mardi 22 juin 2010

À propos de Giovanni Battista Caviglia – 1e partie

Le "capitaine" Giovanni Battista Caviglia (1770-1845) fait partie de la grande histoire de l'égyptologie. Mais quelle place y tient-il ? Quel y fut son rôle exact ? Quelles furent l'étendue et la portée de ses découvertes personnelles ?
Son nom est notamment lié aux fouilles entreprises sur le Sphinx de Guizeh, ainsi que dans les pyramides de Mykérinos et Khéops. Toutefois, celui qui lui mit le pied à l'étrier de l'archéologie, à savoir le colonel Howard Vyse, tint parfois à son sujet des propos peu amènes. Il y eut même, entre ces deux égyptologues de renom, quelques chamailleries et autres affrontements verbaux dus vraisemblablement à des caractères bien trempés, pas nécessairement enclins à une reconnaissance des mérites respectifs.
Une lecture objective de ce pan de l'histoire de l'égyptologie est contrariée par le fait que, si nous devons à Howard Vyse, un monumental ouvrage - Operations carried on at the pyramids of Gizeh in 1837, 3 vol - sur l'inventaire des découvertes effectuées sous sa responsabilité directe, il n'en va pas de même pour Caviglia dont, à ma connaissance, aucun écrit structuré ne nous est parvenu, hormis quelques correspondances liées précisément à ses litiges avec Vyse.
Tout autre élément d'analyse, convergent ou divergent, et tout point de vue plus éclairé que le mien seront donc les bienvenus, et je m'empresserai de les publier sur ce blog.
Faute d'écrits "de" Caviglia, je me propose donc de publier ici, en plusieurs épisodes, des écrits "sur" Caviglia, qui seront, en dernier lieu, complétés par les quelques correspondances de l'auteur, dont j'ai pu prendre connaissance.

Le premier texte que j'ai retenu est extrait de Voyages en Égypte et en Nubie (1821), de Giovanni Battista Belzoni :

cette époque le capitaine Caviglia venait de se hasarder dans le puits de la première pyramide de Ghizeh. C'était une entreprise vraiment audacieuse , et à laquelle l'enthousiasme seul pour les découvertes archéologiques pouvait entraîner. Le consul, M. Briggs, M. Beechey et moi, nous allâmes voir les progrès qu'il avait faits. Le capitaine Caviglia se trouvait dans une position plus favorable que moi ; cependant il n'avait pas assez de moyens pour continuer les opérations à ses frais. M. Briggs fut le premier qui, par un mouvement généreux, offrit d'avancer de l'argent pour ces recherches. M. Salt et lui s'étant concertés, promirent les fonds nécessaires. Ce ne fut pas le seul service que M. Briggs rendit aux Européens ; il exerça aussi une heureuse influence sur l'esprit de Mahomet-Ali, pour des mesures favorables au commerce d'Europe en général (...).
L'entreprise du capitaine Caviglia doit intéresser tous les amis de l'antiquité, en ce qu'elle a résolu un problème sur lequel le monde savant est resté dans le doute pendant des siècles. Le fameux puits des pyramides, sujet de tant de conjectures, s'est trouvé être un passage pour descendre dans une galerie inférieure qu'il a eu le plaisir de découvrir. Après avoir descendu dans le puits jusqu'à la profondeur de trente-huit pieds, il s'était vu arrêté dans sa marche par quatre grosses pierres. Il en écarta trois, ce qui lui donna une ouverture assez grande pour y passer. Il ne put enlever la quatrième pierre faute de moyens, quoiqu'un jeune homme, employé par M. Baghos, nommé M. Kabitsch, partageât les dépenses avec lui. À vingt-deux pieds au-dessous de cet endroit, ils trouvèrent un caveau de dix-sept pieds de long sur quatre de haut, et à sept pieds au-dessous de ce caveau, il y eut une espèce de plateforme, d'où le puits allait en s'enfonçant jusqu'à la profondeur de deux cents pieds. Le capitaine descendit jusqu'au fond de cet abîme, où il ne trouva que de la terre et du sable ; mais, comme le sol résonnait sourdement sous ses pieds, il présuma que ce passage communiquait avec des excavations encore plus profondes. Il employa, en conséquence, quelques Arabes pour enlever le sable ; mais l'air devenait étouffant à cette profondeur, et les lumières ne brûlaient plus faute d'oxygène ; ce qui força de suspendre les travaux.
Le capitaine dirigea ensuite ses recherches sur un autre point, en commençant à élargir l'entrée du premier passage de la pyramide. Il fut bien récompensé de cette opération, puisqu'il se trouva que ce passage allait en descendant : aussi, après avoir fait travailler quelques ouvriers à enlever la terre et les décombres, ce voyageur arriva, avec beaucoup de peine, il est vrai, par cette voie, dans le puits, et retrouva les paniers et les cordes qu'ils y avaient laissés. C'était le jour de cette découverte que nous nous étions tous entendus pour visiter la pyramide : ainsi j'eus le plaisir d'être témoin du résultat des recherches pénibles du capitaine. En continuant ses travaux, il trouva enfin que le passage souterrain aboutissait à une chambre taillée dans le roc, sous le centre de la pyramide.
Il porta ensuite ses recherches sur les environs des pyramides ; mais ce qui lui coûta le plus de peine, ce fut de mettre à découvert le devant du grand sphinx. Entre les deux griffes de cet animal colossal, il trouva un petit temple, et, sur la poitrine, une grande table de granit, ornée d'hiéroglyphes et de diverses figures sculptées, entre autres de deux sphinx. À l'entrée du temple était placé un lion, comme pour garder les approches. Un peu plus loin, et toujours en face du sphinx, il trouva un escalier de trente-deux marches qui conduisait, en descendant, à un autel muni d'une inscription grecque, du temps des Ptolémées, et ayant de chaque côté un sphinx de pierre calcaire, mais très dégradé. Depuis la base du temple jusqu'au sommet de la tête du grand sphinx, M. Caviglia compta une distance de soixante-cinq pieds. Les jambes du sphinx avaient cinquante-sept pieds de long, depuis la poitrine jusqu'à l'extrémité des griffes, qui ont huit pieds de haut. À quarante-cinq pieds du premier autel, il s'en trouva un autre avec une inscription, faisant mention de l'empereur Septime Sévère ; et une pierre, auprès de la première marche, portait une autre inscription dans laquelle il était question d'Antonin.
Quelque occupation que lui donnât son travail auprès du sphinx, M. Caviglia employa encore des personnes pour faire des fouilles ailleurs. Il ouvrit quelques mausolées encombrés de sable. On y trouva divers petits caveaux ornés d'hiéroglyphes et de figures, dont quelques-unes étaient bien exécutées et dans un bon état de conservation. D'un des puits il retira des momies avec leurs enveloppes en toile, et des fragments d'autres antiquités égyptiennes. Il ouvrit encore quelques petites pyramides ; et, suivant les idées que lui suggérait M. Briggs, sur la direction des travaux, il réussit à découvrir l'entrée de l'un de ces monuments ; mais il paraît que l'intérieur était dans un tel état de dégradation qu'on ne pouvait y avancer que de quelques pas. Sans doute ce passage aurait conduit à quelque chambre ou appartement recelant peut-être un sarcophage ou d'autres objets antiques."

Le second texte, traitant des travaux de Caviglia, que j'ai retenu est extrait, sous la signature de L. Sw. Belloc, de la Revue encyclopédique, ou Analyse raisonnée des productions les plus remarquables dans les sciences, les arts industriels, la littérature et les beaux-arts, tome XXII, 1824, sous le titre Découvertes de M. Caviglia :


"Un Anglais qui voyage en Égypte donne dans une de ses lettres les détails suivants : "Dans le courant du jour, nous visitâmes plusieurs des excavations faites par M. Caviglia. Nous entrâmes d'abord sous une petite voûte de pierre blanche couverte d'hiéroglyphes ; de là nous descendîmes environ 60 pieds, dans trois appartements souterrains, dont l'un contenait deux grands cercueils. On n'y avait trouvé que quelques petites idoles. Nous vîmes aussi une salle carrée très curieuse, sur les murs de laquelle on voit une grande quantité de figures ; c'est M. Sait qui l'a découverte. M. Caviglia est dans ce moment tout occupé d'une entreprise dont la difficulté dégoûterait tout autre que lui ; il croit qu'il existe une communication souterraine entre les pyramides de Gizeh, celles de Saccara et les ruines de Memphis : les premières sont à une distance de quinze milles ; les dernières un peu plus rapprochées. Il est tellement animé par l'espoir du succès, qu'il se lève avec le soleil pour aider les Arabes dans les fouilles : il les a déjà poussées jusqu'à deux ou trois cents verges sous le sable ; mais il s'écoulera des années avant qu'il puisse atteindre son but. De quel enthousiasme ne faut-il pas être animé pour vivre dans ce lieu de désolation, privé de tout commerce avec la société, travaillant comme un esclave au milieu de rochers et de sables brûlants ! À quelque distance de la grande pyramide est le sphinx. Il a les traits, le sein d'une femme, et le corps d'un animal. Entre les pattes était autrefois un autel : la tête est très mutilée. Cette énorme figure est taillée dans le roc. Elle a 25 à 30 pieds de hauteur ; on en mesure environ 16 depuis l'oreille jusqu'au menton. Le corps est presque entièrement enseveli sous le sable. M. Caviglia a fait des efforts inouïs pour déterrer le sein et le corps du sphinx : il y a travaillé avec ses Arabes plus de six semaines. Le vent amoncelait le sable de nouveau sur la statue à mesure qu'ils la découvraient."
Un Arabe Santon, ou Dervis, habite une grande salle creusée dans le roc, non loin de la grande pyramide. Il vit dans une continuelle contemplation, et ne sort que rarement de sa retraite. Il ne paraît pas s'être condamné à cette solitude par le désir de se faire passer pour saint, car il ne va jamais prêcher les tribus arabes. Au milieu de cette existence inerte, cet homme conserve l'expression des passions, une belle tête, un œil vif et pénétrant. Le voyageur anglais alla le visiter avec M. Caviglia. Ils le trouvèrent assis à terre, les jambes croisées, et plongé dans une profonde rêverie. Il se leva en les voyant entrer, et leur offrit du café. Quel singulier rapprochement que celui de ces deux hommes, conduits dans ces déserts par deux passions si différentes et si impérieuses !"

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