vendredi 8 octobre 2010

“Il y avait deux Égyptes, l'une sur terre, l'autre sous terre, et les pyramides participaient de l'une et de l'autre” (M. Garat - XVIIIe s.)

Le texte présenté ici est extrait du tome 13 de la Correspondance littéraire, philosophique et critique de Friedrich Melchior Grimm (1723-1807) et Denis Diderot (1713-1784), éditée de 1829-1831. Il porte pour titre Fragment d'une leçon de M. Garat, sur les Pyramides d'Égypte, leçon donnée en août 1786.
Mais qui était l’auteur de cette leçon ? Il m’a été difficile de l’identifier.
Deux indices sérieux me permettent toutefois d’y reconnaître l’avocat, journaliste et philosophe Dominique-Joseph Garat (1749-1833) qui, entre autres fonctions officielles (ministre de la Justice, ambassadeur, membre de l’Académie française...), fut professeur au Lycée, un établissement explicitement cité dans la présentation du fragment présenté dans la Correspondance. (*)  Par ailleurs, la courte biographie de Garat proposée par le site Internet de l’Académie française précise bien que cet auteur fut “professeur d'histoire au Lycée”.
On remarquera évidemment dans ce texte l’influence de la théorie de Fialin de Persigny, selon laquelle les pyramides égyptiennes ont été bâties pour servir de rempart contre l’une des plaies d’Égypte : l’ensablement. Mais les propos de Garat embrassent des considérations plus générales, notamment sur le mode d’habitat dans l’Égypte ancienne et sur les pratiques rituelles qui étaient censées se dérouler dans les entrailles des pyramides.
En préambule à la lecture de cette théorie, la présentation qu’en ont faite les auteurs de la Correspondance “sonne juste” dans l’esprit d’objectivité qui guide le contenu de notre blog : “Sans vouloir adopter l'opinion de l'auteur, nous avons pensé que la manière dont elle est discutée pourrait mériter l'attention de nos lecteurs, et serait propre en même temps à leur donner quelque idée de l'instruction intéressante qu'offre le nouvel établissement du Lycée.”
Dominique-Joseph Garat (Wikimedia commons)
“L'Égyptien et l'Africain ont toujours beaucoup plus vécu sous terre que sur la terre, et ces souterrains, ces demeures sombres qui effrayent notre imagination, sont les domiciles qu'ils préfèrent, sont pour eux des asiles délicieux. Presque dans toute l'étendue de l'Afrique, le climat a rendu ces habitations nécessaires dans beaucoup de moments, et agréables dans tous les temps. (...)
Plus de la moitié des pyramides était souterraine, et la partie même qui s'élevait à six cents pieds, formée d'énormes rochers de trente à quarante pieds d'épaisseur, fermée presque hermétiquement dans toute sa circonférence, était encore, pour ainsi dire, un souterrain élevé dans les airs. On y a trouvé quelques soupiraux, et c'était sans doute pour renouveler l'air de la pyramide dans les saisons et dans les heures où celui de l'Égypte était moins embrasé. C'est là que les prêtres de l'Égypte se retiraient pour méditer sur leurs Dieux et en faire de nouveaux, pour prendre des mesures contre les usurpations de quelques-uns de leurs rois, sans doute aussi pour célébrer ces mystères si fameux dans l'antiquité ; ces initiations dans lesquelles on soumettait à tant d'épreuves les étrangers qui voulaient connaître toute la sagesse égyptienne. Ces demeures si obscures étaient très propres à porter la terreur dans l'âme des aspirants. Ces édifices, qui s'élevaient si haut et qui descendaient si bas, étaient admirablement imaginés pour persuader à l'initié qu'on l'élevait dans les cieux et qu'on le précipitait dans les enfers. Ces longs canaux, ces galeries où le bruit d'un coup de pistolet se répète en longs échos vingt ou trente fois comme le bruit d'un canon, étaient merveilleusement construits pour faire entendre à l'oreille des initiés les longs retentissements du tonnerre ; en un mot, tout me persuade que ces pyramides servaient à un grand nombre des fonctions de la société, comme tous les édifices du même genre...
Il y avait deux Égyptes, l'une sur terre, l'autre sous terre, et les pyramides participaient de l'une et de l'autre ; elles descendaient sous terre, elles s'élevaient dans les airs, mais toujours avec des moyens de défendre les Égyptiens des deux grands fléaux de leur climat, la sécheresse brûlante du ciel et les tourbillons de sable enflammé. Je ne sais si cette explication sera approuvée, mais elle est puisée dans la nature du climat, dans l'esprit général de l'architecture des Égyptiens, dans leur goût ou plutôt dans leur passion pour les habitations souterraines, dans les rites de leur religion, dans tout ce que l'histoire raconte de prodiges de leur initiation. Les autres conjectures attribuent de si grands édifices à une petite cause, ma conjecture les attribue à toutes les causes qui agissaient avec le plus de puissance sur toute la nation.”


(*) Toute information contradictoire sera la bienvenue, et je m'empresserai d'apporter le rectificatif, si nécesaire.

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