mardi 2 mars 2010

Construction des pyramides : le procédé "simple et révolutionnaire" de l'égyptologue britannique Christine El Mahdy

Dans son ouvrage The Pyramid Builder, Headline, 2003, l'égyptologue britannique Christine El Mahdy (1950-2008) concentre la plus grande partie de ses propos sur la vie et la personnalité de Khéops, the man behind the Great Pyramid.
Un chapitre entier est toutefois consacré aux techniques de construction de cette Grande Pyramide (pp. 168-210), avec quelques préambules épars dans l'ouvrage.
Tout d'abord, le brave Hérodote, tout "Père de l'Histoire" qu'il est, se fait tailler un costume de première : il tenait ses sources, au demeurant peu fiables, du "tour guide" de l'époque :"Nous pouvons être certains que les gens auxquels Hérodote rendit visite firent de leur mieux ; mais ils lui parlaient de connaissances de seconde, voire de troisième main, épicées de rumeurs, de légendes et de superstitions, (…) les pyramides ayant plus de 2000 ans quand [Hérodote visita l'Égypte]. La vérité est qu'ils n'avaient aucune idée de la manière dont les pyramides furent construites, ni pourquoi elles furent édifiées." (p.111)
Autres bourdes de l'historien grec : contrairement à sa relation, "l'esclavage n'existait absolument pas dans l'ancienne Égypte" (p.114) et le nombre des ouvriers sur le chantier de construction était bien inférieur à celui avancé.
Et comment prétendre que les pierres de revêtement furent mises en place de haut en bas ? "Ça ne pouvait pas marcher !" (p.185)
Bref, on aura compris le message : "Même en se basant sur la simple analyse des affirmations d'Hérodote, on peut constater qu'elles étaient basées sur une pure spéculation, et non sur la connaissance." (p.172)
Comment les bâtisseurs égyptiens s'y sont-ils donc pris pour construire leurs monuments ? Ils ont tout d'abord adopté la forme pyramidale, autrement dit, d'un point de vue mathématique, la méthode la plus logique et la plus facile pour élever des blocs de pierre le plus haut possible. La question qui se pose n'est donc pas la forme adoptée, mais la technique appliquée pour élever les blocs de pierre.
Parcourons maintenant les développements de Christine El Mahdy.
Le but recherché, écrit-elle, est de comprendre comment furent construites, non seulement la Grande Pyramide de Guizeh, mais toutes les pyramides. Or, que constatons-nous ?
Une pyramide, quelle qu'elle soit, est - ou devrait être - composée de deux parties : un revêtement (facing stones) et un cœur ou noyau (core).
Le cœur est très largement constitué d'un assemblage très disparate de matériaux : du sable pour certaines pyramides (Ounas, par exemple), ou des blocs de pierre (comme à Guizeh), plus ou moins gros, plus ou moins bien taillés (c'est ce que l'on appelle en architecture le "blocage" - rubble infill). Cet intérieur de la pyramide était voué à rester secret, invisible.
Quant au revêtement, destiné à rester exposé aux regards et à l'admiration, il était constitué de blocs très bien appareillés, lisses et d'une couleur claire. Les bâtisseurs égyptiens lui réservaient donc le meilleur de leur savoir-faire : "The principal aim was to place and shape the facing stones. What was put behind them could be anything you liked. There would never have been any steps visible, except for the crude facing stones untill they were smoothed. The steps are only in the rubble infill." (p.188)
Aujourd'hui, alors que nous ne devrions voir que le revêtement harmonieux et resplendissant d'une pyramide, le cœur étant censé, dans l'intention des bâtisseurs, rester secret, donc invisible, nous avons devant les yeux ce seul cœur de l'édifice. Pour clore ce premier constat, Christine affirme sur un ton quelque peu provocateur : ce que nous voyons maintenant à Guizeh n'est pas, n'est plus une pyramide ("So what is left to us at Giza is therefore not a pyramid at all, but just the rubble infill which was left hehind after the facing stones were stolen").
Quelles furent donc les différentes étapes du processus de construction d'une pyramide ?
Premièrement : le choix et l'aménagement du site. Celui-ci devait, l'expérience aidant (pour éviter certaines catastrophes antérieures), avoir un soubassement rocheux et plus élevé naturellement que le terrain environnant. Il devait être proche à la fois du fleuve (pour le transport des matériaux) et de la capitale où résidait la famille royale. Sous ces différents aspects, Guizeh représentait le choix idéal.
Il fallait ensuite définir l'orientation du monument, sur la base d'observations astronomiques. Et le chantier pouvait débuter par une première assise de blocs aux dimensions très diverses, destinée à rattraper les irrégularités du sol.
À partir des calculs des architectes, le couloir descendant vers la chambre souterraine était, dans le même temps, creusé. Les calculs et les travaux d'exécution devaient être d'autant plus précis que l'angle du couloir serait ensuite identique pour la poursuite de ce conduit à travers les premières assises de la pyramide, en direction de l'ouverture du monument.
Un soin tout particulier était apporté aux blocs de façade : leur inclinaison aurait à être respectée jusqu'au sommet de la pyramide et leur aspect, le plus lisse possible, serait l'objet de tous les regards.
Pour les travaux d'élévation de la pyramide, se pose évidemment la question primordiale du transport des blocs de pierre. Christine El Mahdy distingue ici deux cas : les blocs ordinaires et les monolithes de la chambre principale. Dans le premier cas, étant donné que les blocs de revêtement sont posés les premiers, on peut hisser le long de la façade déjà terminée les traîneaux avec leur chargement, tâche présentée comme relativement aisée :"The facing stones are less than 3 feet thick, and these would define the thickness of the core blocks behind them. Towards the top of the pyramid, the core blocs grow smaller and smaller, until at the top they are usually small enough to be carried by one man." Oui ! Nous avons bien lu : vers le sommet, les blocs sont généralement suffisamment petits pour être transportés par un seul homme...
Ça se corse évidemment pour les monolithes de granit devant être mis en place dans la chambre funéraire principale, au cœur de la pyramide. Christine El Mahdy fait alors intervenir une technique (que, pour être honnête, j'ai quelque peine à imaginer) à base de cabestans et de cordages de chanvre humidifiés qui, en séchant, se rétractent pour engendrer une force de traction équivalente. Cette même technique, utilisée déjà dans les carrières d'Assouan pour extraire les monolithes de leur lit d'origine, est ainsi décrite :"The only conceivable way this could be achieved would be to tie a new hemp rope securely around a capstan post at one end [ot the piece of granite], and round the granite at the other, and then thrown on a bucket of water. As the ropes shrink, they exert exactly the same pressure on the rock, and the rock would gracefully rise from ist bed without a man in sight."
Certes, des inconnues demeurent, dans la mesure où certaines anomalies de densité ont été repérées dans la pyramide, notamment à côté de la chambre de la Reine. D'où cette conclusion provisoire que, vu son importance, je cite intégralement dans sa version originale :"The truth is that we have no idea whatsoever what lies within the core beyond the granite-lined passages and chambers. The tests prove beyond doubt that more tunnels, later filled in with sand and loose material, exist beyond the chamber walls and within the core. All of the tests have been carried out from the passages and the chambers and thus only give information about the lower half of the pyramid. Above the level of the main chamber, we have no information. It seems reasonnable, then, that a whole series of work tunnels were left open to allow the stone to be carried out on to the upper platforms, which were later backfilled quickly using sand. The passages within the pyramid were, in truth, ramps, and yet part of the structure. There was never any need later to dismantle anything - the ramps formed the core itself." (p.208)
Le pyramidion vient clore en beauté le chantier. Sur un ton humoristique, Christiane El Mahdy affirme que cet appendice a fait plus jaser dans le milieu des égyptologues que tout le reste de l'édifice ! Puis elle ajoute, en tenant compte du fait que ce dernier bloc, de par sa forme, était plus léger que d'autres ayant une base identique, que les bâtisseurs ont dû le hisser le long et au milieu d'une des faces de la pyramide où les blocs, dans un premier temps, n'avaient pas été polis, formant ainsi une sorte d'escalier. Une fois le pyramidion en place, une équipe d'ouvriers n'avait plus qu'à lisser, de haut en bas, les blocs de l'escalier.
"Le procédé que j'ai exposé brièvement, conclut Christine El Mahdy, est à la fois simple et totalement révolutionnaire. Il explique aisément comment une pyramide de la taille de celles de Guizeh fut construite. L'évidence est là. Il lui suffisait simplement d'être lue correctement."
Deuxième partie

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