samedi 23 janvier 2010

Selon Léon Gingras (XIXe s.), Khéops, Khéphren et Mykérinos n'étaient que des "êtres de raison"

Le Canadien Léon Gingras (1808-1860) était théologien. Il occupa les fonctions de directeur du séminaire de Québec. Il est connu pour le récit qu'il publia, en 1847, de son pèlerinage en Terre Sainte : L'Orient, ou voyage en Égypte, en Arabie, en Terre-Sainte, en Turquie et en Grèce.
Le texte qu'il écrivit suite à sa visite du site des pyramides de Guizeh (extraits ci-dessous) ne comporte aucune révélation particulière. Il s'agit plutôt de réflexions, telles que celles que l'on rencontre régulièrement dans les récits des voyageurs qui, en route vers la Terre Sainte, faisaient escale en Égypte.

En gras : les mots ou membres de phrase marquant l'articulation du texte.

Chéops, Chéphren et Mycérinus, à qui on a fait pendant si longtemps honneur de la construction des trois pyramides qui portent leur vocable, paraissent cependant n'être que des êtres de raison. M. Champollion a prouvé qu'Hérodote a été en cela trompé par les prêtres égyptiens, à qui il s'était adressé, pour obtenir des renseignements sur leur histoire. Ses découvertes démontrent que ces monuments sont dus aux trois premiers rois de la cinquième dynastie, Souphi, Sansaouphi et Mankari, qui avaient voulu en faire le lieu de leur sépulture.
(...) Les dimensions de Chéops sont encore un problème. Depuis Hérodote jusqu'à nos jours, grand nombre de voyageurs l'ont mesuré ; mais leurs calculs n'ont rien de concluant. Loin de là : au lieu d'éclaircir les doutes, ils n'ont fait, pour ainsi dire, que les augmenter encore. En voici le tableau, tel que donné par plusieurs d'entre eux :

(...) Aujourd'hui l'ouverture de ce canal [le canal descendant] est placée au-delà de la quinzième assise, c'est-à-dire à une quarantaine de pieds environ au-dessus du sol ; les débris de revêtement de la pyramide, et des pierres tirées de l'intérieur, ont formé dans cet endroit une colline de deux cents pieds de hauteur. Hérodote, qui l'a vue dans le siècle le plus voisin de sa fondation, lorsque la base était encore découverte, lui donne huit cents pieds en carré. Ce sentiment paraît très vraisemblable ; c'est aussi l'opinion de Pline : cet écrivain lui fait couvrir un espace de huit arpents en superficie.
(...) Le dépouillement des quatre faces de cette pyramide [celle de Khéops], et l'ouverture par laquelle on pénètre dans l'intérieur, ont fait croire à quelques écrivains que ce monument n'a jamais été achevé ; c'est une erreur, dont on se convainc sans peine par la simple inspection des débris de mortier, et des éclats de marbre que l'on trouve encore en plusieurs endroits des gradins. Les témoignages de l'antiquité à ce sujet sont sans réplique : "La grande pyramide, dit Hérodote, fut revêtue de pierres polies, et parfaitement liées ensemble, dont la moindre avait trente pieds de long. On l'avait construite en forme de degrés, sur chacun desquels on plaçait des machines de bois pour élever les pierres de l'une à l'autre." - "La grande pyramide, dit Diodore de Sicile, est bâtie de pierres très difficiles à travailler, mais aussi d'une dureté éternelle. Elle s'est conservée jusqu'à nos jours (vers le milieu du siècle d'Auguste), sans être aucunement endommagée." Ces citations, comme on le voit, sont plus que suffisantes pour prouver que Chéops a eu un revêtement. Mais que ce revêtement ait été de marbre ou de granit, c'est ce sur quoi l'histoire n'offre aucune donnée certaine ; c'est une question tombée depuis longtemps dans le domaine des hypothèses.
Des inscriptions conçues en hiéroglyphes, selon les uns, et en anciens caractères égyptiens, selon d'autres, étaient autrefois gravées sur ce revêtement destiné à recouvrir les assises de pierre calcaire dont se compose la masse de Chéops. Hérodote en parle dans son voyage d'Égypte ; des voyageurs modernes, Baldésel et Wansleb, assurent en avoir vu des restes.
Cette pyramide effraie par l'immensité de sa masse ; c'est une montagne élevée par la main des hommes. Un calcul consciencieux lui donne 80.000 pieds cubes, dans lesquels on pourrait faire entrer 3.700 chambres, dont chacune mesurerait 35½ pieds en carré, sur 18½ en hauteur. D'autres calculs ont également démontré qu'avec les pierres qu'elle contient, on pourrait entourer la France entière d'un mur de dix pieds de hauteur sur un d'épaisseur. Qu'on juge d'après cela du travail prodigieux et des dépenses immenses qu'a dû nécessairement exiger l'érection de ce colossal monument ; aussi le coût seul de la nourriture des ouvriers en raves, en oignons et en autres légumes, s'élevait-il, d'après Hérodote, qui l'avait appris de la bouche des prêtres égyptiens, à la somme de seize cents talents d'argent (plus de 8 millions de francs). Et en supposant que tout ait été dans le même rapport, quelle n'a pas dû être la dépense pour les autres objets, tels que le fer, le pain et les vêtements des ouvriers ?
(...) Cette salle [la Chambre du Roi] occupe à peu près le tiers de la hauteur de la pyramide ; c'est la chambre du roi, dont on voit encore le sarcophage, fait de marbre blanc, rouge et noir ; sa longueur est de sept pieds et deux pouces, sa largeur de trois pieds et un pouce, et sa hauteur de quatre pieds environ. C'est là, cher ami, qu'est venue se flétrir une gloire mondaine ! C'est là, contre ce marbre, que s'est brisé l'orgueil d'un prince qui, aux jours de ses victoires, semblait se rire de la mort ! Nous enfonçâmes le bras jusqu'au fond de sa tombe, et qu'en retirâmes-nous ? Pas même un grain de poussière, qui pût nous témoigner que ce fut là sa demeure dernière. Ce sarcophage, sous le rapport des dimensions, n'offre rien qui étonne ; il nous paraît de grandeur ordinaire. Les hommes, qui vivaient il y a près de quatre mille ans, n'étaient donc pas des géants ; c'étaient tout comme aujourd'hui des êtres de cinq à six pieds de stature. Les momies qu'on a déterrées dans le voisinage des pyramides confirment cette assertion ; leurs proportions n'excèdent pas la mesure que je viens de donner.
De la chambre du roi nous passâmes à celle de la reine, où nous aperçûmes du côté de l'orient une niche dont l'enfoncement dans le mur est de trois pieds sur une hauteur de huit ; on croit que c'est là que son corps fut déposé. Cette seconde chambre est à cent pieds environ au-dessous de la première, dont elle mesure à peu près les dimensions.
À l'entrée de la galerie qui conduit à la salle de la reine, est un puits de deux cents pieds de profondeur, et dont la largeur est de trois pieds environ. M. Careri prétend que de là on passait autrefois à des souterrains, aujourd'hui remplis de pierres et de sable, par lesquels on pénétrait dans la tête d'une idole, qui se trouvait dans le voisinage. Cette opinion n'est pas toutefois admise par tout le monde ; elle est combattue par plusieurs voyageurs, et, entre autres, par M. Maillet, qui pense que ce canal n'a jamais eu d'autre destination que de servir de retraite ou plutôt de passage aux ouvriers qui travaillèrent à la construction du monument.
De nouvelles investigations, faites en 1838, ont mis au jour plusieurs chambres jusqu'alors inconnues. La reconnaissance en est due au colonel Vyse qui, convaincu que Chéops devait receler d'autres salles que les deux dont j'ai parlé, fit faire des travaux qui se terminèrent par la découverte de trois nouveaux appartements ; ils sont tous trois placés audessus de la tombe du roi ; il leur donna les noms de Nelson, Wellington et Campbell.
(...) À l'ouest de Chéops gisent Céphren et Mycérinus ; ces trois pyramides sont échelonnées à assez peu de distance les unes des autres. Céphren est sis sur un terrain naturellement plus exhaussé que celui qui porte Chéops. Son revêtement, depuis la base jusqu'aux deux tiers environ de sa hauteur, a disparu ; le reste se soutient en l'air, sans qu'on en sache le comment. Le gravissement en semble, au premier coup d'œil, impossible ; il paraît cependant que les Arabes réussissent à en atteindre le sommet. Cette pyramide a 684 pieds de base et 456 pieds de hauteur ; Belzoni, en 1816, y ouvrit un passage, par lequel il pénétra, en suivant de longs et obscurs corridors ascendants et descendants, jusqu'à une chambre, dont l'intérieur est revêtu de granit. Il y trouva un sarcophage contenant des ossements qu'il prit d'abord pour ceux de quelque grand personnage qu'on y avait déposé ; mais, en les examinant de près, il finit par reconnaître qu'ils avaient appartenu à un bœuf. Ne serait-ce pas, par hazard, l'animal que l'Égypte adorait sous le nom du dieu Apis ? Ce qu'il y a, au moins, d'incontestable, c'est que ce bœuf, après avoir atteint le terme fixé pour son existence, était noyé dans le Nil par les prêtres qui, après l'avoir embaumé, l'enfermaient, à la suite de magnifiques obsèques, dans un riche tombeau préparé à cet effet.
La troisième pyramide, Mycérinus, n'a rien de bien remarquable. Dépouillée totalement comme Chéops de son revêtement, elle n'a que 162 pieds de haut sur une base de 280. Philista s'élève tout près de là ; c'est une autre pyramide, dont les dimensions sont encore moindres. Son sommet se termine par une large pierre qui, selon les apparences, a dû servir de piédestal à une statue, que le temps ou la barbarie a détruite.
Les monuments les plus authentiques de l'histoire font remonter la construction de Chéops à neuf siècles avant l'ère chrétienne ; ceci, comme on le voit, ne s'accorde guère avec les quarante qu'on lui a, jusqu'à présent, assez généralement donnés. Le calife Mahmoud (1), qui vivait au commencement du huitième siècle, est, disent certains écrivains arabes, le premier qui, poussé par la soif de l'or, ait osé porter une main sacrilège sur ce séjour de la mort. Il espérait y découvrir des trésors ; mais ses espérances furent bien déçues : quelques idoles d'or, trouvées près de la momie du roi, furent le seul prix de plusieurs années de travaux et de dépenses énormes. D'autres attribuent cette entreprise au calife Aaroun-Reschid (2), qui vivait du temps de Charlemagne, à qui il fit cadeau d'une horloge d'eau, la première qu'on ait vue en France. Quoi qu'il en soit de ces diverses opinions, toujours est-il que l'ouverture de la grande pyramide a été exécutée sous la domination arabe.

(1) erreur de l'auteur. Lire :al-Mamoun, qui vécut fin VIIIe-début IXe s.
(2) lire: Haroun ar-Rachid

Aucun commentaire: