mardi 3 novembre 2009

Les pyramides de Guizeh : des "extravagants édifices" selon J.F.L. Grobert (début du XIXe s.)

La Description des pyramides de Ghizé, de la ville du Kaire et de ses environs, publiée en 1800 par Jacques François Louis Grobert, chef de brigade d'artillerie, membre de l'Institut de Bologne, est l'un des tout premiers ouvrages édités au retour de l’expédition d'Égypte.
Je retiens de la lecture de cet ouvrage les quelques extraits suivants. Après avoir noté ce qu'il a observé de la disposition générale du site et de la nature des matériaux de construction, l'auteur décrit ce qu'il appelle "les objets qui environnent les pyramides", notamment le "canal" auquel fait allusion Hérodote et la chaussée "en face" de Khéops.
Il relève par ailleurs l'existence d'une "cavité creusée", en forme de "chambre carrée", complétée par un "trou - un puits - qui semble assez profond". Il la place étrangement sur l'arête Nord-Ouest de la Grande Pyramide, et non pas, comme on pouvait s'y attendre vu la configuration actuelle de la pyramide, sur l'arête Nord-Est où se situe l' "encoche" plusieurs fois mentionnée dans des récits de voyageurs et explorée récemment par Bob Brier.


(...) les pyramides de Ghizé, monuments bizarres de l'ignorance et de l'orgueil.
(...) La première et la plus grande des pyramides que l'on rencontre au N.-E. du rocher est celle de Chéops.
En montant le rocher par la pente la plus douce et la plus allongée, on se trouve vis-à-vis de la face septentrionale, mais plus près de l'arête N.-O. Il n'est pas très rare de rencontrer sur ce talus, couvert d'un sable très fin et très profond, quelques nacres de perles et autres débris de coquillages. La disposition générale du sol, si on le considère du Sud au N.-O., annonce une route ou terrasse artificielle qui du rocher s'allonge vers la partie la plus élevée de la montagne libyque qui est au Nord. On aperçoit, à l'endroit où les saillies de cette montagne sont plus prononcées, de grandes carrières taillées verticalement et dont on a évidemment extrait la pierre qui a servi à la construction de toutes les pyramides de Ghizé. Des fellahs ou paysans du village m'ont apporté des morceaux de cette pierre dont la qualité blanche et friable est exactement semblable à celle de Chéops. La couleur qu'elle offre et l'identité de cette masse, liée sans solution de continuité avec celle du rocher, ne laisse aucun doute sur cette vérité. Lorsque, dans un voyage ultérieur, je suis arrivé au rocher par les villages situés au Nord de la pyramide, j'ai reconnu, dans les parties inférieures de ces carrières très prolongées, que notre premier aperçu était exact.
Les faces de toutes les pyramides de Ghizé sont disposées vers les quatre points cardinaux. À l'Est de la grande, est une grande cavité creusée dans le roc et faite en talus ; sa longueur est de 25 toises, sa plus grande profondeur est de 30 pieds environ, et sa largeur de 28. Les côtés latéraux sont presque verticaux, ce qui ne pourrait pas exister si elle était creusée dans le sable. (...)
[La seconde] pyramide, la deuxième parmi les grandes, fut construite par Chéphren, frère de Chéops. Les trésors étaient épuisés ; on avait achevé avec peine la première. Il fallait renoncer, dans la construction de celle-ci, au revêtement en marbre d'Éthiopie, dont la dureté et le transport augmentaient prodigieusement le coût ; et quoique, par son élévation, elle rivalisât à peu de chose près la grande pyramide, on en diminua considérablement le cube, par la diminution de la base

Mais, en servant toujours la passion qui avait dicté ces extravagants édifices, on disposa les choses en sorte que, dans l'éloignement, et par rapport à l'horizon, cette pyramide égalât le Chéops. On profita, à cet effet, de la disposition du sol qui, en s'élevant progressivement (...), offrait (...) la compensation de la différence qui existe entre les verticales des deux pyramides. Mais il fallait ici se niveler sur le point le plus sûr de l'emplacement choisi. (...) L'on tailla, à cet effet, le rocher, et l'on forma un plateau (...) sur lequel le Chéphren fut construit. Il résulta alors une espèce de fossé (...) dont les parements parallèles aux deux côtés Nord et Ouest de la pyramide sont taillés d'à-pic. On creusa derrière ces parements des galeries, dans lesquelles on pénètre par de petites portes également taillées dans le roc ; elles suivent la direction du fossé. La paroi (*) qui est du côté Nord est parsemée d'hiéroglyphes, dont j'ai inutilement essayé d'arracher une portion, car ils sont sculptés dans la masse. La pierre de cette masse est la même que celle des carrières dont nous avons parlé, car elle tient à la même formation et au système de cette montagne.
Si, en quittant le Chéphren, on remonte parallèlement au côté (...) du Chéops, on trouve des débris assez considérables d'un mur, dont les pierres bien taillées et parementées ont de très grands dimensions. Ce mur est à l'angle droit du fossé (...) ; la surface qui rejoint son sommet est couverte de sable. Je n'y ai trouvé aucun indice, ni ruine, qui annonçât que le mur en question était le côté d'un carré ou d'un édifice quelconque. J'ai aperçu seulement, en parcourant le plateau qui lui est superposé (...), et sur la crête du parement du fossé, une petite quantité d'albâtre blanc, brisé par petits morceaux ; ces morceaux étaient tous mamelonnés, et leurs parties convexes présentaient des joints qui, dans leur glomération (sic), annonçaient une qualité d'albâtre très différent de celui du Volterre en Toscane ; car ce dernier présente une coagulation uniforme et continue. Mais ces morceaux n'étaient pas assez nombreux pour annoncer qu'il eût existé en cet endroit quelque monument, tant soit peu considérable, construit en albâtre. (...)
Hérodote dit (Euterpe, liv. II, § CXXIV) :"sans compter le temps que l'on employa aux ouvrages de la colline sur laquelle sont élevées les pyramides, et aux édifices souterrains qu'il fit faire pour lui servir de sépulcre, dans une île formée par les eaux du Nil qu'il y introduisit par un canal." (...)
Aucun voyageur n'a fait mention de ce canal, sans excepter Diodore de Sicile. Il est vrai que cet auteur n'a pas trop décrit les objets qui environnent les pyramides. Il est certain aussi que le canal en question ne peut être aperçu de nos jours. La seule trace probable que l'on puisse soupçonner est la cavité située vis-à-vis la face orientale du Chéops (...). Mais ce canal a dû exister ; car Hérodote, qui a infailliblement vu les pyramides et qui en a mesuré les bases, en parle d'une manière bien positive.
Or un canal qui parcourt la base de la grande pyramide offre une surface trop grande pour qu'il puisse y avoir équivoque sur la manière dont il a été aperçu par un homme qui a visité ces monuments. (...) Il est peu étonnant que ce canal ait été promptement comblé par les sables et par les débris du revêtement du Chéops, qui s'y précipitaient de toutes parts. Il a dû bientôt disparaître ; il était très profond, mais proportionnellement étroit, et l'apport des sables agités par le vent était fréquent et volumineux.
En étudiant la disposition générale du sol, il paraît évident que l'entrée des eaux du Nil dans ce canal était au N.-E. Les ponts qui sont établis à quelque distance dans la plaine (...) ne pouvaient être destinés qu'à franchir une dérivation du canal actuel de la Bahiré (qui avait peut-être un autre cours) pour amener des eaux dans le canal du Chéops. Il est indubitable que le sol est trop élevé du côté Sud et du côté Est du rocher, pour présumer que le canal eût traversé le rocher dans ces directions. Il est au contraire très aplani et d'un talus fort doux en arrivant vers le N.-E. Le sable y est beaucoup plus profond.
(...) En face du Chéops, on peut remarquer dans la plaine quelques restes très informes des piliers qui supportaient une chaussée inclinée de l'Est à l'Ouest, pour traîner les pierres dures dont le revêtement était formé, et que l'on transportait, de la Haute-Égypte ou du désert de l'Araba, sur le Nil, jusqu'à Ghizé, et peut-être jusqu'au pied de la chaussée, par des canaux dont quelques-uns existent encore. Il faut presque deviner à présent cette chaussée (...). Mais les motifs que j'ai accusés plus haut ont hâté sa destruction. Elle était plus avancée dans les terres habitées ; les peuples abhorraient la mémoire des tyrans qui avaient élevé les deux grandes pyramides. On a utilisé des matériaux dont on n'entretenait pas l'assiette et l'assemblage ; les habitants les ont successivement enlevés pour leur usage. Cette chaussée n'existait déjà plus du temps de Diodore de Sicile, quoique, encore une fois, je soupçonne cet auteur d'avoir parcouru légèrement les monuments en question et les surfaces environnantes.
(...) Au-dessous du tiers de l'arête N.-O., on trouve une cavité creusée près de l'arête même, assez considérable pour être distinguée lorsqu'on aperçoit les pyramides à une grande distance. Cette ouverture, par laquelle le Chéops a été entamé pour y pénétrer, ne présente qu'une chambre carrée, dont le côté est de 11 pieds et quelques pouces ; dans un angle, on voit un trou qui semble assez profond. Il est à observer que cette chambre, dont aucun voyageur n'a fait mention, n'a pas été rendue carrée par la fouille, mais qu'elle l'était lors de sa construction primitive. Il paraît que le puits en question n'aboutit à aucune issue, puisqu'on a abandonné l'espoir de visiter la pyramide par cette entrée ; peut-être a-t-elle été construite pour donner le change à ceux qui entreprendraient ce travail sacrilège ; peut-être a-t-on découvert dans la durée du premier travail la grande entrée qui est au bas de la face Nord, ce qui a fait abandonner l'ouverture supérieure. À 18 assises environ de la base, il faut s'éloigner de l'arête qui est ici considérablement ébréchée. Cette hauteur varie à chaque arête ; mais l'accident est le même sur toutes les pyramides. Il paraît faire des progrès assez rapides, et apprendre le symptôme de la destruction du monument. (...)
(...) Toutes les pierres sont maçonnées ; le mortier qui les lie est exactement semblable à celui d'Europe ; leurs surfaces sont aussi équarries que l'état de vétusté peut le permettre : on peut reconnaître qu'elles ont été piquées ; mais aucun vestige n'annonce que celles du revêtement aient été retenues par des entailles ou des feuillures.
L'art de former un plafond par des voussoirs soutenus par leur coupe et leur pression réciproque, était inconnu aux Égyptiens. (...) Si les Égyptiens eussent été plus savants dans l'art de la construction, ils eussent couvert par une voûte en berceau la galerie ascendante de la pyramide, ce qui aurait occasionné beaucoup moins de travail, une moindre dépense, et aurait fourni plus de solidité que l'encorbellement dont nous avons indiqué le profil. Enfin, la diminution progressive de la hauteur des assises eût fait disparaître le défaut choquant de leur inégalité.

(*) l'auteur emploie ce mot au masculin : "le parois"

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