jeudi 22 novembre 2012

La description des “capacités” de la Grande Pyramide, selon Dominique Jauna - XVIIIe s.

Après la description globale qu’il a proposée des trois pyramides majeures du plateau de Guizeh (leur situation, les structures externes annexes, la nature, l’origine et la mise en place des matériaux de construction) dans son ouvrage Histoire générale des roïaumes de Chypre, de Jerusalem, d'Arménie, et d'Egypte : comprenant les croisades, avec plus d'exactitude qu'aucun auteur moderne les ait encore rapportés, et les faits, les plus mémorables, de l'empire ottoman, depuis sa fondation jusqu'à la fameuse bataille de Lepante, où finit cette histoire, dans laquelle on trouve aussi l'anéantissement de l'empire des Grecs ; on y a ajouté I. L'état présent de l'Egypte ; tome 2, 1747 (cf. note de Pyramidales) , le chevalier Dominique Jauna se lance dans une exploration de l’intérieur de la Grande Pyramide.
Il est évident que seuls les connaisseurs du monument seront à même de le suivre dans son minutieux inventaire des lieux et d’apprécier la justesse ou les approximations de sa description.
Le texte se veut exhaustif, utilisant bien sûr une terminologie qui nécessite aujourd’hui un réajustement (les “capacités” pour signifier les “espaces” ; “juste” pour signifier “ajusté”...). Je l’ai gardé dans sa formulation originale. Avec toutefois, de-ci de-là,  des points de suspension, correspondant à des mentions de quelques illustrations qu’il m’a été impossible trouver dans les diverses éditions du texte auxquelles je me suis référé. Ces illustrations auraient été fort utiles pour soutenir la compréhension. Néanmoins, il me semble que, comme tels, les développements de l’auteur traduisent les observations directes d’un “visiteur” qui ne s’est pas contenté de répéter d’autres écrits antérieurs.

Cliché de John et Edgar Norton
“Aujourd'hui, la première chose qui s'offre à vous est un canal, ou coulisse (...) de trois pieds et 3 pouces, en carré, dont l'entrée est à 100 pieds, ou environ, de la base de la pyramide, posée presque justement au milieu de la face qui regarde vers le Septentrion. Ce canal (...), qui est l’unique entrée commune, se porte en ligne droite vers le Midi, en baissant considérablement vers le bas de la pyramide. Sa longueur n'est aujourd'hui, que de cent pieds. Comme la raideur de la pente de cette entrée, et l’extrême polissure de ces pierres, ne permettaient pas de s'y exposer, sans être entraîné vers la base, on y a gravé sur le fond dans la suite, assez près l'un de f autre, de petits trous, à la faveur desquels on se tient en montant et en descendant.
Avant que d'arriver au fond de cette allée, à 10 ou 12 pieds, on trouve une ouverture à la pierre supérieure pareille en tout à celle par où l'on entre ; mais cette ouverture, qui est la véritable, est incontinent fermée par une pierre, qui lui est juste ; ce qu'il est important d'observer. On passe ensuite le reste du premier canal, qui n'a que 10 ou 12 pieds ; et l'on se trouve dans une capacité, qui tourne à main droite, (...) laquelle n'est point naturelle à la pyramide: Elle a été pratiquée, en brisant et en arrachant des pierres. Cette capacité, qui est irrégulièrement de 10 à 12 pieds, s'étend sous la pyramide à droite, en diverses manières, par un espace de 50 pas. C'est une route qu'on a pratiquée, en continuant d'arracher et de briser des pierres. Elle est tantôt serrée et basse ; tantôt un homme peut s'y tenir droit. Elle n'aboutit a rien et elle a été, à ce que je crois, inutile à ceux qui l’ont faite, apparemment, dans le dessein de trouver quelque trésor.
À gauche de cette capacité, on retrouve d'abord, en montant, le véritable chemin des tombeaux, dont l'entrée est bouchée, sur le premier canal, comme je l'ai remarqué. C’est par cet endroit (...) que l’on a entrepris de vider le canal, qui était bouché dans toute son étendue, en la manière qu'il l’est encore par le bout, de 3 à 4 pierres de marbre granite. La dernière, que l’on rencontre, en regagnant ce canal, est brisée par la moitié ; à quoi il est très important de donner attention. De cette pierre brisée, le canal est entièrement vide jusqu'à fa fin, qui se termine à une galerie. Ce canal, qui répond directement au premier, par lequel on entre, remonte vers le haut de la pyramide en la même manière, et d'une élévation aussi grande que l’est la pente du premier canal (...).
Il faut observer que le canal, ou coulisse, par où l’on entre, est en son entier ; et celui qui remonte vers la galerie, et que j'appelle celui de la sortie, est au contraire maltraité en tous sens. La polissure des pierres est enlevée par les quatre côtés ; et ce canal, de carré qu'il était, est devenu presque rond. L'endroit, par lequel on y entre, après l'avoir manqué ou quitté, en descendant, a environ 15 pieds de largeur, c'est-à-dire que les pierres qui étaient à la droite en cet endroit ont été enlevées et brisées jusqu'à la galerie. C'est cet espace maltraité. Il y a une longueur de 66 pieds et quelques pouces ; et au bout de cette allée étroite, on trouve une manière de galerie qui s'élève, par son plan, vers le haut de la pyramide, au même sens du premier canal, ou pour l'expliquer en une autre manière, le canal continue encore, par l'espace de 120 pieds, en cette sorte.
La longueur du canal est la même, à la hauteur de deux pieds et demi, et forme ainsi à côté une manière de banc de pierre très dure et très solide, en sorte que le canal, qui n'a, en cet endroit, que trois pieds trois pouces de largeur, et deux pieds et demi de profondeur, se trouve tout d'un coup de 7 pieds 3 pouces ; et, quant à l'exhaussement, il s'élève à 25 et 30 pieds en cette sorte. Après 12 pieds, il se rétrécit de 4 à 5 doigts, par une pierre qui déborde d'autant sur les premières.
Il y en a une seconde, qui avance de même sur celle-ci, et ainsi jusqu'au sommet, qui se trouve justement de la largeur de 3 pieds, c'est-à-dire qu'il correspond au canal qui se trouve dans le bas (...).
À l'extrémité de la galerie, le canal, qui se trouve en bas, finit à 10 à 12 pieds du mur ; c'est-à-dire qu'il y a une petite esplanade de cet espace, et que l'endroit est tout uni ; le canal ne manque pas sensiblement, comme cela se pouvait faire. II y a un arrêt en cette sorte ; ce qui a son usage, comme nous l’expliquerons tout-à-l’heure. Au bout de cette petite esplanade, en ligne droite du canal, et dans le mur qui finit cette galerie, on trouve une suite du canal de 3 pieds et 3 pouces, en carré ; mais il ne va plus en montant, il est horizontal et pareil à la petite esplanade. On entre par ce canal, qui n'a que 18 pieds de longueur, dans la salle, ou chambre haute de la pyramide, qui a environ 18 pieds de longueur, et laquelle a apparemment servi de tombeau au Roi qui l’a fait bâtir ; mais il est très essentiel d'examiner ce qui se rencontre dans cette longueur de 18 pieds. Je trouve d'abord que la pierre supérieure de ce trou, à son entrée, a été cassée à grande force : il en manque environ un pan. Cela m'a fait connaître que le trou était fermé d'une pierre juste et que, pour l'arracher, il a fallu chercher une prise. La pierre est de marbre granite, c'est-à-dire la plus dure qui soit au monde.
Après 4 pieds d'enfoncement, la pierre supérieure s'ouvre et laisse la liberté de se lever debout. Cette ouverture est seulement d'un pied et demi ; et elle est naturelle, c'est-à-dire qu'elle a été faite à dessein. Je trouve, en me tenant debout, qu'il y a sur la pierre, que j'ai en vue, en me tournant du côté de la salle, ou chambre basse, une élévation, en bosse, sur le milieu, de la figure d'une armoire, de la largeur de 8 ou 10 pouces, laquelle a été laissée exprès, en taillant cette pierre. 

Cliché de John et Edgar Norton
“Un des secrets de la pyramide”
Ce canal, ou soupirail, qui n'a qu'un pied de largeur, sur la longueur de 5 pieds 3 pouces, c'est-à-dire qui a une ouverture proportionnée à la largeur du canal, s'élève de 5 à 6 pieds en cet état, et se perd ensuite dans une capacité qui regarde vers la salle, et dont je vais parler. Je me rebaisse, et continue à marcher dans le canal de 3 pieds trois pouces, et qui se trouve à 2 pieds de cette ouverture que j'avais sur ma tête ; et je vois une autre ouverture de 6 pieds de longueur, qui me permet de me lever debout.
Cette ouverture est aussi naturelle, et c'est un des secrets de la pyramide. Je remarque que la largeur du canal, qui n'est, en entrant, que 3 pieds 3 pouces, et qui n'est encore que de la même carrure, par un espace de 6 pieds, qui reste à passer jusqu'à la salle, est, en cet endroit, plus large d'un demi pied, c'est-à-dire qu'il s'enfonce, de part et d'autre, de 3 doigts ; en sorte qu'une pierre remplisse cet espace, comme il y en avait une qui le remplissait incontestablement ; elle ne pouvait être tirée dehors, ni entrer dans la salle, qu'elle ne fût brisée à la pointe du marteau.
À l'entour de cet espace, qui a 6 pieds de long et 3 pieds 9 pouces de large, et qui s'élève de plus de 15 pieds, règnent des cannelures en diverses sortes, dans lesquelles était, comme emboîtée, la pierre qui y était suspendue lorsqu'on fabriqua la pyramide, et qui était soutenue en travers, par des leviers qui passaient de part et d'autre, dans des vides, qui y sont pratiqués, tout autour, comme une espèce de petite galerie, de la hauteur de 3 pieds, et de la profondeur de deux. Cet espace est joint, par en haut, avec la première capacité, que j'avais rencontrée (...).
Je trouve ensuite, en me rabaissant, pour passer le canal de 6 pieds qui me restent jusqu'à la salle de la pyramide, qu'il y a un arrêt de deux doigts au bout de ce canal ; et je le juge ainsi, quoiqu'il ne paraisse pas d'abord. Je fis lever la terre, ou sable, dont le fond était comblé ; et je trouvais que le pavé de la salle était élevé de deux grands doigts plus que le fond du canal ; ce qui était nécessaire pour la fermeté de cette entrée. Car, après qu'on eut poussé, dans cet espace de 6 pieds, une pierre qui le remplissait justement, et c'est par là qu'on dut commencer à fermer le tombeau, elle aurait pu y être enfoncée, si elle n'eût eu son arrêt. Il est croyable que ces pierres étaient enduites de quelque mastic, ou bitume, qui s'attachait aux côtés, auxquels elles touchaient, avec la même fermeté que si elles y avaient été posées, en bâtissant la pyramide.
Quand cet espace fut fermé, il fut question de laisser tomber cette pierre suspendue en l’air, dont l’espace, cannelé tout autour, est de 6 pieds de longueur et 3 pieds 9 pouces de largeur. Cette pierre était naturellement plus haute et plus épaisse que le canal ne l’était lui-même. Il est apparent que la pierre, destinée à remplir l'ouverture supérieure, d'un pied et demi de largeur, dont j'ai d’abord parlé, fut emmenée ensuite justement sous la même ouverture que cette pierre.
II y avait sur l’endroit, qui correspondait à cette ouverture, un gros crampon de fer attaché ; et, du côté qui regardait la salle, il y avait un enfoncement de 8 ou 10 doigts de largeur, et de 4 ou 5 de profondeur, qui n'allait pas jusqu'au bout de cette pierre, mais qui, finissant à 2 pieds près de l’endroit, qui devait regarder le canal, cadrait à cette élévation en forme d'armoirie, dont j'ai parlé, laquelle était destinée à arrêter cette pierre, et à empêcher qu'elle ne pût être élevée dans le vide supérieur. Cette pierre ainsi disposée, on attacha au crampon de fer, qu'elle avait par-dessus, une chaîne de même métal d'une longueur mesurée avec le dernier soin, et tenant, par un autre crampon, à la pierre de 6 pieds de long et 3 pieds 9 pouces de large, suspendue jusque-là, par des leviers, ou d'autres arrêts. On leva ensuite tout ce qui avait jusque-là soutenu cette grosse pierre, depuis la fabrique de la pyramide ; et l'on pesa fortement sur la petite, à laquelle elle correspondait, par la chaîne de fer, afin de donner le loisir aux ouvriers de se retirer par une ouverture, qui devait être fort étroite. On laissa, après qu'ils furent sortis, aller la première pierre, laquelle, emportée par une autre plus pesante, ferma cette entrée supérieure, en même temps que la grosse pierre tomba dans le fond de la capacité, sur laquelle elle était suspendue, et boucha six autres pieds du canal.

Le double usage du “secret”
Ce secret avait un double usage. Le premier est qu’il était impossible de tirer cette pierre, en aucune sorte, puisqu'elle se trouvait plus large et plus haute que le trou qu'elle bouchait. D'ailleurs, elle pouvait faire croire que ce n'était plus le chemin de la salle, rebuter les ouvriers, en leur donnant de l’incertitude ; et enfin, si l’on s'opiniâtrait à forcer cet endroit, il était nécessaire d'y travailler à la pointe du marteau et du fer, avec des peines infinies, pour pouvoir venir à bout de briser ou d'arracher une pierre si grosse et si longue.
Le second but était de faire périr ceux qui y auraient travaillé ; car, en usant ainsi de cette pierre, on venait insensiblement à l'endroit où la chaîne correspondait par un crampon ; et le crampon manquant, la pierre élevée par cette chaîne sur la superficie du canal, distante seulement de deux pieds, écrasait infailliblement les ouvriers qui se l'attiraient sur leur tête , ou sur quelque autre partie de leur corps (...).
Le reste de la capacité du canal, de la longueur de 7 à 8 pieds, fut ensuite fermé, par une ou deux pierres, si juste qu'il n'y parut plus aucune entrée. Ce fut  pour enlever ces pierres qu'on cassa la pierre supérieure, qui correspondait au canal, afin de se faire une prise sur celle dont il était bouché. Ce sut ainsi que la salle principale de la pyramide fut formée, après que le corps du Roi, et ce qu'on voulut y mettre, y eut été déposé.

Description de la salle haute
La salle est à voûte plate, faite de 9 pierres, dont les 7 du milieu ont 4 pieds de large et 16 de long. Les deux autres, qui sont à l'un et à l'autre bout, et enfoncées dans la muraille, n'ont que 2 pieds et quelques pouces de large, et 16 de long ; de sorte que cette salle a de longueur 32 pieds, 19 de haut, et 16 de large.

Description du tombeau
Ce tombeau a été épargné jusqu'ici, parce que la matière est commune, et qu'il ne peut aussi être tiré de là sans être brisé. Il avait une couverture, qui n'a pas eu le même sort. Les apparences même sont qu'il n’était pas couché de plat, mais qu’il était debout, puisque, dans toutes les sépultures, ou caves des momies, les niches, où elles se trouvent, sont coupées en hauteur dans la pierre, et qu’effectivement les caisses y sont posées, les pieds en bas, et la tête en haut ; c'est-à-dire que le corps y est debout. Il pouvait y avoir d'autres tombeaux. Je l’appelle ainsi après les autres, quoique je sois persuadé qu'il y avait au moins deux autres caisses, pour le corps du Roi, et peut-être y en avait-il trois. On en a souvent trouvé deux, pour un même corps, dans des sépultures assez simples. Elles sont emboîtées l’une dans l'autre, et sont faites en forme d'enfant emmailloté, larges par les épaules, et plus étroites du côté des pieds. Elles ne sont que de deux pièces ; le cercueil en compose une, et la couverture une autre. On n'y employait que le bois de sycomore, qui est incorruptible, et dont il se trouve une grande quantité en Égypte. Quelques-unes de ces caisses avoient des yeux derrière, comme pour laisser la liberté de voir le corps, ou la momie, sans ouvrir le cercueil.

Cliché de John et Edgar Norton

Les deux trous de la “salle”
Je remarque dans cette salle deux trous correspondant l’un à l'autre, de Nord au Midi. Ils sont à la hauteur de 3 pieds et demi du pavé de la salle, à 8 et demi du côté du Levant. Celui qui répond au Nord est un carré long ; sa hauteur est de 18 pouces, sa largeur d'un pied. On n'en voit point la fin. Il est bouché à quelques 6 ou 7 pieds d’enfoncement par des pierres qu'on y a jetées. Celui qui y correspond est rond au contraire, et étroit d'abord, pour n'y laisser entrer à peu près que deux poings ; puis il va en s'élargissant, jusqu'à un pied et demi de diamètre, et un peu en descendant, au contraire, du trou carré, qui est droit. Ce dernier est aussi bouché par des pierres, à 4 ou 7 pieds de profondeur.
Je ne vois pas que ces trous puissent avoir eu d'autres usages que de fournir de l’air, et quelque communication, au dehors de la pyramide, aux personnes qui purent (suivant l'usage de quelques pays) être enfermées dans le tombeau du Roi, pour le pleurer, ou tenir à son corps une espèce de compagnie. Elles purent, par le moyen de ces trous, vivre là-dedans assez longtemps, en recevant les choses nécessaires à la vie, et se donner les uns aux autres une sépulture honorable, jusqu'à la dernière, à qui le secours dût manquer. La postérité en pourra juger plus véritablement, en reconnaissant si ces trous aboutissent jusqu'à l'extérieur de la pyramide ; car, en ce cas, je ne doute pas qu'ils n’aient servi à cet usage barbare. On pourrait s'en éclaircir aujourd'hui, avec quelque dépense, en faisant travailler aux endroits, qui y peuvent correspondre ; mais la domination présente ne permet pas qu'on prenne cette liberté, qui demanderait une application assez durable, pour être remarquée et imputée à une recherche de trésors.
Avant d'examiner l'usage auquel la galerie, dont j'ai déjà parlé, était destinée, il est propos de considérer trois autres ouvertures qui y correspondent, outre l’entrée et la sortie, dont j'ai déjà fait mention.
Je trouve d'abord, en y entrant, aussitôt que le long canal défiguré me permet de me lever, un trou, ou espèce de puits à main gauche.”

Source : Bayerische SaatsBibliothek digital
À suivre...