vendredi 9 novembre 2012

“Ces monuments subsistent encore aujourd'hui et dureront autant que les siècles” (Les Mille et Une Nuits, à propos des pyramides)

“Les Mille et Une Nuits constitue le plus extraordinaire recueil d'histoires "étonnantes et surprenantes" – ainsi qu'on les qualifiait autrefois – de toute la littérature. Accaparé un temps par l'Europe, qui en donna toute une série de traductions dans plusieurs langues, à commencer par le français, l'ouvrage a ensuite rejoint la place sans égale qui est la sienne au firmament de la culture universelle.
Ce chef-d'œuvre de la littérature mondiale constitue un lien exceptionnel entre Orient et Occident. Ce livre “sans fin” ou “avec toutes les fins”, a une histoire aussi curieuse, riche et prodigieuse que les péripéties des contes qu'il recèle et dont les sources sont, elles aussi, multiples.
Véhicule de mythologies et de croyances propres à l'Orient, cet ouvrage populaire est un témoin culturel unique. Il est à l'origine d'une multitude d'images de l'Orient – vraies et fausses –, de clichés, façonnés par l'Occident, qui constituent une sorte de “thésaurus” dans lequel puisent les imaginations de générations entières d'artistes et de créateurs qui, tout à la fois, s'en nourrissent et viennent à l'enrichir encore...” (extraits de la présentation d’une exposition à l’Institut du Monde Arabe du 27 novembre 2012 au 28 avril 2013)
Ci-dessous le texte intégral de la CLVe Nuit. Fiction ou réalité ? On ne saurait en tout cas imaginer un hommage plus soutenu au charme du Caire et de ses légendaires monuments.




“J'étais déjà grand, et je commençais à fréquenter le monde, lorsqu'un vendredi je me trouvai à la prière du midi avec mon père et mes oncles, dans la grande mosquée de Moussoul. Après la prière, tout le monde se retira, hors mon père et mes oncles , qui s'assirent sur le tapis qui était étendu par toute la mosquée. Je m'assis aussi avec eux ; la conversation tomba insensiblement sur les voyages. Ils vantèrent les beautés et les singularités de quelques royaumes et de leurs villes principales ; mais un de mes oncles dit que, si l'on en voulait croire le rapport uniforme d'une infinité de voyageurs, il n'y avait pas au monde un plus beau pays que l'Egypte, et un plus beau fleuve que le Nil ; et ce qu'il en raconta m'en donna une si grande idée que, dès ce moment, je conçus le désir d'y voyager.
Ce que mes autres oncles purent dire pour donner la préférence à Baghdad et au Tigre, en appelant Baghdad le véritable séjour de la religion musulmane et la métropole de toutes les villes de la terre, ne fit pas la même impression sur moi. Mon père appuya le sentiment de celui de ses frères qui avait parlé en faveur de l'Egypte, ce qui me causa beaucoup de joie. “Quoi qu'on en veuille dire, s'écria-t-il, qui n'a pas vu l'Egypte n'a pas vu ce qu'il y a de plus singulier au monde. La terre y est toute d'or, c'est-à-dire si fertile qu'elle enrichit ses habitants. Toutes les femmes y charment, ou par leur beauté, ou par leurs manières agréables. Si vous me parlez du Nil, y a-t-il un fleuve plus admirable ? Quelle eau fut jamais plus légère et plus délicieuse ? Le limon même qu'il entraîne avec lui dans son débordement n'engraisse-t-il pas les campagnes, qui produisent sans travail mille fois plus que les autres terres avec toute la peine que l'on prend à les cultiver ?
Écoutez ce qu'un poète, obligé d'abandonner l'Egypte, disait aux Égyptiens : “Votre Nil vous comble tous les jours de biens ; c'est pour vous uniquement qu'il vient de si loin. Hélas ! en m'éloignant de vous, mes larmes vont couler aussi abondamment que ses eaux ! Vous allez continuer de jouir de ses douceurs , tandis que je suis condamné à m'en priver malgré moi.”
“Si vous regardez, ajouta mon père , du côté de l'île que forment les deux branches du Nil les plus grandes, quelle variété de verdure, quel émail de toutes sortes de fleurs, quelle quantité prodigieuse de villes, de bourgades, de canaux et de mille autres objets agréables ! Si vous tournez les yeux de l'autre côté en remontant vers l'Ethiopie, combien d'autres sujets d'admiration ! Je ne puis mieux comparer la verdure de tant de campagnes arrosées par les différents canaux du Nil, qu'à des émeraudes brillantes enchâssées dans de l'argent. Le Caire n'est-il pas la ville de l'univers la plus vaste, la plus peuplée et la plus riche ? Que d'édifices magnifiques, tant publics que particuliers ! Si vous allez jusqu'aux Pyramides, vous serez saisis d'étonnement, vous demeurerez immobiles à l'aspect de ces masses de pierres d'une grosseur énorme qui s'élèvent jusqu'aux cieux ! Vous serez obligés d'avouer qu'il faut que les Pharaons qui ont employé à les construire tant de richesses et tant d'hommes, aient surpassé tous les monarques qui sont venus après eux, non seulement en Egypte, mais sur la terre même, en magnificence et en invention, pour avoir laissé des monuments si dignes de leur mémoire. Ces monuments si anciens que les savants ne sauraient convenir entre eux du temps où ils furent élevés, subsistent encore aujourd'hui et dureront autant que les siècles. Je passe sous silence les villes maritimes du royaume d'Egypte, comme Damiette, Rosette, Alexandrie, où je ne sais combien de nations vont chercher mille sortes de grains et de toiles, et mille autres choses pour la commodité et les délices des hommes. Je vous en parle avec connaissance : j'y ai passé quelques années de ma jeunesse,que je compterai, tant que je vivrai, pour les plus agréables de toute ma vie.”

Source : Google Livres