lundi 25 janvier 2010

Les pyramides "sont des merveilles de l'industrie humaine" (Ibn Battûta - XIVe s.)

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Ibn Battûta (Abû 'Abd Allâh Muhammad Ibn 'Abd Allâh - أبو عبد الله محمد ابن عبد الله اللواتي الطنجي بن بطوطة‎) (1304-1377 ou 1378) est un grand "voyageur de l'Islam", originaire du Maroc. En 28 ans de périple, il parcourt de très nombreux pays : Afrique du Nord, Arabie, Syrie, Perse, Asie Mineure, Russie méridionale, Inde, etc.
Il arrive à Alexandrie en 1326, où il décrit le célèbre phare de la ville. Lorsqu'il y revient un peu plus de vingt années plus tard, il ne retrouve sur les lieux qu'un tas de ruines.
Son voyage le conduit aussi au Caire. D'où les quelques notes sur les pyramides, que l'on lira ci-dessous.
Les récits d'Ibn Battûta ont été compilés par Ibn Juzayy en un livre intitulé Rihla (voyage), dont une partie a été traduite et commentée, sous le titre Voyage du Cheikh Ibn-Batoutah, à travers l'Afrique septentrionale et l'Égypte, au commencement du 14e siècle, par Auguste (?) Cherbonneau, professeur d'arabe à la chaire de Constantine, 1852.

On relèvera plus particulièrement ce qu'écrit Ibn Battûta sur l'ouverture de la Grande Pyramide par al-Ma'moun, "à l'aide du feu et du vinaigre".

Ces monuments [les pyramides], qui ont bravé les injures du temps, sont des merveilles de l'industrie humaine. On a fait bien des recherches tant sur le but que sur l'antiquité de leur construction. Il y a des historiens qui prétendent que toutes les sciences, qui ont paru sur la terre avant le déluge, sont dues à Hermès, nommé par quelques-uns Khonoudj, et qui n'est autre que le prophète Idris, sur lui soit le salut ! Selon eux, Hermès fut le premier habitant de la Haute-Égypte ; il fut aussi le premier qui cultiva l'astronomie et la minéralogie. On lui doit les premiers édifices consacrés à l'adoration du Seigneur (hiâkel). C'est lui qui annonça le déluge.
Dans la crainte que la science et l'industrie ne disparussent de la surface du globe, il fit bâtir les pyramides et les Berba (*), et eut soin d'y faire représenter par la sculpture les arts, les instruments ainsi que la théorie de chaque science.
Dans les âges les plus reculés, Memphis (Menouf), qui n'est qu'à 12 milles de Fosthath, avait été le siège de la royauté et le foyer des connaissances. Plus tard, lorsque Alexandrie fut fondée, le gouvernement de l'Égypte y fut transféré, et avec lui les sciences. Ensuite vint la période islamique : Amr ben-el-âci (que Dieu le reçoive dans sa grâce !) traça les murs de Fosthat et en fit la métropole de l'Égypte. Elle l'est encore de nos jours.
Les pyramides sont construites avec de grandes pierres de taille ; elles ont une élévation prodigieuse ; leur forme est celle d'un cône excessivement large à la base et se terminant en pointe. Elles n'ont point de portes, et l'on ignore comment elles ont été édifiées.
Voici pourtant une légende relative aux pyramides. Avant le déluge, il y avait en Égypte un roi qui eut un songe effrayant. Une voix lui ordonna de bâtir ces pyramides sur le rivage occidental du Nil, pour qu'elles devinssent en même temps le dépôt des sciences et le sépulcre des rois. Mais il consulta un astrologue afin de savoir si on les ouvrirait. Celui-ci répondit qu'on les ouvrirait au nord ; il alla même jusqu'à désigner l'endroit par où serait pratiquée l'ouverture, ainsi que la somme à laquelle monterait le travail. En conséquence, le roi fit mettre la somme présumée dans l'endroit qui lui avait été signalé ; puis il acheva dans l'espace de soixante ans ces monuments sur lesquels on écrivit : "Nous avons mis soixante ans à édifier les pyramides ; il faudra six cents ans pour les démolir. Cependant il est plus facile de détruire que d'élever." Lorsque le khalife Al-Mâmoun monta sur le trône, il forma le projet d'abattre les pyramides (1), et se mit à l'œuvre malgré les conseils d'un cheikh de Misr. À l'aide du feu et du vinaigre, à force de lancer des projectiles avec les pierriers, on parvint à faire l'entaille qui se voit encore aujourd'hui sur la face septentrionale de ces monuments.

(1) note du traducteur : M. de Sacy a longuement discuté ce fait, et, s'autorisant d'un passage d'Ibn-Haukal, il prend le parti de supposer que l'ouverture de la pyramide est antérieure au régne d'Al-Mâmoun. Quoiqu'il en soit, l'assertion d'Ibn-Batoutah avait été produite avant lui par plusieurs écrivains dignes de foi, tels que El-Maçoudi, El-Bekri et El-Abdéri. Comme ce dernier, dont j'ai le précieux itinéraire sous les yeux, développe avec complaisance la légende relative aux pyramides, j'en extrairai quelques lignes afin de compléter le récit de notre voyageur : "Al-Mamoun étant parvenu au Khalifat, conçut l'idée de démolir les pyramides : mais un vieillard de Misr lui dit : - Les tyrans de ton espèce ne réussissent jamais dans leurs projets. - Néanmoins Al-Mamoun déclara qu'il fallait que sa volonté s'exécutât, et il ordonna qu'on pratiquât une ouverture du coté du nord, parce que le soleil y donnait moins longtemps. Alors des feux furent allumés auprès des pierres, et lorsqu'elles commençaient à rougir, on les arrosait avec du vinaigre, puis on les frappait avec les mendjenik. Le résultat de ces efforts combinés fut la brèche par laquelle on entre aujourd'hui dans la grande pyramide. Le mur n'avait pas moins de vingt coudées d'épaisseur. Un trésor en argent ayant été découvert à l'endroit de l'entaille, il se trouva équivalent à la somme dépensée pour l'opération." ( Rihlet el-Abderi min Bidjaia ila Mekka, p. 18 et 19.)

(*) Pour trouver la signification de ce mot (merci à Numerus et Khoufou pour leur aide), je me suis référé au Magasin encyclopédique ou Journal des sciences, des lettres et des arts, rédigé par A.L. Millin, 6e année, tome 6, 1801, où j'ai trouvé le texte suivant :"Disons un mot des Berba et des Syringes. Les Arabes d'Égypte désignent sous le nom de Berba, Berbi, Baba ou Birbé, suivant différentes manières de prononcer le même mot adoptées par les voyageurs européens, un grand nombre de monuments égyptiens, dont la plupart au moins sont d'anciens temples qui, dans leur état actuel de destruction, forcent encore le spectateur le plus stupide à une admiration involontaire. Tels sont les Berba, d'Ikhmim ou Akhmim, de Dendéra, etc. Les ruines que Brown a vues à Siwa portent aussi le même nom. Le sens du mot Berba qui constamment n'est point arabe, avait toujours paru assez obscur, jusqu'à ce que j'en eusse indiqué l'étymologie égyptienne." (MC)

Le Grand Voyage d'Ibn Battûta, de Tanger à la Mekke, a fait l'objet, en 2009, d'un film, par Bruce Neibaur. Il est projeté à la Géode de Paris-La Villette. Horaires : cliquer ICI.
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Suite à la publication de cette note, j'ai reçu ce commentaire de Michel Sélaudoux :
Il y a une différence notable entre la traduction qui figure dans ce blog et celle dont je dispose.
Le blog propose cette traduction [de Cherbonneau] :"Les pyramides sont construites avec de grandes pierres de taille ; elles ont une élévation prodigieuse ; leur forme est celle d'un cône excessivement large à la base et se terminant en pointe. Elles n'ont point de portes, et l'on ignore comment elles ont été édifiées."
Pour ma part je pense que je devrais lire : "Les pyramides sont construites en pierres dures, bien taillées ; elles ont une élévation très considérable et sont d'une forme circulaire, très étendues à la base, étroites au sommet, en guise de cônes ; elles n'ont pas de portes et l'on ignore de quelle manière elles ont été bâties." (source: Ibn Battûta - De l'Afrique du Nord à la Mecque, traduction de l'arabe de C. Defremy et B.R. Sanguinettei, la Découverte,1858)
La différence est tellement notable que les traducteurs avaient ajouté une note, la n°134, rédigée comme sui t: "La description faite par Ibn Battûta montre bien qu'il ne les [les pyramides]a jmais vues."
En tant que Tangérois moi-même, cela fait bien longtemps que je connais le personnage et ce qui va avec... sans pour autant mésestimer la plus grande partie de ses exploits. Disons qu'il y a eu "quelques coups de canife".

Voir ce que Michel Sélaudoux écrit sur Ibn Battûta dans  Les Deux sycomores de Turquoise.

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