lundi 10 mai 2010

Les pyramides d'Égypte au cœur d'une "Histoire universelle" du XVIIIe siècle - 1e partie

Le second tome de L'Histoire universelle, depuis le commencement du monde jusqu'à présent, composée en anglais par une société de gens de lettres, traduite en français par une société de gens de lettres, et éditée en 1783, comporte un long développement consacré aux pyramides d'Égypte.
Pour être clair, il n'y a aucune révélation particulière à attendre de cette publication, ni même, à proprement parler, une quelconque mise en avant de telle théorie plutôt que de telle autre concernant les questions qui, de tout temps, ont alimenté la réflexion des chercheurs sur la terre des pharaons.
Un exemple parmi d'autres : lorsqu'il s'agit de la Grande Galerie, et plus particulièrement de la fonction des "petits espaces taillés en rectangles parallèles, et placés de chaque côté vis-à-vis les uns des autres", les auteurs se contentent de répondre, sans doute faute de véritables arguments :"ils servaient sans doute à quelque usage particulier". Nous voici bien avancés !
Quoi qu'il en soit, ce texte à caractère encyclopédique fait état des connaissances en matière d'égyptologie vers la fin du XVIIIe siècle et, à ce titre, il revêt, me semble-t-il, quelque intérêt.
Étant donné sa longueur, je l'ai scindé en deux parties (le seconde fera l'objet de la prochaine note de ce blog). Je l'ai également, pour en agrémenter la lecture, subdivisé en divers paragraphes, comme suit :
- inventaire des pyramides
- constructeurs et finalité des pyramides
- inventaire des pyramides - suite (notamment à proximité du Labyrinthe et du lac Mœris)
- époque de construction des pyramides
- destination des pyramides - suite
- pourquoi la forme pyramidale ?


"Nous allons maintenant décrire les bâtiments et les autres ouvrages des anciens Égyptiens  qui ont fait l'étonnement de tous les siècles qui les ont vus.

inventaire des pyramides
Les pyramides, ces masses énormes que les Anciens ont mises avec raison au nombre des merveilles du monde, sont les monuments qui d'abord excitent le plus la curiosité de ceux qui veulent être instruits des raretés de l'Égypte.
On en trouve plusieurs dans différentes parties de cette contrée, et principalement dans la Haute-Égypte (...). Mais celles dont les voyageurs nous ont donné des descriptions plus détaillées, sont situées à l'occident du Nil, près de Jizah, dans l'endroit même qu'occupait autrefois Memphis ; elles sont au nombre de vingt : les trois plus remarquables, et qui sont peu éloignées les unes des autres, ont été décrites par tous les voyageurs qui les ont vues ; les autres se trouvent dans les déserts de la Libye, et semblent avoir été construites sur le plan des trois dont nous venons de parler. Cependant quelques-unes de ces dernières sont encore assez considérables. Il y en a surtout une, située au sud-ouest des premières, à la distance environ de vingt milles, dans le désert, dont les auteurs anciens et modernes n'ont pas fait mention, et qui cependant mérite d'être remarquée. (…)

constructeurs et finalité des pyramides
Les écrivains ne sont pas d'accord sur les architectes de ces pyramides. Josèphe, dont quelques modernes ont embrassé l'opinion, prétend qu'elles furent érigées par les Israélites, pendant leur servitude, mais l'Écriture ne paraît pas favoriser ce sentiment, car Moïse dit que ce peuple y était employé à faire des briques : ainsi leur travail n'était point destiné aux pyramides qui sont bâties en pierres.
D'autres veulent qu'elles aient été élevées par le Patriarche Joseph, pour y renfermer le blé qu'on avait recueilli pendant les sept années de fertilité. Pour donner plus de poids à leur opinion, ils […] font dériver le mot pyramide de pyros, froment. Ce sentiment nous paraît encore moins vraisemblable que le précédent, car, outre que la forme extérieure des pyramides ne convient point à celle d'un magasin, il faut ajouter que la solidité avec laquelle elles ont été bâties ne laisse dans l'intérieur qu'un très petit espace vide.
Selon Hérodote, la première et la plus grande des trois pyramides principales a été bâtie par Chéops, que Diodore appelle Chemmis (nous ferons voir dans la suite que ces deux noms n'appartiennent qu'à une seule et même personne ) ; la seconde, au rapport des deux historiens que nous venons de citer, fut construite par Cephren, frère et successeur de Chéops ; enfin, Mycerinus, un des fils de Chéops, érigea la troisième. Quelques écrivains grecs prétendent cependant que celle-ci fut bâtie par Rhodopis ou Rhodope, courtisane, appelée Doricha par Sapho, et qui était la maîtresse de son frère Charaxus, mais cette assertion est destituée de vraisemblance. Les sommes immenses qu'a dû coûter un pareil ouvrage ne paraissent guère proportionnées à la fortune d'une courtisane ; et quoique certains auteurs ajoutent que plusieurs commandants de provinces, qui étaient épris d'amour pour elle, aient contribué aux frais de l'entreprise, ils n'en rendent pas pour cela le fait plus croyable. D'ailleurs, Hérodote a démontré que ces pyramides existaient longtemps avant Rhodope. Au reste, Diodore avoue que, de son temps même, il y avait déjà une grande variété d'opinions touchant les auteurs de ces monuments célèbres, et dans le pays même, et parmi les historiens étrangers, plusieurs, dit-il, voulaient que la plus considérable eût été construite par Armaeus, la seconde par Amasis, et la troisième par Inaron. Cette incertitude, observe Pline, est le juste châtiment de la vanité de ceux qui entreprirent d'élever ces énormes bâtiments.
Les Arabes, de leur côté, ne s'accordent pas mieux avec les Grecs sur les architectes de ces pyramides. Nous avons déjà rapporté l'opinion qui les attribue à Joseph. La ridicule imagination de ceux qui ont avancé qu'elles avaient été bâties avant Adam, par Jân ebn Jân, seul souverain monarque du monde, est trop absurde pour être comptée. Les autres se réduisent à trois : les uns prétendent qu'elles furent construites par Nemrod ; d'autres, par la Reine Dalûka ; d'autres enfin, par les Égyptiens avant le déluge. Selon les Coptes, la pyramide située à l'Orient est le tombeau du Roi Saurid ; celle qui est à l'Occident est celui de son frère Hujîb ; et la pyramide coloriée, celui de Fazfarinûn, fils de Hujîb. Mais les Sabiens, au contraire, disent que la première fut le sépulcre de Seth ; la seconde d'Hermès (ou Enoc) ; et la troisième de Sabi, dont ces sectaires ont emprunté le nom ; et c'est le motif de l'espèce de pèlerinage qu'ils font, dit-on, aux lieux où sont situées ces pyramides. Lorsqu'ils sont arrivés, ils immolent un coq avec un veau noir, et font brûler de l'encens.
De toutes ces opinions, la plus généralement adoptée veut que les édifices dont nous parlons aient été élevés par Saurid avant le déluge ; et les Coptes rapportent, à l'appui de ce sentiment, l'inscription suivante, qu'on trouve gravée sur les trois pyramides ; elle est conçue en ces termes : "Moi Saurid, Roi, j'ai commencé à bâtir les pyramides dans un tel temps, et j'en ai achevé la construction en six années. Que celui qui viendra après moi et voudra m'égaler, les détruise en six cents ans : il est certain cependant qu'on peut plus facilement renverser un édifice que l'élever. Après que j'eus achevé les pyramides, je les couvris de satin. Que celui dont je parle les couvre de nattes."

inventaire des pyramides - suite (notamment à proximité du Labyrinthe et du lac Mœris)
Quoique les Anciens n'aient point fait mention de diverses pyramides qui existent encore dans les déserts de la Libye, (…) ils nous ont cependant conservé les noms de plusieurs autres, dont la grandeur ne le cédait guère à celle des trois dont nous venons de parler, mais qui depuis plusieurs siècles ont été détruites par le temps. Hérodote en décrit une qui était située à l'extrémité du labyrinthe, et qui avait quarante brasses ou deux cent quarante pieds de circonférence ; on y allait par un passage souterrain ; elle était ornée dans son contour d'animaux en reliefs. Il paraît que c'est celle où furent enfermées, au rapport de Strabon, les cendres d'Imandés, ou, comme Diodore le nomme, Osymanduas ; ainsi, il est très probable qu'elle fut bâtie par ce prince, quoique Strabon ne soit pas d'accord avec Hérodote sur les dimensions de ce monument. Le premier donne quatre cents pieds de largeur et autant de hauteur à chacun de ses côtés.
Pline, dont le témoignage est conforme à celui d'Hérodote, fait la description de plusieurs pyramides bâties près du labyrinthe. Si nous comprenons bien son passage, il les représente comme sexangulaires. Moeris, qui succéda à Osymanduas longtemps avant Chéops, érigea aussi deux pyramides, l'une pour lui, et l'autre pour sa femme, au milieu d'un lac qu'il fit creuser, et dont nous parlerons bientôt. Ces deux pyramides avaient un stade de hauteur ; elles étaient à moitié enfoncées dans l'eau ; et sur le sommet de chacune était placée une statue de marbre, assise fur un trône. On raconte que Chéops, ayant absorbé tous ses trésors pour construire la première et la plus grande des pyramides, prostitua sa fille pour récupérer sa fortune ; et qu'en exécutant les ordres de son père, cette fille forma le projet de s'élever un monument pour elle-même, en exigeant une pierre de tous ceux à qui elle accordait ses faveurs.
Par ce moyen, elle vint à bout de faire élever une pyramide, placée au milieu des trois autres, et dont chaque côté de la base avait environ cent cinquante pieds de largeur. Cette histoire ressemble assez à celle de Rhodope, et pourrait fort bien avoir donné lieu à celle-ci.
Quelques temps après, Asychis, successeur de Mycerinus, construisît une pyramide avec des briques, et fit mettre cette inscription sur une pierre : Ne me comparez pas avec les pyramides de pierres ; je les surpasse autant en excellence que Jupiter surpasse les autres Dieux, car, en raclant le fond du lac avec de longues perches, et en rassemblant le limon qui y était attaché, on en a composé des briques avec lesquelles on m'a bâtie.
Diodore parle de trois autres pyramides, dont chaque côté avait deux cents pieds de longueur. Il dit que l'opinion de son temps était que Chemmis, Cephren et Mycerinus les avaient élevées à l'honneur de leurs femmes.
Il est douteux que ces pyramides existent maintenant, à moins que ce ne soient quelques-unes de celles qui se trouvent encore dans les déserts de la Libye, et dont la mesure s'accorde assez avec celle dont parle Diodore. Mais si ces princes ont érigé ces monuments à la mémoire de leurs épouses, il est surprenant qu'ils les aient placés si loin de leurs propres sépultures, et à la distance de plusieurs milles les uns des autres.

époque de construction des pyramides
Puisqu'il est impossible de découvrir avec certitude quels sont les hommes qui ont bâti les pyramides, il est inutile que nous fassions des recherches pénibles pour fixer le temps auquel elles ont été construites. Quand nous serons parvenus à l'article de la chronologie égyptienne, nous pourrons déterminer le temps où ont vécu les différents princes auxquels on les a attribuées. Nous nous contenterons d'observer ici que ces ouvrages immenses doivent avoir au moins trois mille ans ou à peu près, car Hérodote qui vivait il y a deux mille deux cents ans, après toutes les recherches qu'il avait faites sur ce sujet, y trouvait encore de l'incertitude ; et Diodore, qui a vécu avant la naissance de Jésus-Christ, fait remonter la construction de la grande pyramide au moins à mille ans avant lui.

destination des pyramides - suite
Les auteurs ne sont pas d'accord non plus, comme nous l'avons déjà observé, sur le but que se proposèrent les princes en érigeant ces monuments fameux. Pour ne pas répéter ce que nous avons dit sur l'invraisemblance de l'opinion de ceux qui prétendent qu'elles furent destinées à être des magasins à blé, nous observerons que la plus grande partie des écrivains qui ont traité cette matière ont pensé que ceux qui les ont fait élever n'avaient eu pour objet que de se bâtir des sépulcres. Diodore dit clairement que Chemmis et Cephren élevèrent des pyramides pour leur servir de tombeaux après leur mort, quoique leurs intentions n'aient pas été remplies ; et Strabon affirme que toutes les pyramides situées près de Memphis ont été des sépultures de rois. Ces divers passages s'accordent entièrement avec les écrits des Arabes, comme nous l'avons remarqué plus haut. Quand même nous ne pourrions citer aucune de ces autorités, le tombeau qui se trouve encore aujourd'hui dans la première pyramide serait toujours une preuve incontestable de cette opinion.
Si l'on demande comment les souverains d'Égypte ont pu faire des dépenses si excessives pour construire ces pyramides, qui n'étaient destinées qu'à leur servir de tombeaux, Aristote répond que tout est possible aux despotes et aux tyrans. Pline prétend qu'elles furent élevées par ostentation, et surtout par politique : le peuple étant occupé à ce travail immense ne pouvait guère songer à se révolter. Mais si l'on fait attention à la théologie des Égyptiens, nous leur trouverons un motif plus généreux et plus vraisemblable. Ces peuples non seulement avaient adopté pour dogme celui de la résurrection, mais ils croyaient qu'après la mort l'âme avait encore une certaine union avec le corps, tant qu'il en subsistait quelque partie. C'était aussi l'opinion des Stoïciens. On ne peut attribuer qu'à cette croyance les soins excessifs que prenaient les Égyptiens pour empêcher la corruption des corps ; et les sommes immenses qu'ils employaient pour se construire des sépulcres, n'avaient point d'autre objet.

pourquoi la forme pyramidale ?
Mais quelle était la raison qui les portait à se servir si souvent de la figure pyramidale dans la construction de ces monuments, car c'était chez eux une coutume à laquelle ils ne dérogèrent presque jamais ? Il nous semble qu'ils ont choisi cette forme de structure préférablement à toute autre, parce qu'elle est la plus solide. Cette figure diminuant toujours de diamètre jusqu'au sommet, le bâtiment ne peut s'affaisser sous son propre poids ; et l'intempérie des saisons n'y peut causer que de légers dommages. Peut-être aussi les Égyptiens ont-ils voulu représenter sous cette forme l'image de quelques-uns de leurs dieux. On sait que les pyramides et les obélisques étaient autrefois regardés par ces peuples et par d'autres païens comme les simulacres de différentes divinités. (…)"

Suite dans la prochaine note de ce blog

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