jeudi 26 novembre 2009

De la grotte naturelle à l'apparition de la pyramide : le rôle des pharaons éthiopiens, selon A.H.L. Heeren (XVIIIe-XIXe s.)

Extraits de l'ouvrage De la politique et du commerce des peuples de l'antiquité, tome 6, traduit de l'allemand par W. Suckau, 1834, d'Arnold Hermann Ludwig Heeren (1760-1842), professeur d'histoire à l'université de Goettingen, membre associé de l'Institut de France :

Photo Fabrizio Demartis (Wikimedia commons)

"Les Égyptiens, dit [Diodore de Sicile], regardent l'espace de cette vie comme très insignifiant, mais ils estiment d'autant plus une vie tranquille après la mort ; aussi n'appellent-ils les demeures des vivants que des auberges où les hommes n'entrent en quelque sorte que pour quelques instants ; les tombeaux, au contraire, ils les nomment des demeures éternelles, parce que les morts habitent un temps infini dans l'enfer. C'est pourquoi ils se donnent peu de peine pour élever leurs maisons, tandis qu'ils consacrent des sommes immenses et des soins infinis à la construction de leurs tombeaux."
Quoique ces paroles de l'historien exigent encore d'autres explications, il n'est pas moins certain, au premier coup d'œil, qu'elles offrent la clef d'une des parties les plus intéressantes des antiquités égyptiennes.
La croyance d'une continuation de l'existence après la mort fut, selon ce témoignage, non seulement une croyance populaire, mais elle eut encore une haute influence sur la vie pratique. Diodore ne nous dit pas positivement ce qui avait fait naître cette idée chez les Égyptiens, mais on ne peut guère avoir des doutes à cet égard lorsqu'on examine leur conduite envers leurs morts. Ils croyaient que le corps survivait et s'attachaient par conséquent à l'idée matérielle la plus grossière. Le corps est pour eux tout l'homme ; c'est donc de sa conservation que dépend la continuation de l'existence. Il se peut qu'on lia par la suite certaines théories à cette idée ; mais il ne faut pas la développer, parce qu'elle fut et demeura toujours fondée sur les sens, et qu'on attribuerait autrement aux Égyptiens des pensées qu'ils n'avaient pas. Mais en partant de ce principe, et en faisant en outre la part du caractère local et du climat, presque tous les usages de ce peuple envers ses morts s'expliquent naturellement.
(...) Le besoin d'un endroit commode et sûr pour conserver le corps dut donc se faire sentir (...). Ce ne pouvait être des tombeaux comme chez nous, où le cadavre est livré à la corruption, et encore bien moins des sépulcres romains ou grecs, où l'on en conservait seulement les cendres. Il fallait des demeures particulières pour les morts, où leur conservation et leur repos fussent assurés. La plaine fertile de l'Égypte, dont le sol est resserré, offrant d'ailleurs à peine assez de place pour les vivants, ne se prêtait pas à cet usage, à cause des inondations du Nil ; mais la nature semblait avoir pris à tâche d'assigner aux morts leurs demeures. La plaine rocailleuse au pied de la chaîne des montagnes occidentales, ainsi que cette chaîne elle-même, n'étaient pas seulement à l'abri des débordements du fleuve, mais contenaient encore des grottes naturelles propres à recevoir les dépouilles mortelles des Égyptiens. Lorsque ces grottes commencèrent à manquer, il fut facile à l'art d'en construire d'autres ; aussi l'Égypte moyenne et la Basse-Égypte renferment-elles, le long de la chaîne Libyque, un nombre infini de ces tombeaux, en partie pratiqués dans les rochers des montagnes, en partie placés dans des souterrains artificiels, où l'on pénètre par des ouvertures ou des puits. Chaque ville avait un pareil asile de repos pour ses morts, dont l'étendue devait varier dans la même proportion que celle des villes. Les tombeaux des rois de Thèbes, qui se trouvent dans une vallée de rochers isolée, ainsi que les autres monuments funèbres de cette cité, ont excité jusqu'ici le plus l'attention des voyageurs ; cependant il y en a d'autres qui offrent aussi ample matière à des recherches.
(...) Comme plusieurs de ces tombeaux, dans lesquels on descendait par des puits, se trouvaient sous le sol rocailleux couvert de sable, il devenait nécessaire d'élever au-dessus des monuments pour qu'on en pût reconnaître l'ensemble, et pour que l'entrée ne fût pas comblée de sable. C'est là probablement ce qui a donné naissance aux pyramides. Leur forme répondit assez bien à ce but, et ce ne fut qu'insensiblement qu'on arriva à l'idée de les élever jusqu'à une grandeur colossale ; ce qui résulte déjà de l'existence des pyramides basses, et ce qui deviendra encore plus évident, si on parvient à confirmer la conjecture que les monuments étaient l'ouvrage des anciens Pharaons éthiopiens, et une imitation des pyramides de Méroé (1).
Hérodote fait déjà remarquer que les grottes sous les grandes pyramides sont dignes de la plus haute admiration, et les ouvertures ou les puits que l'on trouve dans ces pyramides ainsi que dans celles de Sakkara n'avaient guère d'autre destination que de conduire aux tombeaux souterrains, dont l'examen plus approfondi est encore réservé à d'autres voyageurs.
L'emplacement de ces tombeaux s'accordait déjà avec les idées de la mort. C'était le commencement du désert, où la nature semble mourir, où toute végétation cesse, et où succèdent d'immenses plaines arides dont on n'avait jamais vu la fin.

(1) Nous avons déjà fait remarquer (...) que l'indication donnée par Hérodote sur les fondateurs des pyramides ne fut nullement la seule. Hérodote la tenait des prêtres de Memphis, dont la connaissance ne se bornait qu'aux fondateurs de leur temple et des monuments voisins. Ils ne savaient rien des pyramides de Sakkara ni des autres de l'Égypte moyenne. Cependant leur nombre montre que la dynastie sous laquelle ces pyramides furent élevées doit avoir régné un long espace du temps, de même que la comparaison avec les tombeaux des rois de Thèbes prouve que cette dynastie ne fut pas de Thèbes. C'est un autre genre d'architecture ; on n'y trouve ni hiéroglyphes, ni bas-reliefs. Il est certain, d'après les dernières découvertes, que la construction des pyramides, sur une échelle inférieure, à la vérité, appartint dans le principe à Méroé. Ces raisons me font croire que les pyramides égyptiennes font partie des monuments les plus anciens, et qu'elles ont été élevées par les dix-huit Pharaons éthiopiens qui, au rapport d'Hérodote, régnèrent bien longtemps avant Sésostris, et étaient du nombre des 330 rois dont les prêtres récitaient les noms. Cette conjecture explique du moins tout, et est encore confirmée par Manéthon, qui place dans la quatrième dynastie (dynastie de Memphis, mais d'une maison étrangère), la construction de la grande pyramide, qu'Hérodote attribue à Chéops. C'est le troisième roi de cette race, nommé Suphis, qui doit l'avoir élevée (...). On a ouvert cette pyramide de Sakkara, à l'instigation du comte Minutoli, qui a remarqué que la disposition de ce monument s'accordait avec ceux de Méroé. Les hiéroglyphes inscrits sur les poteaux d'une porte accessoire semblent réfuter l'opinion accréditée qu'il n'y a pas d'hiéroglyphes dans les pyramides ; mais si l'on n'en trouvait pas d'autres, on pourrait bien former la conjecture qu'ils datent d'une époque plus récente, puisqu'on en a rencontré d'autres dessinés en noir sur une autre porte, qui certainement n'y avaient pas été mis lors de la construction du monument. (commentaire de l'auteur)

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