mardi 22 décembre 2009

L'"heureux hasard" du triangle équilatéral, selon Ali Bey al-Abbassi (début XIXe s.)

De l'explorateur espagnol Ali Bey al-Abbassi (pseudonyme de Domingo Badia y Leblich : 1766 – 1818), dans son ouvrage Voyages d'Ali Bey en Afrique et en Asie, pendant les années 1803, 1804, 1805, 1806 et 1807, tome 2, 1814 :

Ali Bey al-Abbassi (Wikimedia commons)

L'imagination ne peut suffire, sans le secours du tact, pour se former une idée juste et exacte des pyramides, de la colonne d'Alexandrie et de tout autre objet à formes et proportions insolites. J'avais apporté mon télescope achromatique et ma lunette militaire de Dollond. À force de comparaisons, de rapprochements et de raisonnements, je crois avoir réussi à m'en former une idée, sinon entièrement exacte, ce qui est impossible quand on ne consulte qu'un de ses sens, du moins extrêmement rapprochée.
Je ne parlerai pas de leurs dimensions, puisque la commission d'Égypte a complètement résolu le problème ; il suffit de savoir que ce sont les plus grandes masses colossales qui existent.
Les pyramides de Djizé sont au nombre de trois, dont deux considérablement plus grandes que la troisième ; mais, entre les deux grandes, je crois apercevoir moins de différence en hauteur que les voyageurs n'en ont indiqué.
Le profond historien des écarts de l'esprit humain, M. Dupuis, a dit que la grande pyramide est construite de manière que l'observateur, placé au pied le jour de l'équinoxe, verrait le soleil à midi comme assis ou appuyé sur le sommet. Cela veut dire que le plan incliné ou le côté de la pyramide forme, avec le plan de l'horizon, un angle égal à la hauteur méridienne du soleil à cette époque, ou égal à la hauteur de l'équateur. Les pyramides étant placées assez exactement à la latitude de 30 degrés N., il résulte que cet angle doit être de 60 degrés. Or, comme tous les côtés paraissent être également inclinés, le profil de la pyramide, coupé perpendiculairement du sommet à la base par le milieu de deux de ses côtés opposés, doit exactement représenter un triangle équilatéral. Cet heureux hasard, causé par la plus simple figure rectiligne, employée dans la construction d'un édifice, produit ce beau phénomène, et devenait, pour moi, un aiguillon qui me poussait à le vérifier.
Quand on regarde les pyramides de quelque distance, elles paraissent avoir la base beaucoup plus longue que les côtés, ou l'angle du sommet plus ouvert ou plus obtus que les angles de la base ; mais cette illusion provient de ce qu'on découvre presque toujours deux côtés de la pyramide, et alors on voit la diagonale du carré de la base, qui par sa nature est plus longue que le côté ; ce qui fait paraître à l'œil les pyramides écrasées, quoique leur hauteur soit égale à la longueur d'un des côtés de leurs bases.
Le problème sur la destination des pyramides est également résolu ; elles furent élevées pour servir de dernière demeure à des souverains qui, portant au-delà du tombeau la distinction énorme de leur rang parmi un peuple esclave, faisaient élever leurs dépouilles mortelles vers le ciel, tandis que les corps de leurs sujets étaient enfouis à peu de distance de là dans les puits des momies : voilà l'homme, surtout l'homme puissant.
Les pyramides sont connues des Arabes sous le nom de El Haràm Firàoun. Ils débitent mille contes à leur sujet, et croient qu'elles ont des galeries souterraines qui se ramifient et s'étendent sous toute la basse Égypte.
On sait qu'il n'existe sur ces monuments antiques aucune inscription, aucun hiéroglyphe qui puisse offrir quelques données sur l'époque de leur construction. On attribue la grande pyramide à Cheops, qui vivait environ huit cent cinquante ans avant l'ère chrétienne ; mais je pense qu'il vaut mieux la croire antérieure à l'époque historique, car, si c'était l'ouvrage de ce prince, il existerait d'autres témoignages que le simple récit d'Hérodote sur un monument qui, de son temps, devait exciter l'attention et l'admiration des hommes.

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