dimanche 11 novembre 2012

“Les pierres énormes qu’on y voit partout supposent des machines bien extraordinaires pour les avoir mises à leur place” (Bouchard et Gravier - XVIIIe s. - à propos de la Grande Pyramide)

Très peu de renseignements sont disponibles pour une présentation convenable du texte qui suit.
Il est extrait de l’ouvrage, publié en 1791, “Monuments égyptiens consistant en obélisques, pyramides, chambres sépulcrales, statues d’idoles et de prêtres, en momies, en grand nombre de divinités de cette nation, en bas-reliefs, en sacrifices, en animaux qu’elle adorait, etc., le tout gravé sur deux cents planches qui renferment environ sept cents sujets avec leurs explications historiques”, tome 1.
Il a été imprimé par Jean Zempel, auquel on l’attribue parfois.
Je note également que sont mentionnés les deux libraires Bouchard et Gravier, qui sont les signataires de la dédicace de l’ouvrage à Son Éminence le cardinal de Zelada, Grand Pénitencier et Secrétaire d’État. Pour cette raison, il me semble plus adéquat de leur attribuer l’initiative de la publication.
Quant au contenu proprement dit de l’extrait choisi, il porte les marques d’une époque où les informations relatives aux pyramides égyptiennes étaient parfois approximatives, outre le fait qu’elles étaient souvent reprises d’un ouvrage à l’autre, sans complément de vérification, ni observation directe “sur le terrain”.

Planche XXIII
Pyramide à cinq étages


“Voici les restes d’une des sept merveilles du monde. On est frappé d’étonnement et de vénération à l’aspect de ces antiques monuments que les temps ont trouvés inaccessibles à leurs ravages. Lorsqu’on regarde les siècles qui se sont écoulés devant leur masse inébranlable, l’âme se rouble et frissonne  d’un respect involontaire. L’opinion la plus commune sur les pyramides, bâties par quelques rois d’Egypte, est qu’ils les avaient destinées à leur servir de tombeaux ainsi qu’aux personnes qui leur étaient chères. On verra dans l’explication des planches suivantes quelques détails qui donneront à ce sentiment une apparence de vérité. Dans celle-ci, nous nous bornons à une simple indication de forme et de localité, en disant que la pyramide n°1 est située au nord de Saccara, et qu’elle a cinq différents étages qui diminuent en s’élevant.
L’autre ne diffère de la première que par un étage de moins.”

Planche XXIV
Pyramides du roi Moeris et de son épouse


“Moeris, roi d’Egypte, ayant fait creuser le lac qui porte son nom, on y érigea au milieu, par son ordre, ces deux pyramides pour lui et la reine son épouse. Elles avaient cinquante toises au dessus de l’eau du lac et autant au dessous. La pointe en était formée par des espèces de chapelles où l’on montait par des marches extérieures. Trois perrons conduisaient aux caveaux. Le mausolée qu’on y voit fut bâti pour y entreposer le corps du roi jusqu’à ce que les pyramides fussent finies.”

Planche XXV
Pyramide de Ptolémée Evergete, roi d’Egypte


“Les ruines de ce tombeau se trouvent encore près de Thèbes ; il s’écarte beaucoup de la simplicité primitive des Égyptiens, quoiqu’il tienne de la grandeur de leur style. Tout y décèle les principes des Grecs, surtout les sphinx qui soutiennent la pyramide, les cariatides qui portent la corniche du piédestal et les marches sur lesquelles l’édifice sépulcral est élevé. On en peut dire autant des deux autres sépulcres dont les formes sont fort travaillées pour appartenir aux premiers siècles de l’Egypte où les contours de ces sortes d’architectures, réduits à des lignes très simples, ne tendaient qu’à la forme carrée ou triangulaire d’un édifice pyramidal. On croit que c’est à ce tombeau que l’architecte, pour rendre son nom immortel, le grava sur une pierre qu’il cacha sous la table saillante de plâtre, où il mit celui du souverain qui avait fait construire ce monument ; mais les injures des temps n’ont pas plus épargné la pierre que le plâtre et ont également anéanti le nom de l’artiste et celui du prince.”

Planche XXVI
Grande Pyramide


“La plus fameuse pyramide est à l‘Est et à deux ou trois lieues du vieux Caire, située à la rive gauche du Nil, sur le penchant d’une colline de pierre solide qui borne ce fleuve au couchant. Elle est composée de plus de deux cents assises de pierre qui, débordant les unes sur les autres, à proportion de leur élévation, qui est depuis deux pieds jusqu’à quatre, servent comme autant d’énormes gradins pour arriver au sommet où l’on monte ordinairement par l’angle du Nord qui est le moins endommagé. C’est sans contredit le plus élevé et le plus ancien monument des hommes. Quoique la pointe n’en paraisse qu’émoussée, on assure cependant qu’elle peut contenir 60 hommes. On lui donne communément 600 pieds de hauteur perpendiculaire, ce qui s’accorde avec le calcul de Diodore de Sicile et de Strabon. La base a 800 pieds en carré : c’est le sentiment d’Hérodote qui l’a vue dans le siècle le plus voisin de sa fondation. On prétend qu’il y a plus de 3000 ans qu’elle fut bâtie par le roi Chemmis qui y employa 360.000 ouvriers pendant vingt ans. S’il en faut croire Pline, ils y mangèrent pour dix-huit cents talents de raves et d’oignons. Les pierres énormes qu’on y voit partout supposent des machines bien extraordinaires pour les avoir mises à leur place. Plusieurs voyageurs ont avancé que cette pyramide n’avait pas été achevée, parce qu’elle est ouverte et sans revêtement. Hérodote, Diodore de Sicile et Pline le naturaliste détruisent cette erreur en disant qu’elle était revêtue de pierres polies et parfaitement jointes ensemble. Nous savons par Strabon qu’elle était fermée et qu’en enlevant une pierre, placée vers le milieu d’un des côtés, on trouvait un canal qui conduisait au tombeau du roi. On voit cette pyramide au frontispice du cinquième tome des antiquités de M. de Caylus, avec ces mots : ruderibus pretiosa fuit, que nous avons aussi fait graver au bas de notre planche.”

Planche XXVII
Plan de l’intérieur de la Grande Pyramide


“Un canal conduit dans la pyramide. Il faut ramper vers le fond pour pénétrer dans le canal inférieur qui correspond au premier. On le monte à genoux en s’appuyant des mains contre les côtés, car les entailles qu’ii y a sur le plan incliné ne suffiraient pas pour arrêter le pied. Quand on est parvenu au haut, on entre dans une grande salle dont la porte est fort basse. C’est un carré long entièrement composé de granit. Sept pierres énormes traversent d’un mur à l’autre et forment le plafond. À l’une des extrémités, il y a un sarcophage fait d’un bloc de marbre. Il est vide et le couvercle en a été arraché. Des morceaux de vases de terre sont à l’entour. Sous cette belle salle est une chambre moins grande où l’on trouve l’entrée d’un conduit rempli de décombres. On descend ensuite par le même chemin, en évitant de tomber dans un puits qu’on trouve à gauche et qui se prolonge jusque dans les fondements de la pyramide où l’on prétend qu’il y avait des caveaux pour y déposer les morts que l’on descendait par ce puits. Vers l’entrée de la pyramide est un écho qui répète les paroles jusqu’à dix fois. L’air y est partout si mauvais qu’on n’y respire qu’avec grande difficulté. La flamme des flambeaux qu’on y porte paraît toute bleue ; s’ils s’éteignaient, lorsqu’on est monté bien haut, il serait absolument impossible d’en sortir.”

Planche XXVIII
1.Pyramide de Chemmis. 2.Autre de Cephren. 3.Autre de Rhodope


“1.Quoique la pyramide de ce numéro ne ressemble pas parfaitement à celle des deux planches précédentes, c’est cependant la même que nous répétons dans celle-ci pour n’en faire qu’une espèce de groupe ou un objet de comparaison avec les deux autres.
2. Celle-ci paraît presque aussi élevée que la précédente. Diodore de Sicile en attribue la construction à Cephren, frère et successeur de Chemmis. Le  revêtement de cette pyramide est détruit en plusieurs endroits, plutôt par la main des hommes que par les ravages des temps. Tout le haut, jusqu’à 60 pieds du sommet, subsiste en son entier.
3. À l’Orient de ces deux pyramides, on en voit une troisième qui est plus petite, mais qui a cependant trois cents pieds en carré. Micerinus, fils de Chemmis, la fit construire et revêtir de pierre thébaïque, de ce beau marbre tacheté de noir dont le grain fin et la dureté lui permettaient de prendre un poli parfait.
Cette pyramide a donné lieu à bien des fables ; nous dirons seulement deux mots de celles qui paraissent les plus accréditées. Quelques historiens racontent qu’une courtisane la fit construire du produit de ses faveurs ; d’autres disent qu’un aigle, ayant enlevé la chaussure mignonne de la belle Rhodope, la laissa tomber à Memphis ; que le Pharaon l’ayant vue, il fut si charmé d’une si jolie forme qu’il voulut aussi voir celle qui en portait le moule ; que devenu amoureux de la charmante Grecque, il l’épousa ; et enfin, qu’après tout cela, elle fit élever elle-même cette pyramide.
En face de la seconde, du côté de l’Orient, on trouve un énorme Sphinx dont tout le corps est enterré dans le sable. On n’en voit que le sommet du dos qui a plus de cent pieds de longueur. Il est d’une seule pierre qui fait partie du rocher où les pyramides sont assises. La tête s’élève d’environ 27 pieds au dessus du sable. Le visage en est défiguré par les flèches des Arabes. Plne le naturaliste crut que le corps d’Amasis était déposé dans l’intérieur de ce monstre.”
Source : Google livres