vendredi 11 juin 2010

Selon Aloys Hirt (XVIIIe-XIXe s.), Mœris, roi de Memphis, aurait été le premier à avoir fait élever des tombeaux de forme pyramidale

L'Allemand Aloys Hirt (1759-1837) était historien d'art et archéologue spécialiste d'architecture romaine et grecque. Il fut responsable de la collection d'antiquités du roi de Prusse et devint, en 1810, le premier professeur d'histoire de l'art, à l'université de Berlin.
N'ayant pas accès à la traduction de son ouvrage Von den ägyptischen Pyramiden überhaupt, und von ihrem Baue insbesondere (Des Pyramides de l'Égypte en général, et de leur construction en particulier), édité à Berlin en 1815, cet ouvrage reprenant un Mémoire lu à l'Académie royale des sciences de Berlin, le 12 Avril 1810, j'en propose ici la présentation faite par Aubin-Louis Millin dans le Magasin encyclopédique, ou Journal des Sciences, des Lettres et des Arts, 1811, vol. 4.
Une suite de cet article était annoncée. Je n'ai malheureusement pas encore réussi à trouver le vol. 5 de cette même revue.

Portrait d'A. Hirt, par Friedrich Georg Weitsch (Wikimedia commons)
"Parmi les monuments que nous offre l'Égypte, et qui attestent la haute antiquité du peuple qui nous les a laissés, les pyramides sont sans contredit ceux qui méritent le plus notre attention : leurs masses imposantes, leur figure singulière, leur mystérieuse construction, tout commande l'étonnement et l'admiration.
Il est vrai que le sujet n'est plus nouveau ; depuis le milieu du dernier siècle, les pyramides ont été figurées et décrites par des voyageurs du premier mérite, tels que Pococke, Norden, Denon, Grobert, Nouet ; mais il faut convenir aussi que, malgré le talent de leurs auteurs, ces dessins et ces descriptions sont loin d'être satisfaisants : les premiers ne nous offrent que des esquisses superficielles, les secondes sont souvent contradictoires, de sorte qu'on ne sait à laquelle ajouter foi. La cause en est dans les difficultés sans nombre qui s'opposent à ceux qui, voyageant en Égypte, veulent examiner de près ces monuments, et en mesurer exactement les dimensions. L'auteur du Mémoire que nous annonçons n'a pourtant pas pour but d'examiner toutes les questions que peuvent présenter les pyramides ; il se borne à une seule qui est de savoir par quel procédé les Égyptiens ont pu parvenir à élever d'aussi grandes masses. C'est une question qui, quoique discutée fréquemment par les Anciens et les Modernes, n'a pas encore été résolue d'une manière satisfaisante. Mais, avant de l'entamer, l'auteur a jugé convenable, pour répandre plus de jour sur la discussion, de la faire précéder de quelques observations générales sur les pyramides; et il y a consacré la première section de son travail.
Ces observations, que l'auteur a puisées dans différents écrivains, tant anciens que modernes, principalement dans Hérodote, qu'il regarde comme le plus véridique des historiens de l'antiquité, renferment des détails sur la situation des pyramides, sur leur âge, et sur ceux qui les ont fait élever, sur leur destination et l'origine de leur figure pyramidale, sur les matériaux qui ont servi à leur construction, sur leur aspect extérieur, sur leur grandeur et leurs dimensions, sur la digue de pierre qui servait au transport des grandes masses employées dans leur construction, enfin sur les dépenses auxquelles elles ont entraîné.
Quoique ces détails soient généralement exposés d'une manière fort succincte, nous croyons cependant pouvoir les abréger encore davantage, et en présenter ici la quintessence, ce qui ne sera peut-être pas désagréable à ceux de nos lecteurs français qui ne sont pas assez familiarisés avec la langue allemande pour les lire dans l'ouvrage original.

Situation des pyramides

Au rapport des voyageurs, on ne rencontre des restes de pyramides que dans la province de Faiume et dans un petit district des montagnes de la Libye, qui est dans le voisinage du Caire ou de l'ancienne Memphis. C'est précisément dans ces mêmes contrées que les Anciens ont placé les pyramides ; et nous n'avons aucune notice, dit M. Hirt, qui atteste qu'il en ait jamais existé plus avant dans le Delta et dans le reste de l'Égypte.

Auteurs
Cette remarque porte l'auteur à regarder comme fort vraisemblable qu'en général il n'y a point eu de pyramides en Égypte avant que le siège de l'Empire n'eût été transféré de la Haute-Égypte à Memphis, et que l'on se contentait, avant cette époque, de tombeaux creusés dans les rochers, comme sont ceux des Rois de Thèbes, dont on voit encore les restes. Mœris, Roi de Memphis, paraît être le premier qui ait fait élever des tombeaux de forme pyramidale ; environ treize cents ans avant notre ère, il en fit construire deux, pour lui et sa femme, au milieu du lac qui porte son nom.
Les trois grandes pyramides que l'on voit encore aujourd'hui près de Gize, l'ancienne Busiris, sont d'un âge beaucoup moins reculé : la plus grande est attribuée à Chéops, qui a régné environ mille ans avant Jésus Christ ; la seconde, à son frère Chéphrenes ; la troisième, à Mycerinus, fils de Chéops. Le successeur de ce dernier, Asychis, en fit construire une en briques non cuites : ce pourrait être celle qui existe encore près de Dasjur. Parmi les pyramides auprès de Saccara, il y en a deux qui ne le cèdent point en grandeur à celles de Chéops et de Chéphrenes ; cependant les Anciens n'en ont pas fait mention. La plus jeune des pyramides, qu'on rencontre en Égypte, est celle qui accompagne le labyrinthe attribué par Hérodote; à Psammétichus.

Destination ; origine de la figure pyramidale
Les pyramides étaient destinées à servir de monuments sépulcraux : les Anciens sont unanimement d'accord là-dessus. Mais d'où vient leur forme pyramidale ? L'auteur rapporte deux opinions à ce sujet. Suivant l'une. c'est celle de Zoega, il faut en chercher l'origine dans ces petites pyramides dont on recouvrait l'entrée des caveaux souterrains, pour la garantir du sable qui pouvait l'encombrer ; les quatre plans inclinés de cette espèce de couverture étaient très propres à remplir ce but. Suivant l'autre opinion, à laquelle l'auteur paraît donner la préférence, cette forme pyramidale doit être attribuée à la tendance naturelle qu'on a eue de donner une forme plus régulière et plus élégante, et en même temps, plus de solidité et plus de durée; à ces éminences plus ou moins élevées, dont presque tous les peuples ont eu coutume d'orner les tombes de leurs personnages célèbres. Au rapport de Pococke, ajoute l'auteur, on remarque encore aujourd'hui, parmi les pyramides de Saccara, deux monuments qui offrent plutôt l'image grossière de pareilles éminences, que la forme vraiment pyramidale.

Matériaux
On construisait les pyramides soit en briques non cuites, soit en pierres. De la première espèce est une de celles que l'on voit encore près de Dasjur, et que l'on croit être la même que Hérodote attribue à Asychis. Il en était vraisemblablement de même des deux pyramides qui avaient été élevées dans le lac Moeris. Toutes les autres, qui sont près de Dasjur, de Saccara, de Gize, sont en pierres. Leurs masses principales sont construites avec une pierre calcaire peu dure, et entremêlée de plantes et d'animaux marins, dont les carrières se trouvent sur les lieux.
Mais, indépendamment de cette pierre calcaire, on employait encore, à la construction des pyramides, d'autres espèces de pierres mentionnées par les Anciens, et qui venaient de plus loin. L'auteur en nomme deux : la pierre appelée troyenne, et celle appelée éthiopienne. Cette dernière paraît être la syénite noirâtre tachetée de rouge ; quant à la première, on ignore encore aujourd'hui l'espèce à laquelle elle appartient. L'auteur ajoute que Grobert , dans sa Description des Pyramides, p. 98, donne une liste de onze espèces de pierres, tirées des pyramides, qui, ayant été envoyées en France, ont été analysées et déterminées par Fourcroy, Haüy, et d'autres.

Aspect extérieur
Toutes les pyramides sont construites de manière que leurs quatre côtés regardent les quatre points cardinaux. On n'est point d'accord, si la base formait toujours exactement le carré ; mais, ce qui est certain, c'est que le rapport du côté de la base à la hauteur de la pyramide n'était pas soumis à une loi régulière. Il y a des pyramides qui se terminent en pointe, telle est celle de Chéphrenes ; d'autres, comme celle de Chéops, ont en haut une plate-forme, peu considérable, à la vérité, si on la compare à la grandeur de toute la masse. Les pyramides allaient en diminuant, depuis la base jusqu'au sommet, d'une manière insensible et uniforme. Elles étaient revêtues de grandes pierres bien jointes, qui formaient de chaque côté, depuis le bas jusqu'au haut, une surface parfaitement unie. Au-dessous de ce revêtement, les pierres de taille étaient posées les unes au-dessus des autres, de manière à former des degrés et de là vient qu'on monte aujourd'hui avec facilité sur la pyramide de Chéops, qui est entièrement privée de son ancienne couverture.
Plusieurs pyramides étaient ornées à l'extérieur d'inscriptions probablement hiéroglyphiques ; ces inscriptions ont disparu avec le revêtement. Au rapport d'Hérodote, on avait inscrit sur la grande pyramide de Chéops, ce qui avait été dépensé, pendant sa construction, en raves, en oignons et en ail ; et, suivant Diodore, on lisait sur la troisième le nom de Mycerinus qui l'avait fait construire.
Il y a des pyramides qui, au lieu de diminuer également par degrés, du bas vers le haut, offrent plusieurs interruptions qui forment comme autant de paliers ou de repos ; il y en a une fort remarquable près de Saccara, qui présente six interruptions de ce genre. L'auteur pense que ce sont ces pyramides que désigne Pline, lorsqu'il dit que plusieurs ont été commencées, mais n'ont pas été terminées. Quant à l'entrée des pyramides, on n'a encore découvert que celle de deux pyramides ; ces entrées sont pratiquées à une telle hauteur et de telle manière, qu'il est visible qu'on a eu intention de les tenir cachées. L'auteur en conclut que les pyramides n'avaient pas besoin d'être entourées de portiques, comme quelques-uns l'ont supposé.

Dimensions
On n'a point de données certaines sur les dimensions des pyramides ; ni les Anciens, ni les Modernes ne sont d'accord à ce sujet. La plus grande des pyramides, celle de Chéops, a, suivant Greaves et Pococke, 700 pieds de longueur et de largeur, à sa base, et 500 pieds de hauteur perpendiculaire. Grobert lui donne 728 pieds à sa base, et 448 pieds 2 pouces de haut. Nouet ne lui a trouvé que 699 pieds 9 pouces 7 lignes à sa base, et 421 pieds 9 pouces 7 ligues (?) de haut. La pyramide de Chéphrenes a, suivant Grobert, 655 pieds à sa base, et 398 pieds de haut. Des deux grandes pyramides près de Saccara, l'une a, selon Pococke, 700 pieds à sa base, mais seulement 345 pieds de haut ; l'autre a environ 600 pieds à sa base, et 335 pieds de haut. Vient ensuite celle de Mycerinus, qui, suivant Grobert, a 180 pieds à sa base, et 162 de haut. De la même grandeur sont aussi quelques pyramides près de Saccara, entre autres celle avec les six interruptions ou paliers. Il y a en outre des pyramides qui n'ont que 200 pieds, d'autres qui n'en ont que 100, et d'autres qui en ont encore moins. Ces différences dans les dimensions confirment l'auteur dans l'idée qu'on n'a été conduit qu'insensiblement à élever les grandes pyramides. Dans le commencement, dit-il, on se bornait à marquer les tombes par des éminences plus ou moins grandes, construites en pierres ; peu à peu ces éminences prirent la forme de pyramides régulières ; de riches ambitieux poussèrent plus loin ces constructions, et les Rois finirent par élever ces grandes masses que nous admirons aujourd'hui comme des monuments de leur puissance et de leur grandeur.

Digue de pierres
Les Égyptiens ne se contentaient pas, pour leurs pyramides, des pierres qui se trouvaient sur les lieux ; ils en faisaient venir de plus solides, de plus belles, et surtout de beaucoup plus grandes, d'autres contrées de l'Égypte, plus ou moins éloignées. Dans le temps du débordement du Nil, ces grandes masses, dont la moindre, suivant Hérodote, n'avait pas moins de 30 pieds, étaient aisément transportées jusques près du coteau qui, élevé d'environ 100 pieds au-dessus de la vallée du Ni1, borde cette vallée ; mais il s'agissait ensuite de les faire parvenir sur le sommet de ce coteau, et de là au lieu de la construction. On effectuait ce transport à l'aide d'une digue de pierres que l'on conduisait depuis le lieu où les pierres devaient être débarquées, jusques sur la hauteur, et qui se continuait ensuite en droite ligne jusqu'à l'endroit où elles devaient être employées. La digue que Chéops fit construire avait, au rapport d'Hérodote, 3.000 pieds de longueur, 60 de largeur, et en plusieurs endroits 48 pieds de hauteur. Suivant Pococke, on voit encore aujourd'hui les restes de cette digue. Norden a indiqué, dans son Plan des Pyramides, deux autres digues semblables, dont l'une conduisait vers les deux grandes pyramides, et l'autre vers celle de Mycerinus. Il paraît, ajoute l'auteur, que ces digues ne s'élevaient pas insensiblement vers le sommet du coteau, mais qu'elles formaient par le haut une surface parfaitement horizontale, et qu'on se servait de machines pour tirer les pierres des bateaux, et les élever à la hauteur de la digue."

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