dimanche 7 mars 2010

"On a seulement observé la figure pyramidale, sans s'embarrasser de présenter des degrés réguliers" (Charles-Théodore Beauvais de Préau – XIXe s.)

Le texte ci-dessous, extrait de l'ouvrage Victoires, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français de 1792 à 1815, par une société de militaires et de gens de lettres, tome 9, 1818, est attribué à Charles-Théodore Beauvais de Préau (1772-1830), général de brigade dans l'armée de Bonaparte. Cette relation est - comment dire ? - sans surprise majeure. De nombreuses observations présentent des similitudes, jusque dans leur formulation, avec les textes d'autres auteurs ou "voyageurs" ayant décrit les pyramides.
On pourra prêter une attention particulière à ce qu'a remarqué l'auteur sur la nature et la mise en œuvre des matériaux de construction, la distinction étant faite entre les "assises extérieures" et le "corps de la pyramide".


Bonaparte et son État-Major en Égypte, par Jean-Léon Gérôme, 1863
(Wikimedia commons)
"Mais, avant de continuer le récit des événements militaires, nous terminerons ce neuvième volume de nos Annales par la description des pyramides, monuments éternels élevés par les anciens habitants de l'Égypte, moins sans doute pour exciter l'admiration de la postérité que pour être l'objet de ses méditations profondes sur le néant de l'orgueil humain.
Les grandes pyramides ou pyramides de Giseh, pour les distinguer de celles qui se trouvent plus au midi dans la plaine ou désert de Sakara, sont situées à l'E.-S.-E. du village de Giseh, dont elles sont éloignées d'à peu près deux heures de chemin.
Pour y arriver, on marche pendant quelque temps sur le sol cultivé qui avoisine le village que nous venons de nommer, et, dans la saison de l'inondation, il faut traverser plusieurs canaux d'irrigation. On trouve le désert à la distance de trois quarts de lieue à peu près de ces monuments gigantesques, qui sont construits sur un plateau que l'art a achevé de niveler.
À mesure qu'on avance vers les pyramides, elles paraissent en quelque sorte s'abaisser et diminuer de l'étendue que l'œil a pu calculer à une plus grande distance : cette illusion tient à leurs formes anguleuses et inclinées ; mais si l'on vient à mesurer par une échelle connue cette masse élevée par la main des hommes, c'est alors qu'elle reprend toute sa grandeur. Ceci sera facilement conçu, si l'on veut se représenter quelques hommes, par exemple, au pied de l'un de ces monuments : la disproportion immense qui se trouve entre ces individus, ou tout autre objet d'une dimension à peu près pareille, et la pyramide, rendra à celle-ci tout son grandiose.
Les grandes pyramides sont au nombre de quatre, placées sur une ligne diagonale, et distantes l'une de l'autre d'environ cinq à six cents pas ; leurs quatre faces répondent aux quatre points cardinaux, le nord, le sud, l'est et l'ouest.
Les deux pyramides septentrionales sont les plus grandes et peuvent avoir à peu près trois cents mètres de hauteur perpendiculaire ; les deux autres sont beaucoup moins hautes.
Le premier de ces édifices que l'on rencontre, et que l'on croit, d'après Hérodote, avoir servi de sépulture au roi Chéops, est le seul qui soit ouvert.
Pour parvenir jusqu'à l'ouverture, qui se trouve sur la face septentrionale, à soixante pieds environ de la base de cette pyramide, on gravit un monticule de décombres et de sables, formé vraisemblablement par suite des fouilles faites dans l'intérieur à différentes époques.
Cette ouverture, avant qu'elle ne fût découverte, était masquée par le revêtissement général de l'édifice, lequel revêtissement formait la dernière clôture des chambres sépulcrales pratiquées dans l'intérieur de la pyramide.

Si l'on veut entrer dans cet asile de la mort, il faut d'abord traverser une première galerie qui se dirige vers le centre et la base de l'édifice. Les matériaux, que l'on a mal extraits ou qui, par la pente de la galerie, sont naturellement retombés dans l'intérieur, joints au sable que le vent du nord y engouffre journellement et qui n'en est point retiré, encombrent ce passage , et le rendent malaisé à traverser. Lorsqu'on est parvenu, avec beaucoup de peine, à l'extrémité, on rencontre deux blocs de granit qui fermaient autrefois la seconde entrée des chambres. Il semblerait que cet obstacle arrêta d'abord les premiers individus qui tentèrent la fouille de la pyramide : après avoir voulu faire une percée infructueuse en entamant le massif de la construction, ils tournèrent autour des deux blocs, qu'ils surmontèrent, et découvrirent une seconde galerie ascendante, mais d'une raideur telle qu'il fallut faire des tailles sur le sol pour en rendre la montée possible. Cette galerie conduit à une espèce de palier où se trouve un trou, que les Arabes et les voyageurs qui ont décrit les pyramides appellent le puits, et l'embouchure d'une galerie horizontale qui mène à une chambre d'une grandeur médiocre, sans corniche ni ornements, à moitié remplie de pierres qu'on a tirées de la muraille à droite, pour y ouvrir un passage qui aboutit près de là à une espèce de niche. Cette chambre est voûtée en dos d'âne, et revêtue partout en granit, autrefois parfaitement poli, mais noirci maintenant par la fumée des flambeaux dont on se sert pour visiter ces lieux. On revient par le même chemin au palier dont nous venons de parler, et l'on continue à suivre la galerie ascendante jusqu'à un second palier où se trouvent des espèces de banquettes taillées dans la pierre, et la troisième et dernière clôture : celle-ci est la plus compliquée dans sa construction, afin sans doute de rendre plus impraticables les tentatives que l'on supposait devoir être faites dans la suite pour la découverte du lieu qui renfermait le corps du souverain.
Une nouvelle ouverture permet de parcourir une autre galerie qui conduit à la chambre dite supérieure ou chambre du roi ; celle que nous venons de décrire plus haut s'appelle vulgairement chambre de la reine. À moitié chemin, on trouve un petit carré plus élevé que la galerie, mais qui n'est pas plus large ; il y a de chaque côté un conduit pratiqué dans la pierre, dans le dessein sans doute de faire rouler les pierres qui devaient fermer l'entrée de la chambre.
Celle-ci est revêtue en granit comme celle de la reine. On trouve à gauche de l'entrée un sarcophage en granit qui présente la figure d'un parallélépipède sans ornements, parfaitement creusé, et rendant, quand on le frappe avec un morceau de fer, le son d'une cloche.
Au nord du sarcophage, on remarque un trou assez profond dont on ne peut savoir l'usage ni l'origine ; on aperçoit aussi deux petites galeries au nord et au midi de la chambre ; leur issue est inconnue, et il est impossible d'y pénétrer, autant par leur peu de largeur que par les pierres qui les encombrent.
Ainsi, c'est pour placer dans un tombeau de trois pieds de haut sur un peu plus de six pieds de large, le corps d'un roi inconnu aujourd'hui, car les historiens anciens ne nous ont fourni que de simples conjectures sur le nom de ce monarque ; c'est, disons-nous, pour un but aussi peu important, aussi inutile dans ses résultats, qu'un édifice aussi immense a été construit ; et c'est sans aucun doute dans un semblable motif que les autres pyramides ont été élevées après celle-ci.
La seconde des pyramides, c'est-à-dire celle qui se trouve la plus rapprochée de la première, paraît, au premier coup d'œil et à une certaine distance, plus élevée que celle-ci : cela vient de l'inégalité du sol sur lequel ces monuments sont placés, et qui se trouve plus élevé vers la base de la seconde pyramide ; mais elles sont réellement de la même grandeur, presque entièrement semblables, et ne diffèrent que parce que celle dont nous parlons maintenant est fermée ; on n'aperçoit même rien qui puisse indiquer qu'elle ait été ouverte. Son sommet est revêtu, des quatre côtés, de granit si bien joint et si bien poli que l'homme le plus hardi n'entreprendrait pas de le gravir : on remarque bien quelques entailles dans la pierre ; mais comme elles ne sont pas pratiquées à des distances égales, ni prolongées assez haut, elles ne peuvent pas être d'un grand secours pour monter.
À l'orient de cette pyramide se trouvent les ruines d'un temple, et vers l'occident on voit une espèce de canal creusé dans le roc.
La troisième pyramide est moins haute de trente mètres que les deux premières, mais elle leur ressemble pour la construction ; elle est sans revêtement. On trouve auprès, et du côté oriental, les ruines d'un second temple, dont les pierres sont d'une grande dimension.
Enfin, la quatrième pyramide, également fermée et sans revêtement, ne se trouve pas tout à fait placée sur la même ligne que les précédentes ; elle est plus à l'ouest et encore plus basse que la troisième d'à peu près quatre-vingt-dix pieds ; son sommet, moins aigu, se termine par un parallélogramme, ou grande pierre qui paraîtrait avoir été destinée à servir de piédestal.
(…) Les grandes pyramides ont été construites à l'extérieur avec de grandes pierres carrées, taillées dans le Mokatam, cette chaîne de montagnes (…) qui se trouve sur la rive droite du Nil. On remarque encore aujourd'hui les carrières ou grottes formées par l'extraction de ces pierres, dont le volume est inégal, mais qui ont toutes la figure d'un prisme. On pourrait croire que chaque rang de ces pierres, ainsi taillées pour être l'une sur l'autre, et comme collées ensemble, doit former un degré sur les quatre faces de la pyramide ; mais on a seulement observé la figure pyramidale, sans s'embarrasser de présenter des degrés réguliers. Les assises extérieures sont jointes, par le propre poids des pierres, sans chaux, sans plomb, et sans ancres d'aucun métal. Le corps de la pyramide est construit avec des pierres irrégulières, cimentées avec un mortier composé de chaux, de sable et d'argile.
La forme pyramidale étant la plus solide que l'on puisse donner à une construction en pierres, il n'y a pas moyen de ruiner un édifice de cette nature, si l'on ne commence pas par son sommet : sa base est trop ferme pour qu'on puisse espérer de le renverser en l'attaquant par ce point. La destruction d'une des grandes pyramides exigerait au moins autant de temps qu'il en a fallu pour élever ce monument."

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