mercredi 31 mars 2010

Une visite des pyramides au pas de charge

Le colonel Chalbrand (1773?- ) fit partie de la Campagne d'Égypte. Et tant qu'à devoir résider au Caire pour les besoins de la chose militaire, pourquoi ne pas en profiter pour découvrir les richesses archéologiques du pays ?
À en juger d'après certaines relations qui nous sont parvenues, c'est bien en effet ce que firent les officiers de l'armée du futur Empereur des Français. Quant aux bidasses et autres troufions (les futurs "grognards"), les chroniques de l'époque restent muettes à leur sujet...
Mais à lire le texte qui suit, extrait de l'ouvrage Les Français en Égypte, ou souvenirs des campagnes d'Égypte et de Syrie par un officier de l'expédition (1857), rédigé par Just-Jean Étienne Roy (1794-1871?) à partir des observations et indications du colonel Chalbrand, on a comme l'impression que nos braves militaires étaient habitués à des expéditions rondement menées, y compris pour un petit détour à teneur culturelle.
Un simple coup d'œil furtif au Sphinx, un arrêt de quelques instants à Saqqarah, rien à dire - ou si peu - de "ces merveilles de l'antiquité", "rien de bien curieux" à visiter à l'intérieur de la Grande Pyramide : voilà le type même des touristes en goguette ! Fort heureusement, Bonaparte avait emmené dans ses bagages une autre "armée", de savants cette fois-ci, dont la curiosité scientifique et les observations minutieuses des ruines antiques et solennelles de Guizeh donnèrent à l'égyptologie l'impulsion que l'on sait.

"Nous revînmes aux Pyramides, où nous fîmes une halte.
C'était la première fois que je voyais d'aussi près ces gigantesques monuments, vers lesquels mes regards se portaient si souvent depuis que j'habitais le Caire, et que j'avais depuis si longtemps le désir de visiter. Malheureusement ce jour-là nous n'avions pas le temps de nous arrêter à faire des observations ; je ne pus que contempler dans une sorte d'admiration silencieuse ces immenses constructions, dont, suivant la belle expression de Delille, "La masse indestructible a fatigué le temps".
Je fis le tour de la plus grande, appelée Chéops, et je pus m'assurer de la justesse de l'observation faite avant moi : c'est que les pyramides semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées qu'on acquiert une idée juste de leur masse et de leur immensité. Je donnai ensuite un coup d'œil au sphinx et aux excavations chargées d'hiéroglyphes, et nous remontâmes à cheval.
Nous nous dirigeâmes, en suivant les confins du désert, sur un village où nous passâmes la nuit. Le lendemain nous continuâmes notre course jusqu'aux pyramides de Sakkarah, bien plus petites et bien plus anciennes que celles de Giseh ; car, s'il faut en croire certains savants, elles auraient été bâties par des rois de la troisième dynastie, qui régnaient cinq mille ans avant Jésus-Christ. Mais, nonobstant mon respect pour ces savants, on me permettra d'opposer plus que du doute à l'exactitude prétendue de cette date.
Sakkarah est l'antique cimetière de Memphis, appelé la Plaine des Momies, parsemée de pyramides et de tombeaux. Son aspect est triste et affligeant. La rapacité des fouilleurs y a répandu la dévastation ; les tombeaux ornés de sculptures sont ravagés, le sol est couvert de monticules de sable produit par les bouleversements, et il est tout parsemé d'ossements humains à découvert, blanchis par le temps, restes des plus vieilles générations.
Nous ne nous arrêtâmes que peu d'instants à Sakkarah, et nous revînmes par le désert en nous dirigeant sur les grandes pyramides. (...)
La vue des pyramides avait excité en moi le désir de les visiter plus complètement que je n'avais pu le faire [au cours d'une excursion précédente]. Kléber, qui était venu passer quelques jours au Caire, voulut voir les pyramides, et il témoigna le désir d'être accompagné par quelques-uns des antiquaires de la commission. Je m'étais lié avec la plupart d'entre eux, et ils voulaient bien encourager mon goût pour l'archéologie et m'éclairer de leurs lumières. Ils me proposèrent de faire partie de la caravane qui devait accompagner Kléber, et je ne laissai pas, comme on le pense bien, échapper une si belle occasion.
Je ne dirai que peu de choses de ces merveilles de l'antiquité, dont la description se trouve partout. La plus grande, le Chéops, a quatre cent quarante-sept pieds de haut ; de loin elle paraît finir en pointe, mais elle se termine par une petite plate-forme sur laquelle je suis monté, et où pourraient tenir plusieurs personnes. Cette plate-forme n'existait pas dans l'origine ; elle a été formée par l'enlèvement des deux assises supérieures qui terminaient la pyramide et portaient sa hauteur à quatre cent cinquante-un pieds (onze pieds de moins que le clocher de Strasbourg).
Sauf un petit nombre de chambres, deux couloirs et deux étroits soupiraux, la pyramide est entièrement pleine. Les pierres dont elle se compose forment une masse véritablement effrayante. Un membre de l'Institut d'Égypte qui nous accompagnait nous dit que cette masse, d'environ soixante-quinze millions de pieds cubes pourrait fournir les matériaux d'un mur haut de six pieds, qui aurait mille lieues et ferait le tour de la France.
Hérodote parle d'une inscription tracée sur la grande pyramide ; des inscriptions en caractères antiques et inconnus y existaient encore au Moyen-Âge, selon les auteurs arabes ; aujourd'hui on ne lit rien sur les murs des pyramides. Notre savant nous expliqua cette contradiction apparente en nous apprenant que la grande pyramide était primitivement recouverte d'un revêtement en pierre polie, ou plutôt d'un marbre blanc appelé marbre arabique, et tiré des bords de la mer Rouge. C'est sur ce revêtement, dont une partie fut enlevée par Saladin pour la construction d'un palais ou d'une mosquée, et dont une partie subsistait encore au XVe siècle, que se lisait sans doute l'inscription rapportée par Hérodote.

Nous voulûmes ensuite visiter l'intérieur, quoiqu'il n'y ait rien de bien curieux. Nous entrâmes du côté du nord, par un corridor qui descend d'abord, puis remonte et conduit à la salle qu'on nomme la chambre du roi, et qui renferme un sarcophage de granit. Le travail de la maçonnerie est merveilleux, et la lumière agitée des torches est reflétée par un mur du plus beau poli. De cette salle partent des conduits étroits qui vont aboutir au dehors ; nous ne pouvions en comprendre la destination, et chacun hasardait ses conjectures ; celle de notre savant nous parut la plus simple et la plus rationnelle : c'est que ces conduits étaient tout simplement des ventilateurs nécessaires aux ouvriers pendant qu'ils travaillaient dans le cœur de la pyramide.
Nous visitâmes ensuite la chambre de la reine, placée presque au-dessus (*) de la première et dans l'axe central de la pyramide ; puis une troisième chambre, beaucoup plus bas et taillée dans le roc. On parvient à cette dernière chambre, ou par un puits, ou par un passage incliné qui va rejoindre l'entrée de la pyramide.
Telle est la disposition de la grande pyramide ; celle des deux autres que nous visitâmes ensuite est analogue ; seulement leur maçonnerie n'offre aucun vide, et les chambres qu'elles renferment sont creusées dans le roc."

(*) lire évidemment "au-dessous"
L'illustration est extraite de l'ouvrage

mardi 30 mars 2010

Les "fameuses pyramides", selon Benoît de Maillet - 3e partie

Seconde partie de la sixième Lettre de Benoît de Maillet, publiée dans sa Description de l'Égypte, contenant plusieurs remarques curieuses sur la géographie ancienne et moderne de ce pays, sur ses monuments anciens, sur les mœurs, les coutumes et la religion des habitants, sur le gouvernement et le commerce, sur les animaux, les arbres, les plantes, etc., composée sur les Mémoires de M. de Maillet, ancien Consul de France au Caire, 1735.
Cette Lettre, je le rappelle, est entièrement consacrée à une description des "fameuses pyramides d'Égypte, en particulier de la plus grande, de son intérieur et des secrets qu'elle renferme".
Mais avant d'en arriver à la Grande Pyramide proprement dite (objet d'une prochaine note sur ce blog), l'auteur s'attarde sur le site environnant pour y examiner, "du côté du Levant", la chaussée qui fut utilisée pour le transport des blocs de pierre, puis sur le Sphinx qui a droit a une revue de détail. La deuxième et la troisième pyramides ne font l'objet, quant à elles, que de considérations générales.
On ne manquera pas de noter certaines interprétations auxquelles se livre Benoît de Maillet et qui sont marquées par les connaissances de l'époque, avec leurs limites (deuxième et troisième pyramides n'ayant pas encore été ouvertes). Par exemple : le Sphinx autrefois couvert par un temple ; le sommet de la seconde pyramide conçu comme plate-forme pour recevoir une statue représentant le pharaon (cette remarque pouvant d'ailleurs être appliquée aux autres pyramides)...
Quoi qu'il en soit de la justesse de ces interprétations, à la lumière de nos critères d'appréciation actuels, il faut surtout relever le souci manifeste de l'auteur de mener le plus consciencieusement possible son enquête sur le terrain, en examinant chaque coin et recoin du site visité, en s'éclairant également d'avis d'auteurs anciens, notamment arabes, avec les risques, peut-on ajouter aujourd'hui, de telles références. Mais au vu des techniques d'observation pratiquées par Benoît de Maillet, on peut se dire que, dans le sillage de John Greaves qui découvrit les pyramides un siècle auparavant, l'égyptologie scientifique est déjà en marche.

"Il y a plusieurs pyramides en Égypte ; mais les plus belles, les plus entières, les plus grandes sont celles qu'on rencontre presque vis-à-vis, et à l'est (*) de ce que nous appelons le vieux Caire, et à deux ou trois lieues de distance de cette ancienne ville. Ce sont les plus septentrionales de toutes celles qui existent aujourd'hui en Égypte, et les plus voisines du Delta, dont elles ne sont éloignées que de cinq lieues. Elles sont situées sur la rive gauche du Nil, et assises sur le penchant d'une colline de pierre solide, qui par une pente assez douce s'élève à une hauteur très considérable ; c'est-à-dire que ces montagnes, dont j'ai parlé ailleurs, qui bornent le Nil au Couchant, et séparent l'Égypte de la Libye, s'abaissent en cet endroit par l'espace d'une grande lieue, et que sur l'extrémité de cette pente, à la hauteur d'environ deux cent cinquante pieds que le Nil arrose de ses eaux, s'élèvent les pyramides sur un terrain qui a été aplani à la pointe du marteau, et que l'art des hommes a rendu parallèle à l'horizon.
C'est ce qui se remarque principalement à la seconde des deux grandes pyramides, autour de laquelle du côté de l'Ouest et du Nord paraît un fossé taillé dans le roc de trente à trente-cinq pieds de hauteur. C'est l'endroit par où le terrain s'élève vers la montagne. Il n'en est pas de même du côté de l'Est et du Sud, qui regarde le Nil et la plaine. On n'y découvre aucune élévation. Au contraire, le terrain y va naturellement en baissant.
Les pyramides ne sont pas éloignées de la plaine. Celle qui des trois en est la plus voisine n'est pas dans une moindre élévation que les deux autres. Elle s'avance considérablement vers la colline, qui est fort escarpée du côté du Nord et du Delta. C'est par cet endroit qu'on l'aborde ordinairement. À peine peut-on y grimper contre la raideur de la pente, qui se trouve couverte de sable, de petits morceaux de pierre, de marbre et de tout ce qui a entré dans la construction de la pyramide.


Le terrain s'étend davantage du côté du Levant, et à son extrémité on remarque encore une élévation de grosses pierres, qui par une pente insensible unissait autrefois à la plaine ce monticule escarpé aussi dans cet endroit. C'était sans doute par cette digue, par cette chaussée, ou, si on l'aime mieux, par ce chemin, qu'on abordait autrefois à la pyramide. Il y a beaucoup d'apparence qu'elle servait encore à la conduite des pierres et des marbres nécessaires à la construction de cet édifice. Ces matériaux étant apportés jusqu'au pied par un canal du Nil, ne pouvaient à cause de leur grosseur prodigieuse être conduits jusque-là que par une route égale et solide comme celle- ci. Cette chaussée ne paraît cependant pas aujourd'hui absolument droite. Elle se recourbe du milieu vers le Nord ; mais je suis persuadé qu'elle se recourbait de même vers le Sud ; c'est-à dire qu'elle était beaucoup plus large par celle de ses extrémités qui aboutissait au Nil que par celle qui était jointe à la hauteur de la colline.
L'utilité et la commodité le demandaient ainsi, puisque c'était en cet endroit qu'on déchargeait les matériaux étrangers destinés à la construction de la pyramide, d'où on les conduisait ensuite insensiblement sur l'élévation par un chemin qui ne demandait plus la même largeur. Si on ne découvre plus aujourd'hui vers le Sud de vestiges de cette chaussée, comme il en reste encore vers le Nord, c'est que les eaux du Nil, qui abordent la chaussée par cet endroit, l'ont plus usée en se brisant contre elle, et ont par une raison contraire épargné le côté opposé, que celui-ci mettait à l'abri. C'est ce qui pourrait se vérifier en creusant la terre, pour découvrir les fondements de cette digue ; mais ces recherches sont sans doute réservées à des temps et à des règnes différents de celui-ci.
J'ai lu dans un auteur arabe un fait qui me paraît assez vraisemblable : c'est que cette chaussée était pavée de marbre granité. Il ajoute que des colonnes du même marbre élevées des deux côtés de la chaussée soutenaient une voûte qui mettait à couvert des ardeurs du soleil ceux qui partaient de l'extrémité de ce superbe portique pour venir visiter la pyramide, et le temple dont je parlerai dans la suite. Des deux autres pyramides tirant vers la plaine, le terrain, ou plutôt la roche baisse d'elle-même insensiblement.


Vis-à-vis de la seconde pyramide, et précisément à l'Orient est ce Sphinx si fameux dont toutes les relations ont parlé. Il est éloigné de trois cents pas au moins de la pyramide, et de là on peut en compter deux cents jusqu'à l'endroit que le Nil vient baigner dans sa hauteur. C'est une tête de femme entée sur un corps de lion couché sur son ventre. Cette tête serait encore probablement en son entier si les Mahométans ne l'avaient point défigurée. On lui a cassé le nez. Le corps a été gâté par la longueur des ans ; on en voit seulement aujourd'hui la figure, dont le bas est enseveli sous les sables. C'est une tête prodigieuse qui a plus de trente-cinq pieds de tour sur un corps de plus de trente pas de longueur. Comme plusieurs auteurs ont parlé de ce colosse, je me contenterai d'ajouter à ce qu'ils en ont dit, que quoique cette tête soit creusée par-dessus, il n'y a cependant de cette capacité aucune correspondance à la bouche, ni à aucun autre endroit de l'intérieur de cette figure par où on ait pu la faire parler, comme quelques-uns l'ont prétendu. J'ajouterai que cette cavité a très peu de profondeur, et que bien loin de correspondre à l'intérieur de la première pyramide, comme on se l'est faussement imaginé, il serait beaucoup plus naturel de croire, s'il était vrai que ce canal prétendu eût en effet quelque réalité, qu'il conduirait au-dedans de la seconde à laquelle il correspond si parfaitement par sa position.
Cette idole peut avoir eu plusieurs destinations. Peut-être n'a-t-on prétendu la faire servir qu'à donner de l'admiration par sa grandeur étonnante. Elle peut avoir été ménagée dans la montagne de pierres que l'on aplanissait comme une preuve de ce qui en avait été enlevé, de la même manière qu'on laisse aujourd'hui des signaux dans un terrain que l'on met à l'uni. On peut encore s'être servi d'une disposition favorable des lieux pour tailler dans ce roc une figure qui surprît la postérité.

(Wikimedia commons)
Quelques-uns disent que ce fut un talisman, d'autres une idole que l'on adorait. Ce qu'il y a de plus vraisemblable, c'est que cette union de la tête d'une fille avec un corps de lion, si commune et si ordinaire dans les représentations fréquentes qu'on en rencontre en Égypte, était un symbole de ce qui se passe dans ce pays sous les signes de la Vierge et du Lion. C'est en effet dans la saison que le Soleil les parcourt que le Nil se déborde et rend par son inondation l'Égypte fertile et habitable. Les rois d'Égypte ne croyaient pas pouvoir mieux témoigner leur reconnaissance au Soleil qu'ils révéraient comme l'auteur de leur félicité, que de lui consacrer cette figure mystérieuse.
Plusieurs ont prétendu que le Sphinx des pyramides, ou du moins la tête de ce prodigieux colosse, était composée de plusieurs pierres placées et bien cimentées les unes sur les autres. Ce qui leur a pu faire naître cette idée, c'est qu'en trois ou quatre endroits de cette masse, on remarque en effet des veines qui tournent autour de la tête d'une manière presque horizontale, et que ces veines semblent renfermer une espèce de mastic d'une couleur différente de la pierre. Pour moi, qui ai examiné ces veines avec attention, je suis intimement persuadé qu'elles sont naturelles à la pierre. Quand on ne pourrait pas s'en convaincre en les approfondissant, quand on ne rencontrerait pas dans ces veines des inégalités parlantes, quand elles ne seraient pas de biais en plusieurs endroits, il suffirait, pour ne plus douter de la vérité, de jeter les yeux sur quelques petites pyramides peu éloignées de cette figure et posées sur des plateformes du même rocher. On y découvre de pareilles veines ; ce qui prouve manifestement que celles qu'on remarque dans la tête du Sphinx, comme celles-ci, ne sont formées que par divers lits de pierres, qui sont propres à ce terrain. Je crois au reste que cette idole était autrefois couverte par un temple. La preuve que j'en ai, c'est que la tête de cette figure est encore aujourd'hui aussi entière dans tous les endroits, où elle n'a point été violentée par la main des hommes, que si elle sortait de dessous le ciseau. La peinture rougeâtre, dont elle avait été couverte, y subsiste encore. On remarque d'ailleurs autour de ce colosse une espèce de circuit que les sables, sous lesquels il est enseveli, tiennent plus élevé que le reste ; et je ne doute pas qu'il ne cache les fondements et les débris de cet édifice qui servait de temple à l'idole.
En remontant du Sphinx vers la seconde des grandes pyramides, au devant de laquelle, et précisément au milieu, le colosse se trouve placé du côté de l'Est, on découvre encore à quatre pas de la pyramide les restes d'un autre temple qui en occupait presque toute la face. Je suis surpris qu'aucun voyageur, que je sache, n'ait parlé de ce monument dont dans plusieurs milliers d'années la destination ne sera pas encore douteuse.
On en trouve un pareil en face de la troisième pyramide, et à même distance. Celui-ci est encore plus entier que le premier. Il est tourné de même du côté du Levant, mais il a ceci de particulier qu'à commencer de son portique, ou de son entrée, il est accompagné d'une chaussée, ou chemin en droite ligne, qui sans doute s'étendait autrefois d'une pente insensible jusqu'au bord de la plaine par un espace de mille ou douze cents pas. Il en reste encore environ trois cents. C'était par là qu'on abordait le temple. Il est à peu près de figure carrée. On trouve dans son intérieur quatre piliers, qui sans doute soutenaient une voûte, dont l'autel de l'idole était couvert, et on tournait autour de ces piliers comme par une espèce de collatéral. Les pierres, dont ces temples étaient bâtis, sont prodigieuses, et ce n'est qu'à leur grosseur énorme que nous sommes redevables de ce qui nous en reste aujourd'hui. Ces pierres étaient revêtues de marbre granité. J'en ai trouvé encore quelques morceaux entiers, qui y étaient collés par des mastics. Je ne doute point que l'extérieur du temple ne fût également revêtu de ce marbre, comme le dedans. Aussi aurait-il été ridicule qu'un édifice élevé au devant d'une pyramide, qui était elle-même toute revêtue de ce même marbre, ne fût bâti que de pierres assez inégales, et cachât par l'élévation d'une matière commune, et par un extérieur imparfait, une partie de la magnificence du tombeau dont il était accompagné.


Je parle de la troisième pyramide, c'est-à-dire de celle dont on attribue particulièrement la construction à cette fameuse beauté qui, comme je l'ai dit d'abord, mettait ses faveurs à un prix si extraordinaire. On peut dire que les quartiers de marbre dont elle fut revêtue étaient d'une grosseur prodigieuse. C'est ce qui se voit par quelques-unes de ces pierres qui subsistent encore en leur entier, soit dans les débris qu'on trouve au pied de cet édifice, soit même dans leur première situation, c'est-à-dire aux mêmes endroits où elles avaient d'abord été placées dans le revêtissement de la pyramide. Il est aisé de juger par l'état des débris qu'on trouve au pied, et même par certaines pierres dont une partie est restée attachée au corps de cet édifice, tandis que l'autre en a été enlevée, que cette pyramide n'a été déshonorée et dépouillée de son revêtissement que par violence, et non par la longueur des ans. On a voulu profiter du marbre, dont tout son extérieur était couvert ; et parce que les pierres en étaient trop grosses pour être enlevées, et trop dures pour être séparées par la scie, ou par quelque antre art, on a cherché à les briser, à les fendre, et à les éclater par le moyen des coins de fer. Il ne faut que des yeux pour se convaincre de cette vérité.
À l'égard de la seconde pyramide, autour de laquelle règne ce fossé taillé dans le roc, dont j'ai parlé d'abord, elle n'était certainement couverte que de pierres dures. Sa cime en est encore toute revêtue. Le reste a été vraisemblablement arraché, et l'on n'a épargné les dernières pierres que par la difficulté et le danger qu'il y avait à vouloir les séparer d'un lieu si élevé et si escarpé. Aussi n'est-il pas peu difficile de monter jusque sur la pointe de cette pyramide, parce que son revêtissement subsistant encore vers le sommet à la hauteur de cent pieds, ou environ, on ne pourrait sans un péril éminent risquer de passer sur ces pierres unies et glissantes. Plusieurs Grands du pays y ont souvent envoyé des Arabes, et en ont fait rouler des pierres, pour satisfaire leur curiosité. Aussi est-il aisé de s'apercevoir que la cime n'est pas entière.
Cette pyramide, non plus que la première dont je viens de parler, n'a point encore été ouverte. Il est même probable qu'elles ne le seront jamais que par l'ordre de quelque grand Prince, dont les trésors puissent fournir aux dépenses nécessaires pour l'exécution d'un semblable dessein. Peut-être aussi ne sera-t-il pas possible de les ouvrir sans les démolir absolument. En effet, comment réussir aujourd'hui, principalement sur la première, sans une connaissance parfaite des secrets qu'elle renferme, et qui vraisemblablement resteront toujours ignorés ?
Ce qu'on peut assurer, c'est que le tombeau principal se trouve toujours au milieu de la pyramide. C'est ce qui se reconnaît par la Grande Pyramide que l'on a ouverte proche de la plaine des Momies, dont je parlerai dans la suite, par celle dont j'entreprends de donner ici la description, et par quelques autres plus petites qui de même ont été forcées. On sait encore que dans toutes celles qui ont été ouvertes, l'entrée est tournée vers le Nord. Il est donc probable qu'on trouverait aussi du même côté l'entrée de toutes les autres. Cependant, avec ces faibles lumières, combien d'autres connaissances ne seraient pas nécessaires pour exécuter le dessein de pénétrer dans leur intérieur ! Que de dépenses ! Que de confiance ne faudrait-il pas pour y réussir ! On en jugera par ce que je dirai dans la suite de cette lettre. J'ai lu dans un historien arabe au sujet de cette seconde pyramide une particularité que je ne crois pas devoir omettre. Il dit qu'à son sommet on avait élevé une statue d'or de la hauteur de quarante coudées, représentant le Prince dont le corps reposait dans ce monument. Il ajoute que de la montagne du Mokatam, qui en est à trois lieues de distance du côté de l'Est, on pouvait distinguer les traits du visage de cette figure. On pensera de cette tradition tout ce que l'on voudra. Pour moi, je crois très vraisemblable qu'au sommet de cette pyramide on eût élevé une statue de marbre granité de la proportion dont parle l'auteur arabe, puisque l'on trouve encore en Égypte plusieurs colosses du même marbre, et d'une hauteur approchante. Cette statue pouvait être dorée, comme celle de la Place des Victoires à Paris. Rien n'était aussi plus propre à terminer d'une manière convenable ces hautes et superbes pyramides, que la représentation des princes dont les corps y étaient enfermés. Il est certain que ces statues devaient produire un très bel effet, surtout en supposant qu'elles étaient dorées. Quoi qu'il en soit, il n'en subsiste plus aucune de nos jours, parce que plus exposées à l'air et aux injures du temps que le corps de la pyramide, elles ont été consumées à leur extérieur beaucoup plus vite que les parties inférieures. Il est vraisemblable d'ailleurs que la religion mahométane, ennemie de toute figure, s'étant introduite en Égypte avec les princes arabes, qui firent la conquête de ce beau Royaume, et s'y étant maintenue depuis plus de mille ans, toutes les statues qui terminaient ces admirables monuments ont eu le même sort que beaucoup d'autres. Elles ont été brisées, renversées et déshonorées à coups de masses, et sont devenues la victime de l'ignorance, de la superstition et de l'avarice de ces barbares."

(*) Erreur : il faut lire : "à l'ouest"
Voir également
- deuxième partie

lundi 29 mars 2010

"Nous pouvons à peine imaginer les difficultés accablantes auxquelles durent faire face ceux qui trimèrent pour pénétrer le secret des pyramides" (F. W. Fairholt - XIXe s.)

Le court texte qui suit est extrait de l'ouvrage de l'antiquaire anglais Frederick William Fairholt (1814-1866) Up the Nile, and home again - A handbook for travellers and a travel-book for librairy, 1862.
Il ne comporte que quelques généralités, même étayées de citations de Howard Vyse, sur les pyramides, leur implantation et leur configuration. Mais que pouvait-on attendre de mieux d'un simple guide touristique ?
Je l'ai néanmoins retenu pour l'éloge que l'auteur y fait du travail harassant des archéologues, les difficultés d'exercice de cette profession/passion étant sans doute difficiles à percevoir à une époque - même au XIXe siècle ! - où l'on peut voyager rapidement et facilement.
Il fallait que cela fût dit...

"Certainly the popular idea is that the Pyramids are built on the plain of the Nile ; they in reality are based on a plateau of rock, one hundred and fifty feet in height, a lower stratum of the great Libyan range behind them. Colonel Howard Vyse, whose researches here have done so much for science, observes :"The whole plain to the foot of the mountains, from Sakkara to Abou Reche, seems to have been formerly under cultivation, but either from neglect of the ancient canals, or from other causes, it is now covered with about nine feet of sand. The whole desert has evidently encroached upon the valley of Egypt, particularly from the westward, and there was probably little or no sand on the mountains at Ghizeh, nor upon the plain beneath, when the Pyramids were erected."
The Pyramid of Cheops, the most northern of the group, is that usually ascended by travellers. It has been denuded of the triangular casing stones, so that its exterior presents a vast series of broken steps. They are about four feet high, and up these the visitor must clamber who would reach the summit, and obtain a view very little better than that from the plain, and totally inferior to one seen from the citadel at Cairo. (...)
"The manner in which these immense buildings were constructed, and the means by which the vast blocks of almost impenetrable stone were worked and placed at different heights with critical exactness, are even now unknown. For instance, the blocks of granite composing the floor of the king's chamber in the Great Pyramid of Ghizeh are laid with such precision that not only are the joints scarcely perceptible, but the under faces and edges of the stones are so sharp and polished that it is impossible to detect how they were lifted, and placed in contact with each other, as no marks of force or of any purchase having been applied can be perceived, so that some persons imagine that it was not until after they had been fixed in their respective places that the outward surface of the stones was smoothed down and finished. The blocks placed perpendicularly to the incline in the several passages have also the finest joints, and scarcely any settlings or imperfections appear. The masonry in the king's chamber, the casing-stones, and those in the foundation and at the base are, perhaps, unrivalled." (Col. Vyse)
The chambers of the interior are reached through long, low, narrow passages, leading from the entrance, a dismal aperture, about three feet high. (…) The name of Cheops, or Suphis, has been painted upon some of the stones before they were built into the walls by the masons. The date of 2,450 years before Christ has been named by Egyptian scholars as the period of his reign. In looking upon the Pyramids, we look upon antiquities the most profound the world can show : they were ancient to the nations we consider the most ancient. Joseph, Moses, and other characters of the Bible, must, when living, have looked upon them ; Herodotus, the father of history, contemplated them as works of a long-forgotten race. (…)
In these days of quick and easy travelling, we can scarcely appreciate the difficulties which beset the men who, even at the commencement of our century, exerted themselves in penetrating the secret of the Pyramids. Chief among them was Belzoni ; and it is to his acumen and indomitable perseverance that we owe the means of entering the second pyramid, supposed, from the names found on its stones, to have been constructed by Shafre or Cephres, who lived, and probably shared the throne, with Cheops. The apex of this pyramid is interesting, from the circumstance of the casing stones remaining : they still retain a polish on their surface, and speak of the simple beauty which must have been the characteristic of these solemnly-grand old monuments in their pristine condition." 
Les illustrations sont extraites de l'ouvrage de Fairholt

dimanche 28 mars 2010

Les "fameuses pyramides", selon Benoît de Maillet (XVIIe-XVIIIe s.) - 2e partie

Après une présentation de la préface de l'abbé Le Mascrier, voici la première partie de la sixième Lettre de Benoît de Maillet, publiée dans sa Description de l'Égypte, contenant plusieurs remarques curieuses sur la géographie ancienne et moderne de ce pays, sur ses monuments anciens, sur les mœurs, les coutumes et la religion des habitants, sur le gouvernement et le commerce, sur les animaux, les arbres, les plantes, etc., composée sur les Mémoires de M. de Maillet, ancien Consul de France au Caire (1735).
Cette Lettre est entièrement consacrée à une description des "fameuses pyramides d'Égypte, en particulier de la plus grande, de son intérieur et des secrets qu'elle renferme".
Elle débute par des considérations générales sur les pyramides, notamment sur le but pour lequel elles ont été construites et sur l'identité de leurs auteurs.
Sur ce second point, de Maillet s'attarde sur deux "traditions" liées à la construction de la troisième pyramide, pour affirmer sans ambages qu'il ne leur donne aucun crédit. On n'en lira pas moins avec intérêt le récit de cette "fameuse beauté" dont le Prince s'éprit à la seule vue de l'une de ses mules.
Charles Perrault se serait-il donc intéressé lui aussi à l'histoire des pyramides pour y trouver l'inspiration de sa célèbre Cendrillon à la pantoufle de vair ?

"Il n'est pas encore temps, Monsieur (*), de sortir de la basse Égypte. Les environs du Caire vont nous offrir des spectacles qui ne sont ni moins grands, ni moins dignes de votre curiosité que tout ce que vous avez vu jusqu'ici. Je parle de ces fameuses pyramides qui firent l'admiration de toute l'antiquité, et qui ont été mises au nombre des sept merveilles que l'on a comptées dans l'Univers. Je sais qu'il s'est trouvé, et qu'il se trouve encore aujourd'hui, même parmi les personnes les plus éclairées, des gens qui ne regardent ces monuments célèbres que comme des masses informes de pierres entassées les unes sur les autres sans beaucoup d'art, capables d'étonner peut-être un vulgaire ignorant qui ne manque jamais de se laisser prévenir par les choses grandes, de quelque nature qu'elles puissent être, et de faire admirer la puissance, ou même la folie des monarques qui épuisèrent leurs trésors pour la construction de ces ouvrages prodigieux, mais peu propres en effet à donner une grande idée du goût et de l'habileté de ceux qui présidèrent au dessein de ces dépenses inutiles et insensées.
 

Pour moi, qui ai vu de près ces monuments superbes de l'ancienne grandeur qui rendit autrefois l'Égypte si célèbre, qui non content d'en parcourir les dehors, ai voulu visiter avec soin les coins et les recoins les plus cachés de leur intérieur, j'avoue que je n'ai pu m'empêcher d'être frappé de la magnificence et de la grandeur qui éclatent de toutes parts dans ces édifices si vantés, et que je n'ai reconnu qu'avec admiration l'habileté des architectes qui présidèrent à l'exécution de cette grande entreprise. Peut-être en dis-je trop ; peut-être sur cet aveu m'accuserez-vous de me laisser aisément prévenir en faveur de tout ce qu'un climat éloigné peut offrir d'extraordinaire à la curiosité d'un étranger. Je veux bien vous en faire le juge.
La description que je vous envoie vous fera peut-être convenir que je n'outre rien ; j'espère même qu'elle ne vous donnera pas une moindre idée de ces monuments si anciens et si fameux que celle que j'en ai conçue moi même.
Cependant, avant que d'entrer sur ce sujet dans un détail, dont j'ose vous prédire d'avance que vous me saurez quelque gré, permettez-moi, Monsieur, de vous faire observer d'abord quel fut le but de ces monarques puissants qui présidèrent à la construction des pyramides. En effet, on ne peut juger sainement de quelque ouvrage que ce soit si l'on ne sait premièrement dans quelles vues le projet en a été conçu, et quel but on s'est proposé lorsqu'on a entrepris de l'exécuter. Bien des gens ont regardé les pyramides comme l'ouvrage d'une vanité outrée, d'une présomption aveugle de ces anciens rois de l'Égypte, qui cherchant à éterniser leur nom, crurent trouver dans la durée de ces édifices, qu'ils jugèrent devoir passer celle des temps mêmes, cette immortalité à laquelle ils aspiraient. Sur ce pied-là, ils ont traité cette entreprise d'insensée, persuadés que la beauté, l'élégance et le goût qui règnent dans quelque ouvrage que ce puisse être sont plus capables de conserver à la postérité la mémoire du Prince qui en a formé le dessein, et celle de l'ouvrier qui l'a exécuté, que la grandeur la plus démesurée d'un colosse, dans laquelle on ne remarque ni délicatesse, ni agrément. En cela je suis de leur sentiment. Mais ces monarques si sages et si éclairés qui, lorsqu'il s'agissait de rendre leurs États florissants, et de procurer le bonheur de leurs sujets, savaient former, comme vous l'avez vu, des desseins si grands, si utiles, si magnifiques, dans ce qui concernait les intérêts de leur réputation et de leur gloire auraient-ils eu des vues si bornées et si imparfaites ?
Non, Monsieur, et le peu d'estime que quelques savants ont paru avoir pour les pyramides d'Égypte vient de ce qu'ils en ont ignoré le secret, et de ce qu'ils n'ont pas été instruits du motif dans lequel elles avaient été bâties.
La passion favorite des anciens Égyptiens était de se faire dès leur vivant des sépultures, où après leur mort leurs corps fussent à couvert, non seulement de la corruption à laquelle nous sommes tous condamnés par la nature, mais encore de toutes les entreprises que la malignité et la témérité des hommes auraient pu former contre ces asiles inviolables. La suite de mes lettres, et surtout ce que j'ai à vous dire de la religion des anciens Égyptiens vous instruira des raisons sur lesquelles cette inclination était fondée. Elle n'était pas particulière au peuple. Elle s'étendait jusqu'aux souverains qui, plus encore que leurs sujets, étaient intéressés à ce qu'après leur mort leurs corps ne fussent exposés à aucune insulte. Les Grands et les Seigneurs de leur Cour, les personnes qui partageaient leur estime ou leur faveur, avaient les mêmes intérêts. Aussi peut-on dire que parmi cette nation, chacun cherchait les moyens les plus sûrs pour se conserver après sa mort à proportion des honneurs et des plaisirs que son rang, ses richesses, sa dignité et son emploi lui procuraient pendant la vie.
De là il est aisé de concevoir que ces fameuses pyramides bâties par quelques anciens rois d'Égypte n'avaient été élevées que pour leur servir de tombeaux et pour être la sépulture des personnes qui leur étaient chères. On jugera de leur magnificence par ce que j'en dirai dans la suite. À l'égard du dessein qu'ils avaient d'y mettre leurs corps à l'abri de toute insulte, je mets en fait qu'ils ne pouvaient imaginer de moyens plus sûrs pour y réussir que ceux qu'ils avaient employés dans la construction de ces monuments célèbres. La description que je donnerai de l'intérieur de la Grande Pyramide justifiera ce que j'avance. Peut-être contribuera-t-elle à faire revenir certaines personnes du faux préjugé qu'elles ont au désavantage de ces ouvrages si vantés.
Il n'est pas aussi aisé de vous donner des lumières certaines sur l'auteur des pyramides que sur le dessein qu'on a eu en les élevant. Les historiens romains, qui ont parlé de ces miracles de l'art, vivaient dans des siècles si reculés de ceux auxquels ils avaient été construits, que le nom des grands rois qui exécutèrent le dessein de ces célèbres ouvrages était déjà parfaitement ignoré. Ils nomment cependant au nombre de ces rois un certain Psammetichus, sans rapporter aucune particularité ni du temps de son règne, ni de ses actions. Ce nom même ne fut jamais égyptien ; il est grec ou latin ; ou du moins, il faut dire qu'il a été accommodé à ces langues. 

Quelques-uns ont attribué à Mercure les trois grandes pyramides, dont j'ai résolu de vous entretenir dans cette lettre, comme si la construction d'une seule n'eût pas suffi pour éterniser la mémoire d'un monarque, et pour épuiser les richesses d'un long règne. On prétend, et c'est une tradition constante parmi les Arabes, que ce fut ce fameux Hermès qui les fit bâtir. Si cette opinion avait quelque fondement, ne pourrait-on point dire que ce fut l'exécution de ce grand dessein qui le fit surnommer Trismégiste, ou trois fois grand ? D'autres pensent que la première était destinée à servir de tombeau à ce pharaon qui, en poursuivant les Israélites, fut englouti dans la mer Rouge avec toute son armée.
Vous savez qu'on attribue la construction de la troisième à cette fameuse beauté qui, pour prix de ses faveurs, exigeait de chacun de ses amants une pierre de cette pyramide. Quelques anciens auteurs rapportent cette histoire autrement. Ils disent que cette courtisane, qui par quelques-uns est appelée Doricha, et à qui d'autres donnent le nom de Rhodope, faisait son séjour dans une ville d'Égypte assez éloignée de la capitale, et où elle s'était attiré par ses charmes le cœur de toute la jeunesse des environs. Elle était un jour au bain, ajoutent-ils, lorsqu'un aigle fondant sur une fille qui la servait et qui gardait ses habits, lui enleva une des mules de sa maîtresse. De là cet oiseau prit son vol vers Memphis, où il arriva dans le temps que le roi rendait la justice à son peuple ; et après avoir voltigé quelque temps au-dessus de la tête de ce prince, il laissa enfin tomber doucement cette chaussure sur la robe du monarque. Ce roi, dont l'histoire ne rapporte point le nom, fut aussi surpris de cette aventure qu'il devait l'être naturellement. L'attention avec laquelle il considéra cette mule, qui semblait lui être venue du ciel, lui inspira bientôt d'autres sentiments. Il en admira la magnificence et la délicatesse ; ensuite, à force d'admirer la mule, il souhaita avec passion de voir le pied auquel elle avait servi de chaussure. Ces premiers mouvements furent suivis d'une véritable inclination pour la personne à qui cette mule appartenait. Ce prince dépêcha des courriers dans tout son royaume, pour en apprendre des nouvelles. On découvrit enfin cette belle fille, qui fut aussitôt conduite à la Cour. Le roi l'épousa, et après sa mort, ce prince lui destina pour tombeau cette pyramide qu'il lui fit élever comme un témoignage éternel de sa tendresse.
Je crois que vous me permettrez sans peine de ne pas ajouter plus de foi à cette tradition qu'à la première. Il fallait que les rois de ces anciens temps fussent bien aisés à enflammer pour concevoir une véritable passion à la vue seule d'une mule. Mais on peut dire aussi que les amants de ce temps-là devaient être bien généreux pour faire des présents tels qu'en exigeait, dit-on, cette courtisane. Il ne s'agissait que d'une pierre, il est vrai ; cependant, si on considère que cette pierre devait être de marbre granité telle que toutes celles dont la pyramide est composée, et qu'il fallait la faire venir jusque-là de la haute Égypte, c'est-à-dire de près de deux cens lieues qu'on compte depuis le Caire jusqu'à la carrière d'où ces marbres étaient tirés, on conviendra, je pense, aisément avec moi que peu de personnes étaient en état de faire des présents si considérables. En tout cas, si l'on veut que l'histoire soit réelle, à considérer le nombre des pierres qui forment cette pyramide, on ne pourra s'empêcher de reconnaître que cette beauté si précieuse n'était certainement pas des plus rares. Vous sentez jusqu'où pourrait m'emporter cette réflexion ; je reviens à la matière que je me suis d'abord proposée." 

(*) le genre épistolaire a été choisi par l'abbé Le Mascrier, chargé de mettre en forme les mémoires du consul de Maillet
A suivre : troisième partie

Les "fameuses pyramides", selon Benoît de Maillet (XVIIe-XVIIIe s.) - 1e partie

J'ai déjà fait place dans ce blog (voir ici) à Benoît de Maillet (1656-1738), gentilhomme lorrain, Consul général du Roi en Égypte et en Toscane, Visiteur général des Échelles du Levant et de Barbarie.
Lors de son séjour au Caire, ce diplomate entreprit des recherches approfondies sur les pyramides du plateau de Guizeh, avec, au compteur de sa curiosité, une quarantaine de visites dans les entrailles de la Grande Pyramide. Il relata ses découvertes en détail dans des mémoires qui furent ensuite mis en forme par l'abbé Le Mascrier dans l'ouvrage, édité en 1735, Description de l'Égypte, contenant plusieurs remarques curieuses sur la géographie ancienne et moderne de ce pays, sur ses monuments anciens, sur les mœurs, les coutumes et la religion des habitants, sur le gouvernement et le commerce, sur les animaux, les arbres, les plantes, etc., composée sur les Mémoires de M. de Maillet, ancien Consul de France au Caire.
La sixième Lettre de cet ouvrage est entièrement consacrée à une description des "fameuses pyramides".

Illustration extraite de Wikimedia commons
La succession des théories, relatives à la construction de ces merveilles architecturales, qui ont déjà défilé sur mon clavier d'ordinateur, m'incite à revenir sur ce texte essentiel et à vous le présenter dans son intégralité pour qu'il soit ainsi à votre disposition immédiate. Il fera l'objet de plusieurs notes.
Pour commencer, je reprends quelques extraits de la préface de l'ouvrage, par l'abbé Jean-Baptiste Le Mascrier. Elle célèbre - comment en douter ? - la méthode éminemment scientifique du consul, égyptologue avant l'heure. Mais par-delà ces propos élogieux, il n'est pas interdit d'y voir comme un vade-mecum pour tout bon "pyramidologue". Observations scrupuleuses sur le terrain, "courage de s'exposer aux risques de pénétrer jusques dans l'intérieur des pyramides", distance à la fois respectueuse et critique vis-à-vis des opinions ou théories précédemment émises, notamment celles des Anciens, souci d' "orner l'esprit" et de l' "éclairer", "entretenir correspondance avec les personnes les plus éclairées du pays (et) avoir avec elles des entretiens fréquents" (eh oui !), ne pas ménager son temps, percer l' "écorce" des pyramides pour traquer les secrets de leur construction et les desseins des architectes : voilà un vaste et ambitieux programme ! Mais... les pyramides "le valent bien" !
Pour la clarté de la lecture, ici comme dans les notes à venir, j'ai rétabli l'orthographe actuelle quand cela était nécessaire.

Préface de M. l'abbé Le Mascrier
"Plusieurs [voyageurs] ont donné au public diverses relations de l'Égypte. C'est dommage que ces auteurs modernes aient moins pensé à nous instruire qu'à nous plaire. Ils ont visité en courant une vaste région, dont la moindre contrée offre à la curiosité d'un étranger les monuments les plus respectables. Ils ont traversé de grandes villes, plusieurs bourgades. Ils ont eu en passant des entretiens légers avec quelques habitants grossiers du pays. Ils ont vu quelques ruines anciennes, des temples et des palais détruits, des obélisques renversés et des colonnes encore debout. Peut-être se sont-ils donné la peine de prendre les dimensions de quelques-unes ; souvent ils se font contentés des mesures qu'on en avait prises avant eux. Quelques-uns ont eu le courage de s'exposer aux risques de pénétrer jusque dans l'intérieur des pyramides. Ils ont même retenu avec soin les routes embarrassées et ténébreuses qui y conduisent. De ces recherches superficielles ils ont compilé un ouvrage ; et au lieu d'un portrait naturel et fidèle, ils ont donné au public un tissu informe de contes ridicules, ou d'aventures personnelles, capables peut-être d'amuser un instant quiconque ne lit que pour l'amusement, mais peu propres en effet à orner l'esprit et à l'éclairer.
De tous les modernes qui ont écrit sur l'Égypte, je ne connais guère que Dapper, qui nous ait laissé une espèce de description de ce pays. Je dis une espèce de description car son ouvrage n'est guère que l'abrégé d'un plus grand. Pour porter ce dessein à sa perfection, cet auteur d'ailleurs très versé dans la connaissance des anciens, manquait des secours même les plus nécessaires. 

En effet, puisque les lumières que l'on peut tirer sur l'Égypte des historiens de l'antiquité ne suffisent pas, on conçoit sans peine que pour avoir une connaissance parfaite de ce pays, il est encore nécessaire d'y joindre la lecture des auteurs arabes. Ces peuples ont été pendant plusieurs siècles les maîtres de l'Égypte ; il est donc naturel de les consulter sur ce qui la regarde, sur la position de ses anciennes villes et de ses monuments les plus renommés. Il ne suffit pas même de parcourir cette vaste contrée le livre à la main, d'éclaircir aux dépens d'une application confiante les doutes ou les obscurités, dont les narrations des anciens se trouvent souvent embarrassées, et de corriger par des lumières sûres les erreurs dans lesquelles ces auteurs sont quelquefois tombés. Il faut aussi entretenir correspondance avec les personnes les plus éclairées du pays, avoir avec elles des entretiens fréquents, peser leurs récits à la balance de la critique la plus sévère, et les épurer de tout ce qu'une crédulité grossière ou une exagération outrée peuvent y mêler de fabuleux.
Que de lumières acquises, que de temps, que de soins, que de dépense même et de crédit ne suppose pas une si pénible recherche au milieu d'un pays étranger, où un curieux a peut-être plus besoin de protection que dans tout autre ! Cependant, par tout ce que j'ai dit, on comprend aisément que sans tout cela, il n'est pas possible d'avoir soi-même une connaissance exacte de l'Égypte, ni d'en donner par conséquent au public une description nette, suivie, fidèle et complète. (…)
Ce fut pendant le long séjour qu'il fit en Égypte que M. de Maillet entreprit de mettre par écrit toutes les découvertes que ses occupations lui permettaient de faire dans cette région autrefois si célèbre. Il est certain que personne ne fut plus en état de nous en donner une idée exacte et fidèle. À une étude constante des Anciens, il joignait une connaissance parfaite de la langue arabe, qu'il apprit à fond. Par là il eut la facilité de converser avec les habitants du pays et de lire les historiens arabes qui s'y trouvent en assez grand nombre. Les liaisons qu'il entretint avec les chrétiens d'Égypte, les correspondances qu'il eut avec le Patriarche des Grecs et celui des Coptes, avec l'Abbé du Mont Sinaï, et les différents missionnaires qui dans cette contrée travaillent à la conversion des schismatiques, le crédit enfin que lui donnait son emploi lui procurèrent outre cela des moyens de s'instruire que ne peut avoir un simple voyageur, dans un pays surtout où un étranger a tout à craindre. C'est sur ces lumières certaines que M. de Maillet hasarda de faire part à ses amis de ses découvertes. Le public jugera par la fuite de l'ouvrage, du mérite des lettres qu'il leur écrivit à ce sujet, et des mémoires qu'il leur envoya. (...)

Je parle des fameuses pyramides d'Égypte. L'antiquité n'a rien tant célébré que ces illustres monuments de sa grandeur, qu'elle admira comme des miracles de l'art. Tous nos voyageurs parlent de même de ces ouvrages prodigieux, que nous ne regardons plus guère que comme des masses énormes, dignes tout au plus de noire étonnement. D'où vient cette diversité de sentiments sur un objet qui n'a point cessé d'être le même ? Le goût de notre siècle serait-il différent de celui qui régnait dans ces temps reculés où les pyramides passaient pour une des sept merveilles de l'univers ? Non sans doute. Le vrai beau est de tous les siècles. Mais les pyramides aussi vieilles que le monde ne sont qu'une montre vaine, à n'en considérer que l'écorce ; et c'est uniquement à quoi tous nos auteurs modernes se sont bornés. L'utile et le satisfaisant consiste à reconnaître les secrets que renferme leur intérieur, l'objet qu'on s'est proposé dans leur construction, le dessein de l'architecte qui y présida, et son habileté à l'exécuter. Or c'est ce que M. de Maillet a prétendu développer. Son esprit patient et curieux était seul capable de venir à bout d'un si grand projet. Il est entré plus de quarante fois dans l'intérieur de la Grande Pyramide. Il a médité sur la construction des différents ouvrages que renferme cet immense monument ; il en a étudié l'usage et nous en a donné une explication si juste qu'en la concevant il est impossible de ne pas se rendre à la vérité démontrée de leur destination.
Cette Lettre n'est donc pas seulement une simple description des pyramides. Ce sont des réflexions sensées et instructives ; c'est un système suivi et raisonné sur le dessein, l'usage et la construction de ces anciens monuments. On traitera peut-être tous ces raisonnements de conjectures ; mais conjectures, tant qu'on voudra, on ne pourra du moins s'empêcher d'avouer que ces conjectures ingénieuses sont frappées au coin de la vérité."

samedi 27 mars 2010

Les pyramides d'Égypte : "les édifices les plus indestructibles que l'ingéniosité humaine ait jamais érigés" (Robert Richardson - XIXe s.)

Le physicien anglais Robert Richardson (1779-1847), membre du Royal College of Physicians de Londres, a visité les pyramides en 1817, en compagnie du Comte et de la Comtesse de Belmore, et de Henry Salt, consul général de Grande-Bretagne. Il a relaté ses découvertes dans l'ouvrage Travels along the Mediterranean, and parts adjacent, in company with the earl of Belmore, during the years 1816-17-18, extending as far as the second cataract of the Nile, Jerusalem, Damascus, Balbec, etc., vol. 1, 1822, d'où sont extraits les textes ci-dessous.
Pour la commodité de la lecture, je les ai scindés en onze sections.

Photo Marc Chartier
1. Il n'est pas improbable que des "passages", partant de la Chambre du Roi (Grande Pyramide), conduisent à d'autres chambres.
2. Étant pourvue d'une porte d'entrée, la chambre de Davidson avait probablement une autre fonction que d'être une chambre de décharge.
3. La partie souterraine de la Grande Pyramide : le couloir descendant, la chambre, le passage partant de cette chambre en direction du Sud (un passage secret pour entrer dans la pyramide et pour en sortir ?).
4. Il n'est pas possible de déterminer la fonction exacte de la chambre souterraine. Toutefois, les dimensions de la pièce ainsi que la qualité des matériaux utilisés et de leur mise en œuvre dans le couloir descendant portent à penser que ladite chambre était "importante". Quant à savoir si elle était réellement, comme l'a écrit Hérodote, en communication avec les eaux du Nil, c'est une question qui demeure encore sans réponse.
5. L'escalade de la Grande Pyramide, avec la mention d'un emplacement perpendiculaire sur l'arête Nord-Est, qui semble avoir été construit comme une "porte".
6. La description d'Hérodote - encore lui ! - relative au revêtement de la Grande Pyramide ne peut s'appliquer à cette pyramide dans son état actuel. Robert Richardson suggère alors un étrange et hypothétique rapprochement de la relation d'Hérodote avec les pyramides d'Abousir.
7. Contrairement à ce qui est généralement admis, l'ouverture de la Grande Pyramide n'eut pas pour auteur Al-Ma'mûn, mais le calife "Mohdi, dont le nom fut Mahommed" (lire sans doute : Muhammad Al-Mahdî).
8. Ce que l'on appelle le phénomène d'apothème (appellation non mentionnée par l'auteur) serait dû à l'usure de la partie centrale de chaque face de la pyramide, suite à la chute des blocs enlevés par les démolisseurs.
9. La grande et profonde tranchée qui court au pied de la Grande Pyramide, côté Est, est à mettre en relation avec la finalité de l'édifice : être la tombe de Khéops. Cette tranchée devait acheminer l'eau du Nil vers l'intérieur de l'édifice.
10. La perfection du savoir-faire des bâtisseurs égyptiens dans l'art d'agencer les blocs de pierre : les pyramides n'ont pas souffert des érosions du temps ; elles sont aussi robustes qu'une montagne. Pas une pierre n'a bougé de sa place depuis la construction (sous-entendu : hormis celles qui ont été arrachées par les démolisseurs).
11. Nature et origine des pierres utilisées dans la construction de la Grande Pyramide.

1. As this chamber [King's chamber] does not reach beyond the centre of the pyramid, it is not. improbable that there are passages leading to other chambers off it ; the entrance to which would probably be found by removing some of the large stones above mentioned : as the forming an uniform surface over the whole of the adjoining space was one of the devices by which the architect concealed from the eye of common observers the entrance of the passage leading to the secret chambers, reserving to himself, and his employer, the knowledge of that stone that covered the door of access, and the secret of removing it. (…)
2. On returning from the king's chamber to the top of the inclined plane, we looked up to the entrance, into what has been called Davison's chamber, from the discoverer, to which however we did not ascend ; there is no way of reaching it but by a scaling ladder, with which we were not provided. This chamber is directly over the king's chamber, and, from the account of the discoverer, who was the British Consul-general at Cairo, at the time, it contained nothing but dust, and is supposed to have been formed to take off the pressure from the ceiling of the king's chamber ; but, as it is provided with a door of entrance, it was probably intended to answer some other purpose besides. (…)

Cliché John et Morton Edgar (Wikimedia commons)  
3. Having descended about 200 feet, we came to the bottom of the well, which terminates on a level with the bottom of the passage, and seems merely a niche in its side : having descended for about 23 feet further, we came to the end of the inclined passage ; from this point we could see distinctly up into the open air : it looks directly to the north, and at night the polar star is distinctly seen. The passage, proceeding onward from this, is cut out in the rock, and is quite horizontal for 28 feet, where it ends, in a large chamber 66 feet long and 27 feet wide, and between 12 and 14 feet high, and which is supposed to be exactly under the centre of the pyramid. It is entirely cut out of the rock, and is considerably lower than the base of the pyramid. The chamber does not appear to have been completely finished ; there is a bench of the solid rock still remaining at the west end of it, high on each side, and low in the middle, and which is of such a rough unfinished appearance, as entirely to preclude the supposition that it was left so intentionally, unless it should have been for placing a sarcophagus, or some object of worship upon it. There is a subterraneous passage that goes off from the chamber in a southerly direction, and which has been traced to its termination, by the same indefatigable gentlemen, a distance of 55 feet in the solid rock, and another in the east end, which enters under a species of arch, and which has also been traced to its termination, a distance of 40 feet, into the body of the pyramid. I did not enter these passages ; and what I state is from the report of others, who, I believe, were never there either : but without the most positive and undoubted authority, I would not allow that these passages proceed so far, and end in a cul de sac. I should rather feel inclined to believe that they continued on, and ultimately communicated with the open air, and that they were secret passages by which to enter or escape from the pyramids. This chamber, though but recently laid open to public inspection, appears to have been frequently visited in former times ; it is much covered with smoke, and seems as if fires had been burnt in it, and visitors have employed the smoke of the candle to inscribe their names upon the ceiling, as they are but too fond of doing in the present day. 

4. It is impossible to state the actual or intended use of this chamber. Antiquity has not even recorded its existence, and the voice of conjecture has almost been silent as to the purpose for which it was excavated. Nothing was found in it when lately entered by Captain Caviglia, and if any thing valuable were consigned to it, in any period of its history, we are not correctly informed. Herodotus makes mention of various subterraneous chambers, but the description of none of them applies to this. The one on which he particularly condescends, had a channel by which the waters of the Nile were admitted, and flowed round the chamber, inclosing an island on which the body of Cheops, the builder of the pyramid, rested in the tomb. There is not the smallest vestige of any such a thing having ever been in this chamber, and the access for the waters of the Nile into any part of the pyramid, still remains to be discovered : but the importance attached to this chamber, or to some other adjoining chamber, is evident, from its vast dimensions, and from the great care and labor that have been employed to construct the passage by which it is entered. The size alone is especially indicative of the importance of this individual chamber. This passage, as has been already mentioned, is lined on all the four sides by finely polished slabs of large-grained red granite of Assouan, commonly called sienite ; this must have been done at a great expense, the distance being between five and six hundred miles. The stones are remarkably well cut and well fitted to each other, and probably cover the orifices of other passages into other chambers in the pyramid. Those at present known, are all on the west of this general passage, that is in the north-west quarter of the pyramid, with the exception of the one lately discovered in the centre of its base ; and till examination proves the contrary, we may be allowed to conclude that the remaining three compartments have their chambers also. It would be presumption to mention any place in which such a passage is likely to be found ; he that has time, ability and inclination must choose his own place of research. But it is not less surprising that no attempts have been made to probe this passage into the centre of the pyramid, than that no attempts have been made to discover a passage entering from the south, east, or west sides, on the same or on a different level with that on the north. Even the termination of the small tunnel passing off from the king's chamber is not known ; it may communicate with another chamber, or it may lead out to the open air, where the orifice of it is probably blocked up with a loose stone, on the south side of the pyramid, which a little careful examination would soon discover. (…)

Photo Marc Chartier
5. We began to ascend immediately from the door of the passage, and gradually passed round towards the north-east angle, because the steps are so much broken towards the middle as to afford an unsecure and difficult surface to climb; whereas, at the angles, they are pretty entire. One part, in the eastern aspect, we found quite perpendicular, and seemed as if it had been formed for a door : it was not above four feet wide, and six feet high. Any part in the whole of the ascent formed a convenient resting-place, whenever the traveller was inclined to repose ; but the slope is so gradual, and proceeding leisurely, we had little occasion for stopping to rest our limbs, or recover our breath. (…)
6. Here I beg leave to remark, that neither in ascending or descending the pyramid did we discover any remains of the coating with which it is said to have been covered. Yet Herodotus states that it was cased and finished in the highest style ; that the stones of the casing were skilfully cemented, and that none of them were less than 30 feet ; that the summit of the pyramid was first completed, and descending thence, the workmen finished the whole. This is a description which cannot in any respect apply to this pyramid in its present state ; for the summit of it is demolished ; it has no casing ; and there is not a stone in the whole building whose dimensions are the half of 30 feet. The largest stone that I saw was near the entrance of the passage, and its dimensions were under 11 feet. The largest of all the stones are those granite slabs that line the king's chamber, and they are not above 20 feet. It is impossible to apply the account of Herodotus to any other pyramid, if we are to understand him as speaking of the pyramids of Gheeza ; because he expressly states, that the pyramid of Cheops was the largest, which this one certainly is. He further says that he measured them both, and that the pyramid of Chephren was not so high by 40 feet. The third pyramid here, which is generally assigned to Mycerinus, answers nearly in size, and the material of its construction, but not so well in position, to the description of Herodotus ; and for my own part, I should be extremely happy to see his account of the pyramids applied, by a careful examinator, to the three large pyramids at Abousir, which I had not an opportunity of doing. They are all coated ; and one of them may certainly be called the middlemost ; which, if the description be referred to the position of the pyramids of Gheeza, if any of them can be said to be in the middle, it must be that of Chephren, which does not correspond with the account of Herodotus. But more of this afterwards. The statement of Herodotus, of Pliny, of Abdallatif, Masoudi, Makrisi, etc. I should think quite sufficient to prove that this pyramid was originally coated ; and, although in ascending the side of it, or in walking round the base, I did not perceive any vestiges of it remaining, I do not consider myself warranted to say that there is none ; and my own conviction is, that the pyramid was coated, as stated by these authorities, and must accordingly have been finished. (…)
7. The opening of the passage into this pyramid [the Great Pyramid] is by many oriental writers ascribed to the Kalif Abd Allah Mamoun, the son of Haroun Al Raschid, and they state that he employed for that purpose fire, vinegar, etc. ; others ascribe it to the Kalif Mohdi, whose name was Mahommed. This latter, I think, is probably the person whose name we find in the inscription copied by Mr. Belzoni, from the interior of the second pyramid, under the title of king Ali Mohammed; and it being stated in the plural number, that he attended the opening of them, I think it very probable that he was the person who first penetrated into the interior of both these pyramids, and probably had also a large share in uncovering them both.
8. The removal of the coating, will account for the great damage sustained by the steps all round, while the rolling down of the immense stones from the top, will account for those towards the middle being more injured than those at the angles of the pyramid. (…)

9. There is a broad deep trench cut in the rock at the middle of the east front of the large pyramid, and running parallel with it. It is rather broader than a carriage road ; it descends towards the middle from each end, and resembles a carriage entrance to and from a pond. It is half full of sand, and is entered on the east side by a channel like a canal, for the conveyance of water. It is rather surprising that among all the excavations made about the pyramids, this trench should never have been examined ; for it appears to me to be connected with the most important object in the pyramid ; namely, that for which it was erected, the tomb of Cheops. It is stated that many subterraneous chambers were made in the rock under the pyramid, and that the water of the Nile was introduced and encompassed them, forming an island on which the body of Cheops was deposited. The water of the Nile must have been raised to this level by artificial means, such as are now employed to raise it to irrigate the land after the inundation has subsided, and even in many places when it is at its height. These chambers, or subterraneous vaults, are, at present unknown, and I am disposed to consider this as the channel by which the water of the Nile entered the pyramid : and if excavation should prove it to be so, the whole of them would then be discovered, and the explorer would be well rewarded for his trouble, and probably for his expense. There is no such trench connected with the second pyramid, and we are informed by Herodotus, that the water of the Nile was not admitted into it ; that it had no subterraneous structures, and no island within it. (…)
10. There is another circumstance that merits attention, namely the superior style in which the materials of the pyramids are put together. Nothing could be better calculated than their form to resist the erosions of time ; and they were defended by such a smooth and polished covering, that not a drop of water could lie on their surface. The body of the pyramid throughout, as far as we are allowed to see it, is also of the most substantial description. Large blocks of stone, four, five, six, and eight feet square, roughly cut, and connected by a thin layer of cement, with the break-joint regularly preserved, and each successive layer receding from a foot and a half to two feet from the exterior, and advancing as far upon the interior layer beneath it. Not a stone has slipped from its place ; it stands, with the security of a mountain, the most indestructible pile that human ingenuity ever reared. The joinings and polish of the granite casings in the interior equally manifest the eminent skill of the artist, and the great perfection that the art had attained at the early age in which they were erected. No art ever sprung to perfection at once ; but of both poetry and architecture it may be said that they reached a degree of perfection in the outset, which, in many respects, has not since been surpassed. If many a poem must have been composed before the tuneful art attained the perfection that it exhibits in the Iliad of Homer, many a structure must have been erected before an architect was capable of constructing the pyramids of Egypt. The manner in which the materials is put together is as different from the temples, or any other ancient building in Egypt, as a Roman wall is from a Greek, or a French wall from an English. The sarcophagi connected with them are also different in size, form, cutting, and workmanship.
11. The stone is a compact lime-stone, containing many shells and small hard substances like acini, of a more compact texture than the stone itself. These small concretions are particularly numerous in the rock around the base of the pyramid ; and Herodotus says that he was informed that they were the petrified stones of the dates that the workmen ate when they were building the pyramids. The remark needs no criticism ; if the Egyptian priests had told the venerable historian that they were the teeth of the laborers, both he and they would have been equally near the truth, and equally believed by posterity. The circumstance, however, proves that at least part of the stones of which the structure is built, were taken from the rock around its base ; for I did not observe any of these small concretions in any of the quarries on the opposite side of the river. Towards the upper part of the pyramid, I did not observe any of these concretions in the stones, which are of a whiter and more chalky appearance, and resemble more the rock on the opposite side of the river, from which they were probably taken.