mercredi 17 octobre 2012

“Leurs instruments se bornaient à des rouleaux et à des plans inclinés; leurs engins les plus puissants étaient la patience et la persévérance” (Louis Pascal - XIXe s. - à propos des bâtisseurs des pyramides)

Ceci n'est point un livre savant ni un livre nouveau, il ne vous apprendra rien sur les antiquités égyptiennes, il ne viendra jeter aucune lumière sur l'origine et les coutumes d'un peuple, en tous points digne d'intérêt, mais assez mal connu. Il s'offre à vous sans prétentions, et demande à être lu, comme il a été écrit, rapidement.
Nous voici avertis, en abordant l’ouvrage La Cange : voyage en Égypte (1861) de Louis (du Puy) Pascal : sa lecture sera ou risque d’être d’un apport minimaliste.
Quant aux sources dont s’est inspiré l’auteur avant son périple en terre égyptienne, elles vont crescendo, partant d’un guide Murray, semble-t-il en vogue fin XIXe, mais sans grand intérêt, puis de “Barthleth” (sans doute Bartlett), Wilkinson et Clot-Bey, pour aboutir aux “deux charmants conteurs” Eugène Poitou et Charles Didier (ce dernier venait de publier ses Nuits du Caire), avant cette surprenante conclusion : “Après avoir bien feuilleté, je finis par où j'aurais dû commencer, c'est-à-dire que j'allai trouver un ami qui avait fait le voyage, et qui m'en apprit plus, en une demi-heure, que tous les livres que j'avais lus.
Dernière formalité avant notre départ pour le Caire : il nous reste à faire la connaissance de la cange à bord de laquelle a voyagé Louis Pascal. Il s’agit d’une embarcation “d'environ trois cents chevaux, (qui) nous a fait faire une traversée des plus rapides ; il est vrai de dire que nous avions bon vent et que, les voiles aidant la vapeur, nous marchions avec une vitesse moyenne de treize nœuds et demi à l'heure.
Abordant les pyramides de Guizeh, l‘auteur nous invite à le suivre, pour enfin clamer haut et fort, au terme de sa découverte de la Grande Pyramide (ascension du monument et visite de l’intérieur) :"Je le dis hautement, je ne souhaiterais pas à mon plus mortel ennemi une plus cruelle punition que celle de faire chaque jour avant son déjeuner une semblable ascension."


Hottenroth, Friedrich, b. 1840 -- Lithographer
Au loin, et comme fond de tableau, le désert avec ses sables arides, du sable, rien que du sable d'un jaune roux qui tranche sur un ciel sans nuages ; et au milieu de cet océan de sable, les pyramides de Gizeh, qui s'élèvent mornes et sombres ! Spectacle sublime et désolant à la fois ! La fertilité tout près d'un sol aride, l'animation de la campagne près du silence du désert, la vie près de la mort ! (...)
En sortant de Gizeh, les pyramides s'offrent subitement à vous, dans toute leur majesté : jusque-là on ne les aperçoit que par intervalles, à demi-masquées par les arbres ou les plis du terrain. Les voici maintenant dans toute leur splendeur. A la vue de ces masses granitiques on éprouve une impression singulière : on se demande quels étaient ces hommes, ces géants qui ont osé concevoir et exécuter cet immense travail ; on voudrait savoir quels moyens employaient ces habiles ouvriers pour soulever de terre des masses aussi considérables, et les élever à une pareille hauteur. Avaient-ils donc des engins plus puissants que les nôtres? les moufles, les crics, la vapeur leur étaient-ils connus ?
Non. leurs instruments se bornaient à des rouleaux et à des plans inclinés, mais leurs engins les plus puissants étaient la patience et la persévérance.
Les pyramides s'élèvent au milieu du désert, comme les divinités protectrices de l'Égypte. Ce n'est pas ici le lieu de renouveler les interminables discussions sur l'emploi de ces constructions
importantes ; on les regarde assez généralement comme ayant été destinées à recevoir les cendres de quelques souverains, dont elles étaient les magnifiques mausolées.
Les documents historiques les plus authentiqué font remonter la construction de la grande pyramide de Gizeh à neuf siècles avant l'ère chrétienne ; elle porte le nom de pyramide de Chéops. Mais assez comme cela de science rétrospective ; le récit de mon simple voyage craindrait de s'élever à la hauteur d'une compilation scientifique ; c'est ma propre visite aux pyramides que je veux vous décrire, et je vais tâcher de le faire de manière à vous inviter à suivre mes traces. (...)
Malgré notre fatigue nous voulûmes visiter l'intérieur du monument (*) ; mais nous ne pûmes décider le baron de V. à nous accompagner. Il ne pouvait plus, à la lettre, remuer ni pieds ni pattes. Je le vois encore d'ici, avec sa figure aussi rouge qu'une pivoine, inondée de sueur, la tête couverte d'une calotte en velours bleu, dont le gland de soie pendait derrière son dos, emprisonné dans sa veste de hussard, il étouffait et, malgré nos recommandations, avalait, coup sur coup, verre d'eau sur verre d'eau.
La porte, si l'on peut donner le nom de porte à l'ouverture par laquelle on pénètre dans l'intérieur
de la pyramide, se trouve placée environ au quart de sa hauteur, en partant du sol : elle donne accès à un corridor, très bas et très étroit, fait en pierre lisse ; le moyen le plus simple pour parcourir ce corridor en pente est de se mettre sur son derrière, puis. lâchez tout, et vous vous trouvez en bas ! Vous tournez sur la droite et trouvez un nouveau plan incliné : celui-ci est ascendant.
Vous vous mettez alors à quatre pattes et des Arabes vous tirent en avant et vous poussent en arrière. Après toutes ces évolutions, vous arrivez enfin dans un vaste local, dit “La chambre du roi”. Un immense sarcophage en granit se présente à votre droite ; dans cette chambre règne une chaleur insupportable et il s'y exhale une forte odeur de renfermé. Il faut avoir eu le soin de se munir d'une grande quantité de bougies et de torches, car nulle ouverture extérieure ne fait pénétrer la lumière du jour dans cette chambre funéraire.
J'avoue qu'à me trouver dans ce tombeau, éclairé seulement par la lueur rougeâtre des torches, à me voir entouré d'une cinquantaine d'Arabes à la face bronzée, et ressemblant plutôt à des démons qu'à des hommes, j'éprouvai une singulière impression. Les torches projetaient sur les murailles des ombres gigantesques. Je voulus compléter le tableau et ordonnai à ces démons de chanter et de danser. Ce fut aussitôt un sabbat infernal : les cris, les gestes, les vociférations de toute sorte retentissant dans cette chambre sonore, étaient d'un effet saisissant. Ce n'est pas sans une certaine émotion que je me voyais au milieu de cette horde avide et incivilisée !
Nous ne prolongeâmes pas notre séjour dans ce caveau, où la chaleur nous étouffait, où l'odeur de la résine nous prenait à la gorge, et ce fut avec bonheur que nous retrouvâmes le soleil et le grand air.
Nous étions littéralement harassés de fatigue, nos habits tombaient en lambeaux, la poussière, mêlée à la sueur, couvrait nos visages ; mais nous en étions venus à notre honneur, nous avions terminé cette ascension que tout voyageur tient à faire. Cependant, je le dis hautement, je ne souhaiterais pas à mon plus mortel ennemi une plus cruelle punition que celle de faire chaque jour avant son déjeuner une semblable ascension.

(*) la Grande Pyramide

Source : Gallica