lundi 8 octobre 2012

Un “spectacle déconcertant, qui semble consacrer l'éternité de la pierre” (Jean Bayet - XXe s. - devant les pyramides de Guizeh)

Le lieutenant Jean Bayet, du 356ème RI
L’ouvrage Égypte, publié par Jean Bayet (1882-1915) en 1911, mérite assurément  de faire partie de la collection “Les beaux voyages” (éditions Les arts graphiques - Vincennes).
Jean Aycard, le préfacier, l’écrit à juste titre, avec toute l’emphase d’un académicien : “Et c'est là proprement le charme du voyage ; il est dans le renouvellement indéfini de notre faculté d'attendre avec joie. Voyager, c'est espérer ; voilà pourquoi le voyage est parfois un remède efficace aux grands chagrins. Il nous force à espérer encore. Un désir de voyage est essentiellement un désir de nouveau et d'amusant, d'inédit, de romanesque ou de féerique - en tous cas, de non-encore-vu.“
Détenteur de deux licences, en Lettres et en Droit, Jean Bayet, attaché au ministère de l’Instruction publique, s’est consacré à l'histoire de l'art . Il collabora régulièrement à l’édition du dictionnaire Le Larousse qui paraissait alors sous forme de fascicules mensuels.
Le “féerique”, par lequel a été décrit le charme du voyage, est présent sous la plume de Jean Bayet, avec une pointe de lyrisme qui n’est pas pour nous déplaire, un siècle plus tard.
Un bémol toutefois, ou plutôt une question, pour une précision apportée par l’auteur concernant la pyramide de Khéops : où donc est-il allé dénicher l’année 3733 av. J.-C. pour la “date” de construction de ce monument ? Entendons, pouvons-nous supposer : la date de fin de construction. De surcroît, d’où tient-il l’information du “demi-siècle” pour la durée de cet “immense travail” ?
Nous ne sommes sûrement pas loin du “romanesque” qui enchante aussi la découverte du “non-encore-vu”...


“Cherchons l'âme ancienne de ce pays de l'autre côté du Nil, où, dans les solitudes du désert lybique, se dressent ces apparitions légendaires dans lesquelles l'imagination des peuples a, de tout temps, symbolisé l'Egypte ancienne : le Sphinx et les Pyramides. C'est aujourd'hui une simple promenade, des plus faciles : un tramway vous conduit au pied des pyramides. Car là aussi le cosmopolitisme et la civilisation sévissent : derrière la pyramide de Chéops, un vaste hôtel s'est dressé : des guinguettes voisines s'échappent des refrains
de cafés-concerts, tandis que des Bédouins avides s'accrochent aux touristes, pour les guider dans leur visite.
Il faut s'isoler, pour méditer à l'aise ce spectacle prodigieux : la statue colossale du Sphinx couché, derrière laquelle s'érigent trois signes fantastiques, trois énormes triangles. Alentour, la solitude, les sables.

Spectacle déconcertant, qui, dans son aspect demi-ruiné, semble pourtant consacrer l'éternité de la pierre, en face des éphémères générations des hommes.
De loin, le sphinx, dont l'origine se perd dans la nuit des temps : sa tête énorme, ses épaules robustes, taillées dans un roc solide, émergent, luttant contre le sable qui l'envahit et paraît vouloir l'ensevelir.
L'artillerie de Mohammed-Aly le battit en brèche ; son nez est emporté, sa figure déformée; mais la main des hommes n'a pu détruire l'impénétrable sourire qui se dessine, au-dessus de son menton saillant, l'étrange et mystérieux sourire, qui vous fascine et vous obsède.
Certes, il est loin, le temps de l'antique splendeur, où le colosse trônait, au milieu d'une esplanade dallée, à jamais ensevelie. Les trous n'avaient pas ravagé sa face, que des peintures et des enduits paraient, dit-on, d'une merveilleuse beauté. Pourtant, on reste interdit en face de cette figure impassible, tournée vers le soleil levant qui, depuis cinq mille ans, contemple l'Egypte couchée à ses pieds.


Le tramway des pyramides

La grande pyramide de Chéops, qui date de l'an 3733 avant Jésus-Christ, n'est pas la plus ancienne des pyramides d'Egypte ; mais c'est la plus élevée. Elle mesurait, à l'origine, sur chacune de ses faces, 755 pieds de long, elle avait 180 pieds de haut. Immense travail, pour lequel le roi Chéops, pendant un demi-siècle, usa des milliers d'esclaves, dans la vaine pensée d'éterniser sa momie. Là aussi, le temps a fait son œuvre. Il ne faut pas, en effet, se représenter ce triangle géométrique comme une surface unie. Il était ainsi jadis, lorsqu'il était recouvert de pierres lisses : mais ces pierres furent arrachées et servirent à bâtir les mosquées du Caire.
C'est aujourd'hui une série de gradins, faits d'énormes blocs de calcaires, de 4 à 6 pieds de haut.
Construite, ainsi que les autres, pour abriter la momie royale, elle recèle, à l'intérieur, des chambres et des passages : tour à tour, les Persans, les Romains, les Arabes s'introduisirent dans la demeure funèbre du Pharaon ; ses trésors furent pillés et dispersés ; les voleurs ne laissèrent que l'énorme sarcophage du roi, trop pesant sans doute pour leurs mains débiles.



Dans le lointain, jusqu'aux limites de l'horizon, d'autres pyramides émergent. C'est le désert memphite : vaste nécropole où, durant trois mille ans, sur un espace de plus de deux lieues, les momies s'amoncelèrent jusqu'à la première cataracte du Nil, les montagnes furent creusées par la main des hommes ; les chaînes rocheuses, qui bordent le Nil, ne sont qu'un long et perpétuel cimetière percé de chambres sépulcrales. Depuis l'antiquité, les chercheurs de trésors, de nos jours, les archéologues ont fouillé patiemment la montagne, arrachant à ses flancs un nombre incalculable de momies qui reposaient, depuis des milliers d'années. Et pourtant le désert abrite encore, sans nul doute, une infinité de sarcophages qui ont échappé aux investigations.
Cette partie du désert, qui avoisine Memphis, était couverte autrefois de temples magnifiques, ensevelis aujourd'hui. Seules, des pyramides gigantesques jalonnent encore cette nécropole, éparses dans un océan de sables, de rochers et de pierres éboulées.”
Source : Gallica 


Sur cet auteur, deux autres "morceaux choisis", dans l'Égypte entre guillemets :

"Immuable est l'ancienne patrie des Pharaons, comme le Sphinx, dont l'obsédant sourire semble déchiffrer sans fin quelque énigme qui déconcerte notre faiblesse humaine

" Les paysages du Nil inspiraient naturellement les artistes d'autrefois" (Jean Bayet)