mardi 16 août 2011

Deux pyramides majeures de Guizeh : origine et nature des matériaux de construction, selon Jean-Pierre Dupeyron

Dans une précédente note de Pyramidales, Jean-Pierre Dupeyron a présenté le fruit de ses recherches sur la nature des matériaux ayant servi à la construction des deux pyramides principales du plateau de Guizeh. Dans cette présentation, il reprenait, tout en y apportant de substantielles modifications, la théorie des pierres ré-agglomérées, telle que développée par Joseph Davidovits.
Suite à une confrontation de points de vue publiés sur le forum égyptologique de ddchampo, Jean-Pierre Dupeyron souhaite porter à la connaissance des lecteurs de Pyramidales un complément relatif au mode d’extraction et à la mise en oeuvre des matériaux, soit “naturels”, soit ré-agglomérés, utilisés par les bâtisseurs égyptiens, sous la forme d’un ajout à sa version "B" de la théorie dite "des pyramides en pierres ré-agglomérées" du professeur Davidovits.



"Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la théorie du professeur Davidovits, pour des raisons de déontologie, il n’était pas question pour moi de rédiger une version B qui expliquerait tout dans les moindres détails. 
Après avoir rendu publique dans ce blog la première partie, je pensais que le professeur rattraperait la balle au bond et essaierait, avec l’aide des égyptologues, de rendre l’ensemble plus cohérent. Or, le professeur Davidovits m’a fait savoir aimablement qu’il estimait que ma petite modification n’était pas convaincante. J'en ai par conséquent déduit qu’il n’avait aucune envie d’approfondir cette voie. 
En fait, les choses auraient dû en rester là si ce n'est qu'un petit détail, insidieusement, depuis le tout début de cette étude, s’était enregistré dans ma mémoire, et a fini petit à petit à remonter à la surface. Ce petit détail est la forme des blocs naturels. En fait, si les blocs ré-agglomérés ne ressemblaient pas à des blocs moulés industriellement, c’était, si j’ose dire, le problème du professeur. Par contre, si les blocs naturels ont bien été extraits, comme le prétendent les égyptologues, il n’y pas, a priori, de raison pour que leurs formes soient si disparates. Sachant que la production des blocs naturels était un travail long et pénible, il m’a semblé évident qu’une petite modification sur le mode opératoire réduisait le temps d’extraction et résolvait en partie cette contradiction.

Intervention de la "grosse masse"
La solution consiste simplement à extraire les blocs, non pas unitairement, mais par groupes de trois, quatre ou cinq. La séparation en blocs unitaires se serait faite alors à l’aide d’une masse d’une centaine de kilogrammes tombant d’une certaine hauteur. Au départ, cet outil, que l’on peut nommer une "grosse masse", ne me posait aucun problème de conception : un simple tronc fixe sur de hauts tréteaux, une corde et un bloc de granit, et c’était tout ! Cependant, l’instabilité d’un dispositif aussi rudimentaire m’incita à en imaginer un plus solide. C’est en essayant de le dessiner que je me suis rappelé de la pseudo "poulie" en pierre dure de Sélim Hassan. Avec cet indice, je me suis un peu comporté comme un paléontologue qui, ayant découvert un petit fragment d’os fossile, arrive à dessiner l’animal entièrement. Compte tenu de la forme de la "poulie", de la fonction à réaliser, et de mon expérience de concepteur, je suis arrivé, après plusieurs étapes, au résultat ci-dessous (à gauche le point de départ, et à droite le résultat final). 

 Cliquer sur l'illustration pour l'agrandir

J’ai monté cet engin sur des patins pour pouvoir le déplacer plus facilement. Les opérateurs sont disposés en ligne, mais décalés d’environ trois centimètres, afin de garder les cordes parallèles à la sortie de la "poulie". L’encoche d’arrêt, en position haute, permet de positionner l’engin au-dessus du bloc à casser, en évitant que les opérateurs ne restent suspendus à leurs bâtons pendant toute la durée de la manœuvre.
Je rappelle que cette "poulie" a été trouvée au pied de la pyramide de Khephren et il n’y qu’un seul exemplaire connu. Si les égyptologues pensent que cette pièce pouvait être fixée, comme je le propose, en bout d’un mât de bois, ils n’ont, à ma connaissance, aucune explication pour les trois rayures. En fait, leur perplexité est assez compréhensible, car je ne vois, de prime abord, que cette application qui nécessite trois cordes pour monter une charge unique. De plus, cette activité devait être suffisamment importante pour nécessiter l’utilisation de pierres dures pour sa réalisation.
Une petite remarque : cet engin ne doit pas être vu comme la machine d’Hérodote, car les trois hommes ne peuvent, à la limite, soulever au total que leur propre poids.

Disposition en damiers des blocs naturels
Une conséquence importante de cette nouvelle méthodologie d’extraction : outre le fait qu’elle simplifie le travail, elle réduit également le volume des gravats de 125 % environ pour un bloc unitaire à environ 80 % pour un groupe de trois blocs. Or, le fait de passer en dessous des 100 % de gravats permet d’envisager une technique de moulage inédite : la disposition en damiers des blocs naturels.
Compte tenu de toutes ces constatations, je pense que le chantier titanesque d’approvisionnement en blocs de libage des deux grandes pyramides du plateau de Guizeh devait être organisé de la manière succinctement décrite par la figure ci-dessous.

 Cliquer sur l'illustration pour l'agrandir

Comme dans l’explication de l’égyptologue Georges Goyon, des blocs de libage (seulement la moitié) sont extraits directement des carrières du plateau de Guizeh (1), non pas unitairement, mais par groupes de trois (2), sans modifier la manière de creuser les tranchées (3). Après extraction, le groupe est disposé sur deux tasseaux, puis séparé en blocs unitaires à l’aide de la "grosse masse" que l’on laisse tomber d’une certaine hauteur (4) sur chacune de ses deux extrémités. L’étape suivante consiste à disposer ces blocs en damiers (5) afin de créer des moules.

Théorie du professeur Davidovits, version B
Le second type de production est conforme à la théorie du professeur Davidovits, version B ; c’est-à-dire que la grande majorité du calcaire ne provient pas des wadis (oueds), mais des gravats (6) résultant de l’extraction des blocs naturels. La soupe du bassin de malaxage (7) est alors constituée d’environ 80 % de gravats résultant de l’extraction des groupes de trois blocs, le reste étant, comme le préconise le professeur Davidovits, de l’eau, du calcaire des wadis (8), du natron, et de la cendre ; le mortier humide étant ensuite transporté (9), puis damé dans les moules (10) précédemment créés par les blocs naturels.
Comme les blocs ré-agglomérés ont besoin d’un certain temps de séchage, j’ai créé arbitrairement une zone de stockage temporaire (11) afin de réaliser ce délai. Le nombre de blocs de cette zone doit être ajusté, au tout début du chantier, pour permettre aux blocs ré-agglomérés d’être suffisamment secs pour être manipulés sans se désagréger. Et, enfin, la dernière tâche, un peu plus simple à mon avis : hisser tous ces blocs (12) à l’aide de rampe(s) ou de machines.
Le fait de faire sécher les blocs, non pas à leur place définitive sur la pyramide, mais sur une zone temporaire, résulte de la constatation, par différents fouilleurs, de la présence de vides d’inter-joints. Si les blocs avaient étés moulés directement sur la pyramide, ces vides auraient été quasi inexistants.
Cette manière de procéder, qui va à l’encontre de la logique de tous ceux qui n’ont jamais construit de pyramides (moi compris), est certainement due à l’incompatibilité de cohabitation entre les deux modes de transport. Il doit être en effet préférable de ne développer qu’un seul moyen de hissage plutôt que deux distincts (comme, par exemple, une rampe pour les blocs naturels et des escaliers pour transporter les paniers de mortier).
Si cette méthodologie a bien été utilisée, elle est en théorie vérifiable, car la proportion entre les blocs naturels et artificiels doit être exactement de 50/50.
Une telle nouvelle organisation d’extraction permet d’expliquer simplement pourquoi tous les blocs (naturels et artificiels) n’ont pas tous la même taille. Elle explique en plus l’absence de marques de moulages."

Jean-Pierre Dupeyron