'usage de placer les nécropoles toujours en dehors du territoire exposé aux inondations du Nil et de préserver ainsi les momies de l'influence redoutable de l'humidité ; de là le secret de certaines tombes ou du moins le secret de l'entrée du caveau funéraire, de là mille stratagèmes singuliers et une sorte de stratégie savante pour dérouter les recherches : labyrinthe compliqué de galeries, portes sans issue, murailles qui dissimulent les véritables portes, couloirs obstrués, sarcophages à dessein laissés vides. Beaucoup des sépultures égyptiennes ne se défendent que par la ruse, et nul doute qu'aux pyramides la ruse fut associée à la force.
Quelques archéologues, doués de plus d'imagination que de science, et surtout certains amateurs improvisés archéologues, ont longuement raisonné ou déraisonné sur l'origine et la destination des pyramides. Les uns ont voulu y voir un rempart destiné à arrêter l'invasion du sable dans la vallée du Nil, d'autres l'étalon de toutes les mesures on usage dans l'ancienne Égypte. Tout cela est beaucoup trop subtil pour être vrai. On ne conteste plus sérieusement aujourd'hui que les pyramides n'ont jamais été que des tombes ; à Gizeh comme à Dachour, comme à Saqqarah, elles forment toujours le centre d'une nécropole.
«Qu'apprends-tu maintenant à l'école ? demandait-on devant moi à une petite fille. - L'histoire antienne. - Eh bien ! dis-nous où sont les pyramides. - Les pyramides ! c'est au commencement.» Ce n'était pas mal répondre. De ces monuments qui furent élevés au temps de la quatrième dynastie, c'est-à-dire, selon la chronologie généralement admise, entre quatre mille deux cent trente-cinq et trois mille neuf cent cinquante avant notre ère, on peut dire justement qu'ils sont au commencement. Et cependant les pyramides prouvent l'existence d'une monarchie puissante. Il fallut bien des richesses et le labeur de bien des hommes pour en mener à terme la construction ; elles prouvent encore une science très avancée. En effet, ce ne sont pas là des monuments de pierres informes, ce ne sont pas, en de plus grandes proportions, quelques tumuli, comme en élevaient au fond des forêts, les Gaulois sur la tombe de leurs chefs ; ce sont des monuments parfaitement orientés et bâtis avec le plus grand soin. Le délicat est là dans l'énorme.
"

Source du texte numérisé : www.mediterranees.net 

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