vendredi 12 novembre 2010

Selon Gratien Lepère (XVIIIe-XIXe s.), le puits de la Grande Pyramide “n’a été creusé qu’après l’érection de cette pyramide”

J’ai déjà présenté dans ce blog le Mémoire sur les pyramides d'Égypte et sur le système religieux de leur érection et de leur destination (1826) de Gratien Le Père (1769-1826), ingénieur en chef au Corps royal des Ponts et Chaussées.
Je complète par une autre publication du même auteur, consacrée à des Observations sur le profil de nivellement de la vallée du Nil, entre le Meqyâs de Roudah (1) et la Grande Pyramide de Gyzeh (1825).
Le lien entre le Nil et le site de Guizeh est une évidence, quelles que soient les différences que l’on puisse constater dans ses applications ou interprétations.
Depuis Hérodote, le “puits” de la Grande Pyramide a donné lieu à maintes explications ou conjectures. Il m’a semblé intéressant de recueillir ici le point de vue d’un technicien qui, tout en étant à l’écoute des propos d’Hérodote, étaie son propos d’observations scientifiques... ou de simples remarques de bon sens.

Photo Marc Chartier


“On doit croire que le lit du Nil a occupé, à différentes époques, divers points de la vallée. Il ne paraît cependant pas qu'il ait changé sensiblement, du moins entre Memphis et la ville moderne du Kaire, depuis qu'un Pharaon rejeta son lit à l'orient de cette ancienne capitale de l'Égypte. Voici ce qu'on lit dans Hérodote, à ce sujet ; on y verra que le Nil a coulé primitivement, sur la plus grande partie de son cours, au pied de la chaîne libyque : “Ménès, qui fut le premier roi d'Égypte, fit faire, au rapport des prêtres, des digues à Memphis. Le fleuve, jusqu'au règne de ce prince, coulait entièrement le long de la montagne sablonneuse qui est du côté de la Libye : mais, ayant comblé le coude que forme le Nil du côté du midi, et construit une digue à cent stades environ au-dessus de Memphis, il mit à sec son ancien lit, et lui fit prendre son cours par un nouveau canal, afin de le faire couler à égale distance des deux montagnes ; et encore aujourd'hui, sous la domination des Perses, on a une attention particulière à ce même coudé du Nil, dont les eaux, retenues par les digues, coulent d'un autre côté, et l'on a soin de les fortifier tous les ans. En effet, si le fleuve venait à les rompre et à se répandre de ce côté-là dans les terres, Memphis risquerait d'être entièrement submergée. Ménès, leur premier roi, fit bâtir, au rapport des mêmes prêtres, la ville qu'on appelle aujourd'hui Memphis, dans l'endroit même d'où il avait détourné le fleuve et qu'il avait converti en terre ferme.”
Hérodote ne précise pas la distance de la grande pyramide au Nil, ni à la ville de Babylone, dont il ne fait pas mention. Diodore fixe à quarante-cinq stades la distance du Nil à la pyramide de Chemmis. Si, dans cette indication, l'on adopte, non le petit stade égyptien de 51 toises [99 m, 40], qui serait évidemment beaucoup trop petit, mais le stade grec de 95 toises [185 m, 16], qu'il paraît bien que Diodore a employé dans son Histoire, on trouve que cette distance est de 4275 toises ou de 8332 m, 13.
Cette indication coïncide avec celles qui sont données par la nouvelle carte du grand atlas ; mais elle est plus forte de 1200 mètres que celle déduite des calculs astronomiques dans l'évaluation de la distance directe de la tour des Janissaires à l'axe de la grande pyramide de Gyzeh. Cette distance peut avoir été déduite d'une marche itinéraire, qui serait, dans ce cas, d'un septième en sus de la marche en ligne directe. (...)
Nous terminerons ces observations par celles que suggère le travail fait de la main des hommes dans les deux montagnes qui bordent la vallée du Nil : j'entends parler du puits de Joseph (2), creusé dans la citadelle du Kaire, à l'orient, et de celui qui a été également creusé ou du moins ébauché sur la montagne occidentale, dans l'intérieur de la grande pyramide. Ces puits rappellent le besoin si vivement senti dans tous les temps en Égypte, de la présence des eaux du fleuve dans les lieux adjacents à sa vallée et que la nature en a privés. (...)
Quant au puits de la grande pyramide assise sur la montagne occidentale, située à l'opposite de celle du Kaire, on ne peut pas douter, d'après ce qu'en dit Hérodote, qu'il n'ait été creusé après l'érection de cette pyramide, pour servir à porter des eaux du Nil dans son intérieur. Comment supposer, en effet, un autre but d'utilité à ce puits ? Car, si ce n'eût été que pour procurer seulement une communication souterraine et mystérieuse avec l'intérieur de la pyramide, on n’aurait certainement pas eu besoin de le creuser à une aussi grande profondeur, ni même pour correspondre à la figure colossale de l’Andro-sphinx, dont le dessous du menton est de 25 m, 819 inférieur au plan de la base de la pyramide, et de 20 m, 025 supérieur au fond de ce puits. Voici les calculs sur lesquels j'ai établi l'ordonnée ou cote du fond de ce puits, d'après notre nivellement :


Si l'on cherche à connaître à quel point des subdivisions de la colonne nilométrique répond l'ordonnée ou cote du fond de ce puits, qu'on trouve ici à une très grande approximation, on trouve qu'elle correspond à dix coudées dix-sept doigts, comme on peut s'en assurer par la table donnée ci-dessus.
On voit donc que la cote de profondeur de ce puits, qui approche de la ligne des eaux moyennes du Nil, est beaucoup inférieure à tous les points du sol actuel de la vallée, et qu'incontestablement, nous le répétons, ce puits n'a été creusé à cette profondeur que pour donner en tout temps des eaux du fleuve dans l'intérieur de la pyramide, quoique ses faibles dimensions de largeur ne doivent le faire considérer que comme l'ébauche d'un travail entrepris et abandonné après l'érection de cette pyramide.”

(1) Voir ce qui est écrit sur ce nilomètre dans la Description de l’Égypte.

(2) passage non retenu ici

Aucun commentaire: