dimanche 24 mai 2009

Eugène Poitou (XIXe s.) :"De si grandes choses faites avec des moyens aussi simples"

Dans son ouvrage Hiver en Égypte, Eugène Poitou, conseiller à la Cour impériale d'Angers, relate le voyage qu'il a effectué dans ce pays en 1857. D'Alexandrie à Louqsor et Karnak, il parcourut le pays des pharaons de part en part, avec bien entendu une halte prolongée au Caire. D'où ces réflexions à la suite de sa visite au site de Guizeh :

"Quand on est sur la plate-forme sablonneuse et en face de ces étranges monuments, on s'arrête malgré soi : on se sent comme épouvanté par quelque chose d'immense, d'éternel et d'immuable. Que dire, qui n'ait été dit cent fois, de ces étonnantes constructions que salue depuis tant de siècles l'admiration des hommes ? L'esprit est confondu de la puissance qu'elles attestent, de la civilisation qu'elles supposent, de la grandeur empreinte dans leur simplicité même.
(...)
La pierre paraît avoir été empruntée au rocher même sur lequel les pyramides sont fondées. Mais ici, plus peut-être que devant tout autre monument de l'Égypte, on est amené à se poser cette question : Comment de telles masses ont-elles été construites ? Par quel moyen a-t-on élevé à une telle hauteur des assises si régulières, formées de blocs qui pèsent trente milliers ? Les anciens Égyptiens, quoi qu'on en ait dit, paraissent n'avoir eu aucunes connaissances en mécanique : on en aurait trouvé la trace dans leurs peintures, comme on y a trouvé représentés les procédés de tous leurs arts et de tous leurs métiers ; or pas une machine n'y est figurée. Dans un tableau qui représente le transport d'un colosse, on voit un nombre considérable d'hommes attelés à des cordes, et tirant la statue posée simplement sur des rouleaux. Il est à croire que toute leur mécanique se bornait là : des échafaudages, des plans inclinés, et puis des milliers et des milliers de bras, force qui ne coûtait rien et qu'on n'économisait guère. Il faut ajouter seulement qu'ils faisaient du plan incliné un emploi très habile et très ingénieux. S'il s'agissait d'un temple ou d'un palais, à mesure que la construction s'élevait, ils entassaient des terres de manière à former un talus en pente douce, qui s'exhaussait avec l'édifice, et sur lequel on hissait à force de bras les pierres gigantesques qui composaient les murailles et les plafonds : l'édifice achevé, on déblayait. Pour dresser les obélisques, l'opération était plus difficile, mais le procédé était le même. Le monolithe étant amené en place, et sa partie inférieure étant maintenue immobile, on faisait décrire à sa pointe un quart de cercle, en la faisant glisser, toujours à force de bras, sur un plan incliné qui se développait en spirale, jusqu'à ce que l'énorme bloc, arrivé à la perpendiculaire, vînt s'asseoir de lui-même sur la base qui devait le recevoir. Il faut admirer sûrement que de si grandes choses aient été faites avec des moyens aussi simples. Mais que de misères, que de souffrances de tels travaux n'ont-ils pas imposées aux nations asservies ou captives ! Que de vies humaines ont payé ces grandeurs !
(...)
On se demande, en présence de ces faits, comment tant d'absurdes hypothèses ont été émises sur le caractère et la destination des pyramides. L'antiquité avait eu beau nous affirmer que c'étaient des tombeaux ; les faiseurs de systèmes ont voulu en savoir plus qu'elle. Je ne parle pas des récits légendaires qui en ont fait les greniers de Joseph, ou qui y ont placé de prétendus trésors ; je ne parle que des explications données pour sérieuses. Les uns y ont vu des sanctuaires où se faisaient les initiations et se célébraient les mystères de la religion égyptienne : ce qui est difficile à comprendre, les pyramides étant, sauf quelques caveaux, entièrement compactes. Les autres les ont prises pour des monuments scientifiques, pour des observatoires astronomiques ; et il est vrai, chose assez curieuse, qu'elles sont exactement orientées. Mais on oubliait que le revêtement poli qui les a recouvertes jusqu'au temps de Saladin en rendait l'ascension à peu près impossible ; et quant à leur orientation, il est probable qu'il y avait là une pensée religieuse plutôt que scientifique : beaucoup de monuments funèbres de la même époque sont orientés. D'autres enfin, et tout récemment, ont dépensé beaucoup d'esprit pour prouver que les pyramides avaient été bâties pour arrêter le sable du désert, qui tend toujours à envahir la vallée. Il suffît d'avoir vu les lieux pour reconnaître ce que cette hypothèse a de futile. Les grandes pyramides, éloignées de cinq à six cents pas l'une de l'autre, et celles de Sakkarah, beaucoup plus distantes entre elles, n'ont point arrêté et ne pouvaient arrêter le sable du désert. Le sphinx, qui est situé entre les pyramides et la plaine, a été ensablé jusqu'au cou ; les temples qui l'entouraient ont été enfouis. Enfin on a fait remarquer avec justesse qu'elles auraient plutôt produit un effet opposé à celui qu'on leur attribue, la violence des vents étant naturellement accrue par le rapprochement de deux obstacles, et le sable tendant à s'accumuler dans les gorges.
Ce qui est la vérité, ce qui n'est pas sérieusement contestable, c'est que les pyramides étaient des tombeaux. Tout est venu confirmer à cet égard la tradition ancienne."
Source du texte numérisé : www.mediterranees.net ou books.google.fr

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