dimanche 18 novembre 2012

Les “greniers de Pharaon par le conseil de Joseph” : une courte relation de Georges Lengherand (XVe s.)

De nombreuses pages de l’histoire des pyramides égyptiennes relatent, s’inspirant de la Bible, que les Hébreux, ayant émigré en Égypte, y furent corvéables à merci pour les pénibles tâches de la construction des monuments. Il y est également fait mention de la promotion du patriarche Joseph, obtenant les bonnes grâces du Pharaon et conseillant à celui-ci la construction des silos à céréales de l’époque, sous forme de pyramides, en prévision d’une disette à venir.
On sait que, en dépit de sa large diffusion, pour des raisons autant historiques que techniques, cette théorie des “greniers de Pharaon” ne correspond pas à la vérité.
Pour y faire néanmoins place dans cet inventaire, j’ai choisi le court texte que lui a consacré Georges Lengherand (“mayeur” de Mons en Haynaut) dans son récit Voyage de Georges Lengherand, à Venise, Rome, Jérusalem, Mont Sinaï & le Kayre, 1485-1486, édité en 1861, avec une introduction, des notes et un glossaire, par le marquis de Denis-Charles Godefroy Ménilglaise, membre de la Société des Bibliophiles de Mons, de celle des Antiquaires de France, etc.
J’ai gardé le texte dans sa version originale, ne serait-ce que pour constater, si besoin était, que la langue française a fait bien des progrès depuis le XVe siècle !

Les "greniers de Joseph", teks que représentés par les mosaïques de la basilique Saint-Marc de Venise

“Le jeudy, IIe jour de novembre, nous partismes de nostre logis environ deux heures après minuit, montasmes sur noz asnes et tirâmes chemin au long de ladicte ville du Kayre pour tirer audit Babilonne, à intencion de aller veoir les greniers que l'on dist les greniers de Pharaon, de six à sept mille oultre ledit Kayre. Et arrivâmes audit Babilonne environ huit heures du matin sur le bort du fleuve du Nil ; puis passâmes ledit fleuve nous et noz asnes sur barkes que l'on appelle germe, où la endroit y a une ysle où se tenoit ledit Pharaon, et y estoit son pallaix.
Et de là oultre l'on va aux greniers que fist faire ledit Pharaon par le conseil de Joseph, (qui sont bien a VII milles du dict Babilonne) combien qu'il semble qu'ilz soyent plus près mais le tour qu'il convient prendre le long d'une levée pour le marais fait le long chemin et fault passer IX ponts de pierre qui semblent nouvelIement faiz, et ont les dictes pierres esté prinses et viennent des'dicts greniers de Pharaon ; les deux d'iceulx et les plus prochains des dicts greniers, chascun ayant dix arcures, les aucuns six, aultres quattre, trois, et deux.
Ces greniers sont de très merveilleux édiffices et y en soutoit avoir XIII, et maintenant n'en y a que six ou sept.
On n'entre point dedens, et sont tous de pierre de taille, (ayant) couverture à feste (faîte) tout de mesme, et sont en manière de tallus commenchent dès le piet lequel a IIe LXXV pas de long, et est quarré par le dessoubz ; si sont les aultres, et a bien VIIIe piez de hault ; et sont deux de ceste grandeur et fachon, et les aultres de ceste fachon mesmes, ung peu mendres. Et pour lors que y estions, y trouvâmes trois loups dormans sur les pierres d'aucuns d'iceulx greniers, et assez hault. Et aussy icelles pierres sont de grandeur et haulteur l'une par l'autre dIII piez ou environ. Et à l'enthour de ces greniers y a petittes chambrettes, pluiseurs tailliés en rocq ne scay à quoy ce a peu servir, sy n'estoit que du temps que iceulx greniers estoient en estre, aucunnes gardes se tenoyent en icelles chambrettes.
Là est pareillement une grosse teste taillié en rocq, plantée en terre, que on dist en temps passé avoir esté ung ydolle et parloit et bailloit responce par les fallaces du déable.”

Source : Gallica