vendredi 2 octobre 2009

La "demeure dans la montagne de l'Occident"

Dans son Histoire de l'art monumental dans l'Antiquité et au Moyen-Âge, 1845, l'archéologue, inspecteur des monuments historiques et critique d’art Louis Batissier (1813-1882) propose une explication de l'implantation des pyramides égyptiennes sur la rive occidentale du Nil. Puis il donne de nombreux détails d'architecture extérieure (structure, matériaux...) et intérieure de la pyramide de Khéops, avec cette conclusion péremptoire, inspirée des découvertes de Wyse :"Nous [connaissons] toutes les dispositions intérieures de ce gigantesque édifice."
Illustration extraite de l'ouvrage

La construction des pyramides doit être attribuée à l'usage où étaient les Égyptiens de choisir leurs sépultures dans les montagnes, hors des atteintes du Nil. Dans leur rituel funéraire, la montagne de l'Occident désigne l'asile des morts, et cela par une allégorie empruntée au mythe du soleil, d'après laquelle la vie était comparée au cours de cet astre, la mort à son déclin. L'empire des morts avait son siège dans l'hémisphère inférieur - in inferis - dont les portes étaient à l'occident. Or, la montagne de Thèbes est située à l'ouest du fleuve et de la ville, et c'est derrière elle que le soleil disparaît à son coucher ; aussi était-ce dans son sein qu'était déposée la dépouille des rois, qui, de leur vivant comme après leur mort, étaient assimilés au soleil, identifiés à ce dieu.
Mais les princes qui avaient établi le siège de leur empire à Memphis, voulant autant que possible perpétuer les usages de Thèbes, songèrent à élever au-dessus de leurs tombes des montagnes factices, là où la nature ne leur offrait que des collines ; ainsi se trouvaient réalisées ces paroles du rituel, où le dieu des enfers dit au roi : "Je t'ai accordé une demeure dans la montagne de l'Occident."
Les pyramides de Memphis sont les monuments les plus gigantesques qui aient été bâtis par les peuples de l'antiquité. Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile et Pline en ont parlé avec admiration et comme d'ouvrages remontant aux époques les plus reculées de l'histoire. Les plus célèbres et les plus considérables se trouvent à Ghizé, sur la rive gauche du Nil. Elles s'élèvent sur un plateau qui domine la plaine de Memphis, de manière que la base des pyramides est placée à environ cent pieds au-dessus des plus fortes inondations du fleuve.
Ces édifices, tous construits sur un plan carré, sont parfaitement orientés. Chacun de leurs angles regarde un des points cardinaux. Dans le rocher qui leur sert de base, on a ménagé des couloirs, et, en général, une chambre funéraire. Le massif des pyramides de Ghizé est bâti en pierre calcaire ; mais leurs faces étaient revêtues extérieurement de dalles polies et parfaitement appareillée. Les savants ne sont pas d'accord sur la manière dont elles se terminaient supérieurement, dans le principe. Les uns ont soutenu qu'elles présentaient une plate-forme à leur sommet. D'autres, prenant pour type la grande pyramide de Dashour, qui est couronnée par un bloc de pierre aigu, prétendent que toutes primitivement finissaient en pointe. Cette question n'est pas décidée. Une chose vraie, c'est que presque toutes, ruinées par les hommes ou par l'action du temps, offrent une plate-forme qui va tous les jours s'agrandissant. Elles avaient plusieurs entrées soigneusement cachées dans l'épaisseur de la maçonnerie, et ouvrant sur des passages ou couloirs horizontaux et inclinés, fermées de distance en distance par de larges tables de granit qui étaient maintenues dans une double coulisse. Ces passages conduisent à des chambres taillées dans le roc ou à des salles ménagées dans la masse de la pyramide ; leurs parois, leur pavé et leur plafond sont quelquefois formés de dalles de granit. C'est dans une de ces pièces qu'était le sarcophage royal, d'ordinaire placé au centre de la chambre et scellé dans le pavé. Il arrivait que cette salle était précédée d'une sorte d'antichambre où se trouvait aussi le sarcophage de quelque personnage subalterne, qui pouvait passer, dans le cas où la pyramide aurait été violée par des profanateurs, pour la sépulture royale elle-même. Dans les pyramides, sauf dans celle de Chéops, les chambres et les couloirs sont souterrains. Le plafond de quelques salles est plat; d'autres fois, il se compose de dalles dressées l'une contre l'autre, de manière à former une voûte aiguë comme dans la troisième pyramide. Enfin, dans la grande pyramide, on a observé des couloirs qui n'aboutissent pas au dehors, et qui ont été ménagés pour servir de ventilateurs et procurer de l'air aux ouvriers employés dans ces vastes constructions. On ne trouve à l'intérieur de ces édifices ni inscriptions hiéroglyphiques gravées, ni sculptures ; partout la pierre est nue, de sorte qu'il a été assez difficile de préciser leur âge et d'indiquer le nom des rois qui les ont fait élever. Ajoutons qu'on a acquis la preuve qu'elles avaient été fouillées par les Perses de Cambyse, et au Moyen-Âge par les Mahométans, et que les uns et les autres ont enlevé ou détruit tous les objels que les princes égyptiens pouvaient y avoir fait déposer.
(...) On a pensé que l'intérieur de la pyramide renfermait d'autres pièces [que les trois chambres] ; mais nous devons dire que le colonel Wyse, il y a quelques années, l'a sondée dans tous les sens, et qu'il a acquis la conviction que nous connaissions toutes les dispositions intérieures de ce gigantesque édifice.
(...) Avant de terminer cet article, nous devons dire que les particuliers se faisaient faire de petites pyramides portatives, d'un à deux pieds de haut, décorées de peintures funéraires et d'inscriptions. Elles étaient placées à côté de la momie du défunt. On en voit dans presque toutes les collections d'antiquités.

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