jeudi 9 décembre 2010

Selon la baronne de Minutoli (XIXe s.), les pyramides d’Égypte, construites par des rois pasteurs, ont servi au culte sabéen

Épouse de l’archéologue prussien le général Heinrich Menu von Minutoli (1772-1846), la baronne Wolfradine Auguste Luise von Minutoli a eu l’occasion de suivre son mari lors de ses missions de fouilles en Égypte. Elle relata cette période dans son ouvrage Mes souvenirs d’Égypte, publié en 1826.
Le texte ayant été “revu et publié” par Désiré Raoul Rochette, voici comment cet archéologue présentait l’ouvrage. On appréciera au passage le ton... condescendant !
“Ce livre n'a pas seulement le mérite d'être d'un petit volume et d'un format commode ; écrit sans prétention, ce qui est rare par le temps qui court, il intéresse par un ton de candeur, de franchise et de bonne foi, qui n'est guère plus commun chez les auteurs de profession. Il y est question d'antiquités, sans qu'on y trouve la moindre trace de la morgue de l'antiquaire (...). On croirait difficilement que tant de qualités presque incompatibles aient pu se trouver réunies chez une femme et chez un auteur, s'il fallait s'en rapporter uniquement à la parole d'un éditeur (...).Il faut donc indiquer les titres de notre auteur à la confiance du public ; et c'est là, sans doute, la partie la plus agréable de notre tâche.
Épouse d'un général distingué, à qui la profession des armes n'avait pas fait abandonner la culture des lettres, madame la baronne de Minutoli accompagna son mari dans le voyage scientifique qu'il fit en Égypte, et dont il a publié les importants résultats. Ainsi familiarisée, par le lien même qui l'unit à un homme instruit et lettré, avec les souvenirs et avec les monuments de l'antiquité ; trouvant, jusque dans ses devoirs domestiques, un moyen de cultiver et d'étendre ses connaissances, et devenue presque antiquaire elle-même, en suivant, dans le domaine des antiquités, un homme qui en possède à la fois le goût et la science, il ne faut pas s'étonner si madame la baronne de Minutoli a pu, toute femme qu'elle est, voyager en Égypte plus sérieusement que quelques hommes, y recueillir des observations qui avaient échappé à beaucoup de savants, en rapporter enfin des souvenirs qui valent mieux que bien des livres.”
Mais il est temps de laisser la parole à Madame la baronne, décrivant la visite qu’elle a pu faire des pyramides de Guizeh :




Illustration extraite de la Description de l’Égypte
“Aucun des nombreux voyageurs qui visitent de nos jours l'antique domaine des Pharaons, ne négligera de contempler de plus près les gigantesques et durables monuments de ces rois pasteurs. Ce qu'il y a de singulier, c'est que le temps qui transmet plus facilement aux générations futures les traditions que les ouvrages élevés par la main de l'homme, n'ait rien conservé de précis sur le but primitif de ces étonnants édifices. Hérodote, lui - même, qui les a cependant contemplés plus de vingt siècles avant nous, s'est contenté de quelques données vagues, qui se réduisent plutôt à des suppositions qu'à des notions historiques.
La plupart des autres auteurs anciens ne sont pas d'accord non plus sur l'époque et le but de leur construction ; Aristote, en parlant des pyramides, prétend, entre autres choses, qu'elles ont été élevées par la tyrannie, afin d'occuper le peuple et de l'empêcher de se porter à la révolte. La supposition la plus généralement accréditée et qui s'appuie sur le goût connu des anciens Égyptiens pour la magnificence des tombeaux, est celle qui nous fait regarder les pyramides comme les mausolées ou les sépulcres de leurs fondateurs. Il est cependant vraisemblable que ces singuliers édifices ont aussi servi aux initiations et peut-être aux cérémonies religieuses de ce peuple pasteur, qui fit une invasion en Égypte, et qui était attaché au culte sabéen. Il est connu que la dynastie de ces rois pasteurs se maintint en Égypte pendant plusieurs siècles, et qu'elle avait choisi Memphis pour sa résidence, tandis que l'ancien gouvernement sacerdotal s'était concentré à Thèbes.
Désirant nous convaincre par nos propres yeux, de la grandeur colossale de ces édifices, dont on ne peut juger qu'en se trouvant, pour ainsi dire, à leur pied, nous fixâmes un jour pour nous y rendre, accompagnés d'une société nombreuse et de toutes les dames de la maison Nozetti. Ces dames, devant traverser une grande partie de la ville, et craignant la fatigue et la chaleur de leur grande enveloppe de soie noire qui leur masque la moitié de la figure, choisirent le costume mamelouck, et, sans trop savoir pourquoi, je suivis leur exemple. (...)

“On reste frappé d'étonnement à la vue d'une semblable entreprise”
En apercevant de loin ces monuments, ils ne nous parurent pas d'une grandeur colossale, et ce n'est qu'après nous en être tout-à-fait approchés que nous pûmes juger de l'immensité de leurs dimensions, par les objets de comparaison qui se trouvaient à notre portée. Un étonnement silencieux, approchant de l'effroi, saisit l'âme à la vue de cet amas gigantesque de pierres, qui paraît être posé là, au milieu de ce désert, par enchantement. Quand on considère combien de milliers de bras ont travaillé à élever ces édifices, et combien de connaissances les anciens devaient posséder dans l'emploi des moyens mécaniques, non seulement pour parvenir à transporter ces énormes blocs de pierres, mais encore pour réussir à les élever à cette hauteur, on reste frappé d'étonnement à la vue d'une semblable entreprise, et l'on fait des réflexions pénibles sur l'inutilité de la plupart des travaux des hommes.
J'entrai dans la plus grande des pyramides, appelée la pyramide de Chéops. Les dames ne voulurent point m'y suivre, car le chemin, voûté et tortueux qui conduit dans l'intérieur de ce bâtiment, est très pénible à parcourir ; dans plusieurs endroits, on est obligé de se coucher par terre et de se glisser de cette manière par une ouverture très étroite ; dans d'autres les degrés sont si élevés que sans l'aide de mes deux Arabes qui me soutenaient et me portaient, pour ainsi dire, je n'aurais jamais pu parvenir à les escalader. Malgré mon déguisement, ces bonnes gens avaient sans doute deviné mon sexe, car ils avaient pour moi beaucoup d'attentions, me rassurant et me prévenant sans cesse des passages dangereux qu'il fallait traverser ; d'autres Arabes nous devançaient avec des flambeaux ; l'obscurité de cette voûte souterraine, les singuliers effets de lumière qui se produisaient sur la figure rembrunie et expressive de mes conducteurs, les cris des oiseaux de nuit et des chauves-souris auxquels ces lieux sombres et solitaires servent de refuge, et l'atmosphère suffocante que nous respirions, me faisaient croire par instant que j'étais le jouet de quelque songe dans lequel je voyais se dérouler devant moi les scènes de la lanterne magique d'Aladin.
Nous arrivâmes cependant dans la grande pièce de l'intérieur de la pyramide, sans que le roi des Gnomes me fût apparu, et je n'y trouvai qu'une espèce de sarcophage ouvert, extrêmement simple, qu'on suppose être le tombeau d'un des Pharaons. Si ces pyramides étaient destinées aux initiations (1), je conçois que la singularité de ce chemin souterrain ait servi à exalter l'imagination des initiés, et qu'à l'aide de l'obscurité qui y règne, on ait pu ajouter à la terreur que ce lieu inspire.
J'avoue que j'éprouvai, en sortant, un mouvement de joie bien vif, quand je revis au-dessus de ma tête la voûte azurée et la clarté du jour. Me sentant trop épuisée, il me fut impossible de gravir au sommet de la pyramide, d'où l'on doit jouir d'une vue extrêmement étendue ; mon mari, qui y monta, me dit cependant que la vue n'en était pas aussi ravissante, que Savary et d'autres voyageurs l'avaient prétendu, à cause des chaînes de montagnes arides et des déserts de sable qui les environnent.
Nous nous amusâmes ensuite à faire le tour des autres pyramides, et le jour commençant à baisser, nous rentrâmes dans nos tentes que nos Arabes avaient eu soin de dresser au pied de la grande pyramide. Nous y trouvâmes le Kiaschef de Gizeh, commandant de cette bourgade et du district qui l'environne, homme d'une certaine importance, qui, ayant appris notre arrivée, était venu pour nous recevoir et pour nous faire des politesses. Il avait amené quelques moutons, qui furent sur-le-champ tués, rôtis et servis en entier.”

(1) “Ce qui rend cette supposition encore plus vraisemblable, c'est la construction intérieure de la grande pyramide de Saccara, dont mon mari fit découvrir l'entrée. Cette pyramide contient un grand nombre de chemins et de corridors, et plusieurs chambres, dans les murs desquels on avait incrusté des morceaux de porcelaine convexe, de couleurs variées, ce qui, vu à la lumière , devait faire un joli effet. On y voyait aussi des hiéroglyphes au-dessus de plusieurs portes, ce qu'on n'a pas eu lieu de remarquer jusqu'à présent dans les autres pyramides. La plus grande de ces pièces, dont les murs étaient noircis par la fumée des flambeaux, contenait, au lieu de sarcophage, une espèce de petit sanctuaire, formé par plusieurs blocs de pierre, posés les uns sur les autres, où un homme pouvait facilement entrer et d'où l'on faisait sans doute sortir la voix de l'oracle. Il est fâcheux que les sables du désert aient encombré l'entrée de cette pyramide peu de temps après les travaux que mon mari y avait fait entreprendre. Vingt-cinq Arabes y avaient travaillé pendant vingt-deux jours. Pour arriver dans l'intérieur on était obligé de descendre un puits de la profondeur de cinquante pieds. Ce passage était des plus dangereux, car peu de temps après que mon mari y descendit pour la première fois, ce puits s'écroula, et fut tellement encombré, qu'il fallut plus de huit jours avant qu'on réussît à en rendre de nouveau l'accès praticable. Si dans un moment pareil des individus se fussent trouvés dans l'intérieur de la pyramide, ils auraient été victimes d'une mort cruelle.”

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