dimanche 25 novembre 2012

“Les renseignements qu'Hérodote nous donne sur les pyramides sont en général inexacts” (Henri Joseph Gisquet - XIXe s.)

Le Français Henri Joseph Gisquet (1792-1866) avait une carte de visite pour le moins chargée : il fut en effet banquier, industriel, homme politique, colonel d'état-major de la Garde nationale à l'issue de la Révolution de juillet 1830, conseiller général de la Seine, nommé préfet de police en titre le 26 novembre 1831, nommé conseiller d'État en service extraordinaire (3 avril 1832), élu député par le 4ème collège électoral de la Seine (arrondissement de Saint-Denis) le 4 novembre 1837...
En 1844, il fit un voyage en Égypte qu’il relata dans son ouvrage L'Égypte, les Turcs et les Arabes, 2 tomes 1848).
Les textes que j’ai choisis et qui feront ici l’objet de cinq notes successives sont extraits du tome 2 de cet ouvrage.
Avant de se rendre au plateau de Guizeh, l’auteur visita les pyramides d’Abousir et de Saqqarah (texte ci-dessous). Ce fut pour lui l’occasion de comparer ses propres observations avec les affirmations d’Hérodote, et de constater que “le grave écrivain d'Halicarnasse” était au bas mot mal informé, victime des erreurs, subies ou intentionnelles, contenues dans les récits des prêtres.
Ce n’était pas la première fois qu’Hérodote était pris en défaut de ne pas maîtriser son sujet à propos des pyramides. Mais cette fois-ci, hormis l’éventualité d’une “altération grave dans le texte”, les charges contre lui laissent peu de place à l’indulgence.

“Nous ne voulûmes point quitter les environs du Caire sans avoir également exploré ce territoire et les monts Lybiens depuis les pyramides de Ghyseh jusqu'à celles de Dahchour.
Nous allâmes passer le Nil au vieux Caire ; puis traversant la plaine dans la direction du sud-ouest, nous arrivâmes en trois heures au village d'Abousir, à cinq lieues de notre point de départ. Là, nous gravîmes la chaîne Lybique sur le plateau de laquelle sont trois pyramides moins grandes, plus anciennes et plus dégradées que celles de Ghyseh, et construites en pierres de plus petites dimensions. On les appelle les pyramides d'Abousir.

Les pyramides d’Abousir

L'une d'elles est bâtie sur un plan particulier : elle se compose de murs droits et perpendiculaires jusqu'à une hauteur d'environ quinze mètres ; cette première assise est surmontée d'une autre un peu moins large à chacune de ses quatre faces, de sorte qu'elle forme une terrasse à sa base. Une troisième assise produit le même effet sur la seconde ; ensuite une quatrième, une cinquième etc., jusqu'au sommet qui n'a plus qu'un faible diamètre. Il résulte de cette disposition que chaque côté du monument a l'aspect d'un coteau divisé dans sa hauteur en terrasses. Il serait permis de croire que ce n'est qu'une pyramide ébauchée que les constructeurs ont eu la pensée de couvrir d'une dernière couche de pierres ou de granit pour remplir les vides et donner à ses faces un plan incliné. Mais on peut croire aussi qu'elle est antérieure à toutes les autres, ce qui expliquerait pourquoi les dernières décèlent un art plus accompli. Pour pénétrer à l'intérieur, l'on a creusé deux ouvertures, une au nord, l'autre au midi, en arrachant les blocs un à un avec une peine extrême.
La seconde de ces pyramides, ouverte au nord, se rapproche un peu de celle-ci par sa construction et un peu du modèle perfectionné de celles de Ghyseh. La galerie qu'on a déblayée, pour arriver au centre, se dirige d'abord en descendant jusqu'au quart de l'épaisseur de la masse ; elle remonte ensuite pour atteindre la cavité que l'on est convenu de nommer chambre sépulcrale : les parois de la galerie et de la chambre sont en blocs énormes de granit.
La troisième est à peu près de la même grandeur; elle paraît avoir eu un revêtement.

Les pyramides de Sakkara

À une lieue plus loin, dans la direction du sud, trois autres pyramides s'élèvent sur le plateau Lybien ; elles empruntent leur nom au village de Sakkara, situé à une petite distance, et sont quelquefois confondues par les auteurs avec celles d'Abousir.
La plus grande, dans laquelle le général Munitoli pénétra le premier il y a peu d'années, est disposée en terrasses comme la première dont je viens de parler ; elle est donc formée de six masses pyramidales superposées. Ce n'est pas seulement sous ce rapport qu'elle diffère de celles de Ghyseh, car l'intérieur est une salle immense dont on a peine à voir la voûte à la lueur des torches, tandis que les autres monuments de ce genre ne contiennent que de petites cavités. Le dallage de la salle est en granit rose, et couvre l'orifice d'un puits qui s'enfonce dans les entrailles de la terre. Un autre puits ouvert à l'extérieur de la pyramide sert de passage ; il faut se glisser à plat ventre par un couloir étroit et descendre ensuite plusieurs escaliers pour arriver à l'intérieur. Dans l'épaisseur des parois de la grande salle et à des hauteurs diverses, il existe des chambres inaccessibles, où, dit-on, sont déposés des sarcophages ; les portes de quelques-unes ont été murées avec soin.

“Ne me méprise pas en me comparant aux pyramides de pierre.”
Une autre pyramide de Sakkara est en briques. Si l'on en croit la narration d'Hérodote, elle aurait été bâtie par le Pharaon Asychis et portait l'inscription suivante : “Ne me méprise pas en me comparant aux pyramides de pierre. Je suis autant audessus d'elles que Jupiter est au-dessus des autres dieux ; car j'ai été bâtie de briques faites du limon tiré du fond du lac.”
Hérodote ajoute que ce roi eut pour successeur Anysis, sous le règne duquel l'Égypte fut conquise par Sabacon. Mais dans toute cette partie de son histoire, le grave écrivain d'Halicarnasse me semble avoir été fort mal renseigné : les prêtres de Memphis lui fournirent, par ignorance, ou par d'autres motifs, des indications erronées ; c'était Bocchoris et non pas Anysis qui régnait lors de l'invasion des Éthiopiens. Le roi vaincu fut pris et brûlé vif. (...)

Une confusion fâcheuse
Hérodote avait sans doute peu de confiance, lui-même, dans les récits des prêtres ; il les répète sans les garantir. Mais il faut que sa mémoire l'ait bien mal servi, ou qu'il y ait une altération grave dans le texte, puisque les renseignements qu'il nous donne sur les pyramides sont en général inexacts : par exemple, il dit que toutes les pierres des pyramides de Ghyseh ont au moins trente pieds ; il dit que la grande pyramide est entourée par un canal et que la seconde, bâtie sur la colline, à l'autre bord du canal, est contiguë avec cette dernière. Il y a là une erreur et une contradiction évidentes.
Hérodote assure pourtant les avoir mesurées ; donc il les a vues de près, donc il a dû reconnaître qu'il n'y avait pas contiguïté et que les pierres, à peu d'exceptions près, n'avaient guère que deux ou trois mètres de longueur. Je soupçonne fort que tous ces passages d'Hérodote ont été falsifiés. Quoiqu'il en soit, ses récits en ce qui concerne les pyramides, les noms des rois, l'ordre dans lequel ils ont régné, la durée et les époques de leur domination, offrent une confusion fâcheuse et ne sont point conformes aux inscriptions monumentales.”

Source : Gallica
À suivre