vendredi 23 novembre 2012

Selon Dominique Jauna (XVIIIe s.), les bâtisseurs de la Grande Pyramide ont utilisé une “machine” et un “moulinet” pour la mise en place des blocs destinés à la fermeture finale du monument

Dernier volet de la description des pyramides, proposée par le chevalier Dominique Jauna dans son ouvrage Histoire générale des roïaumes de Chypre, de Jerusalem, d'Arménie, et d'Egypte : comprenant les croisades, avec plus d'exactitude qu'aucun auteur moderne les ait encore rapportés, et les faits, les plus mémorables, de l'empire ottoman, depuis sa fondation jusqu'à la fameuse bataille de Lepante, où finit cette histoire, dans laquelle on trouve aussi l'anéantissement de l'empire des Grecs ; on y a ajouté I. L'état présent de l'Egypte ; tome 2, 1747. (cf. les notes de Pyramidales ICI et ICI)
Comme dans les notes précédentes, j’ai respecté ici, sauf en de rares exceptions, le vocabulaire de l’auteur (par exemple “polissure”, “entaillement” ou “coulisse”, ce dernier mot signifiant “couloir”).
J’ai également reproduit, en essayant toutefois d’alléger une ponctuation très généreuse, les circonvolutions de son raisonnement. Il est parfois difficile de savoir d’où l’on vient, où l’on va, où l’on se trouve. Mais les connaisseurs et autres experts ès-pyramides sauront apprécier l’originalité de ses développements.
Dominique Jauna avance pas à pas dans sa description de la configuration et du mode de construction de la Grande Pyramide, en prenant constamment son lecteur à témoin de la véracité de sa démonstration. Celle-ci repose sur une observation directe et minutieuse, à la recherche d’une vérité qui “se rétablit avec le temps”. Pour autant, Dominique Jauna n’a pas l’outrecuidance de croire, en dépit de la force de sa logique explicative, qu’il détient la vérité : “Ces mémoires, quand ils ne seraient pas entièrement conformes, comme il se peut, serviront au moins à éclaircir les curieux de la postérité qui voudront bien se donner la peine d'examiner ces lieux sur ce que j'en dis.
encore, les pyramidologues avertis apprécieront...


Description du puits
“Le puits va en bas par une ligne perpendiculaire à l'horizon, qui biaise néanmoins un peu presqu'en forme d'une broche, ou d'un lamed hébraïque ayant à quelque 60 pieds, comptant du haut en bas, une fenêtre carrée ; elle entre dans une petite grotte creuse dans la montagne, qui n'est pas en cet endroit de pierre vive, mais comme du granite attaché fortement l’un à l'autre. La dernière grotte s'étend en long, d’Orient en Occident, de là à 15 pieds, et de tout le haut 82 pieds et un tiers, et de hauteur deux pieds et demi. Elle descend en bas par 123 pieds ; après quoi elle est remplie de sable et de quelques pierres, qu'on y a jetées ou qui sont tombées d'elles-mêmes.
Je trouve aussi en face, c'est-à-dire dans le canal même, qui ne conserve plus que 2 pieds et demi de hauteur, un autre canal à niveau de la pyramide, ou horizontal, qui me conduit, par une suite égale en tout au premier trou, à une salle qui correspond à celle dont je viens de parler. Cette suite de canal a 100 pieds de longueur ; il n'est point de figure comme celui dont je viens de sortir. Il y a à la dernière pierre, qui aboutit à la salle, à main droite seulement, un arrêt, ou avancement, ou rétrécissement de deux doigts, et large de trois, fait dans le dessein d'empêcher que la première pierre, destinée à former cette ouverture, ne pût déborder dans la salle, où elle devait aboutir.
Cliché de Jon Bodsworth
Description de la salle basse
La salle basse est petite, en comparaison de la haute. Elle a de longueur 11 pieds et demi, et de largeur 15 pieds et 10 pouces. La voûte est en dos d'âne. L'allée, ou le canal, qui conduit à cette salle a 118 pieds de long et est carré comme les autres.
II y a dans cette seconde salle, du côté de l’Orient, une niche enfoncée de deux pieds dans le mur, et de la hauteur faite de cette sorte.
On est persuadé que cela pouvait correspondre à quelque trésor ; et l’on y a fait et pratiqué en bas une entrée violente, par laquelle on marche, ou, pour mieux dire, on se peut couler quelques 20 à 25 pas à travers des pierres inégales. Celles qui ont été tirées de là, ou brisées, remplissent aujourd'hui une partie de cette salle. On a aussi creusé sous l'endroit de la salle supérieure, où se trouve le tombeau ; mais il est à croire que les uns et les autres n'ont eu pour récompense des peines infinies qu'ils se sont données à gâter de si beaux ouvrages, que le déplaisir d'y avoir employé un travail aussi grand qu'inutile.
II n'y a point de doute que le canal qui conduit à cette salle supérieure est l'endroit, ou espace parallèle à l'horizon, qui se trouve depuis l'entrée de la galerie par un espace de 8 pieds, jusqu'au trou, où cette coulisse, qui a manqué dans le fond seulement, recommence en allant vers la salle supérieure (...).

Rôle de la galerie
Je juge, par la disposition des lieux qu'on vient de voir, que la galerie n'a point servi à d'autre usage qu'à renfermer, lorsque la pyramide fut élevée, les pierres dont elle devait être fermée un jour, au dedans vers l'extérieur, c'est-à-dire, par cette longue coulisse qui aboutit au trou, qui descend vers celui de la première entrée extérieure. Je juge aussi que ces pierres destinées à boucher la petite entrée de la salle haute, et la longue de la salle basse, y étaient renfermées et qu'il y en avait peut-être encore d'autres, qui ferment aujourd'hui des ouvertures qui ne nous paraissent pas. Non seulement je le juge, mais j'en suis assuré par la disposition et l’état des choses que je remarque. Je connais d'abord qu'il n'a jamais été possible, après la pyramide achevée, c'est-à-dire la coulisse faite, et la galerie fermée par la voûte, de faire entrer aucune pierre dans cette galerie. Je vois au contraire que l'architecte n'a été occupé que du soin d'empêcher qu'on pût jamais en tirer celles qu'il y avait enfermées, pour la clore un jour d'une manière invincible.
Je reconnais le dessein de ce même architecte dans cette même coulisse, qui règne dans le plat de la pyramide et qui aboutit à l'allée penchante, et du même sens de la coulisse qui correspond à celle de l'entrée et fait un angle avec elle. Cette coulisse était faite pour y poser la longue suite de pierres qui devait un jour boucher ce canal, que j'appelle intérieur, et qui le boucha en effet. Je vois la polissure de cette coulisse. Je remarque que sa longueur cadre avec celle du canal. J'observe, que le même canal est encore en partie bouché, par l'endroit qui fait un angle avec l'autre. Je m'aperçois même que l'on n'est point entré dans la pyramide par le véritable passage, mais qu'on a été obligé de se faire une fausse route, par laquelle rejoignant le canal en travers, on a attaqué plus facilement les pierres dont il était bouché.
Je le trouve de cette entrée violentée défiguré(e) jusqu'à la galerie à la différence des autres : c'est-à-dire que l'on a été obligé d'avoir recours à la force pour le déboucher ; et je juge, de ce que la défiguration du canal s'étend jusques à l'entrée de la galerie, qu'il y avait derrière des pierres dont il était rempli, par un espace de 120 pieds, 120 autres pieds de pierres dans la coulisse, qui devaient succéder à celles qui seraient usées par le bas, et remplir continuellement le vide des premières qu'on viendrait à user. Je juge, dis-je, que cela était de la sorte par la défiguration de toute la longueur du canal ; et que ceux qui l’ont forcé avaient connaissance de ces pierres qui se trouvaient par derrière dans la coulisse.
Je juge que s'ils l’avaient ignoré, ils se seraient contentés d’user les pierres à l’endroit de l’ouverture forcée, qui leur aurait été plus facile ; mais, avertis de cette autre suite, qui se trouvait prête à glisser dans ce canal, le long de la coulisse, ils jugèrent à propos de soutenir le poids énorme de toutes les pierres avec de grosses poutres ; et, après en avoir levé un en cette sorte, ils íe mirent entre les deux dans le canal, soutenant la supérieure par des étais qui répondaient à l’inférieure. Ils attaquèrent ensuite la supérieure, changeant les étais de temps à autre, par où ils parvinrent à la suivante, en la soutenant de même ; ce qui continua pendant tout ce canal, dans le quel ce travail ne s'est pu faire sans endommager les parements, ou les côtés, avec les cognées, ou les marteaux qu'on y employait. Lorsqu'on en fut arrivé à la galerie par une route si difficile, on trouva ces pierres dans la coulisse ; et il fut aisé, par la liberté que donnait ce vide, de les briser et de les faire sortir. On brisa, de la même manière, les pierres de la même figure qui bouchait la longue allée, qui conduisait à la plus petite des salles ; et on déboucha enfin l'entrée de la grande, sans doute avec des peines infinies.

Cliché de John et Edgar Morton
“En quelle manière toutes les pierres avaient été arrangées dans la galerie”
Si l'on me demande à présent en quelle manière toutes ces pierres avaient été arrangées dans la galerie, et comme on s'en servait ensuite pour fermer l'entrée des salles, et celle de la pyramide, et qu'après que le canal intérieur fut rempli, la coulisse, qui y répondait, le fut encore, je vais satisfaire à ces questions en reprenant ce que j'ai dit de cette galerie, et en remarquant quelques autres particularités.
Les deux banquettes, ou marges larges, chacune de deux pieds et demi, ont deux pieds et demi d'enfoncement assez profond, long de plus d'un pied, et large de la moitié. Ces enfoncements joignent les murs de la galerie, et correspondent les uns aux autres. C'est dans ce trou, ou enfoncement, que furent posés les bois, ou serrements, destinés à soutenir un puissant échafaudage, que je suppose avoir régné à hauteur d'homme, ou un peu plus, depuis l'entrée de cette galerie jusqu'à la plate-forme qui se trouve à 6 ou 7 pieds de mur, qui la finit vers la salle. Sur cet échafaudage, dressé à mesure que la galerie s'avançait, furent posées les pierres, destinées aux fermetures, et taillées avec tant de précaution qu'il n'y avait plus qu'à les appliquer. Celles qui devaient remplir la coulisse furent mises les premières. On mit sur ce lit, qui tenait d'un bout de la galerie à l'autre, celles qui devaient boucher le canal, qui avait la même longueur. Sur ce second lit, on en mit une qui devait servir à boucher l'entrée, ou canal, de la première salle, et enfin son entrée au niveau de la coulisse. Enfin, on y mit les 3 ou 4 pierres destinées à fermer l'entrée de la grande salle et celles-ci devaient être les dernières comme devant servir.
En premier lieu, il se pouvait faire, comme je l'ai dit, qu'il y eût quatre, et même cinq rangs de pierres, les unes sur les autres, la galerie étant assez exhaussée pour cela, et y ayant peut-être des canaux fermés où les pierres ont été employées ; mais, pour les fermetures des endroits dont je parle, il n'en a été besoin que de trois rangs ; et il n'est pas croyable que l'on eût élevé la galerie plus haut qu'il n'était nécessaire. On remarque, aux côtés de cette galerie, des endroits maltraités, apparemment par quelques-unes des pierres qui y étaient arrangées et qui échappèrent peut-être, en les tirant ; ce qui est encore une preuve qu'elle a été remplie.

La “machine” et le “moulinet”
Voici à présent comme on se servit de ces pierres. Sur la petite plate-forme, dont j'ai parlé, il y avait apparemment une machine, à la faveur de laquelle, en attachant une corde à la première pierre, on la tirait de son lieu, on la suspendait, et on la descendait, en laissant baisser cette corde. De là, on la conduisait dans le canal de la grande salle de la pyramide, en la poussant seulement. On tira la seconde, en cette sorte, la 3me de même, et la 4me. Le second rang de pierres pouvait servir de glissoir au premier, ou bien on y avait disposé des planches, sur lesquelles on les tirait de bas en haut, au sens de la galerie, et de la coulisse. L'entrée de la grande salle fermée, on pensa à fermer l'entrée de la petite, qui n'a pas moins de cent pieds de longueur. On continua à tirer la pierre du bas vers la plate-forme par une espèce de moulinet, que peu de personnes pouvaient faire agir ; et, étant arrivée à la plate-forme, on la descendit par la coulisse, en dévidant le moulinet, jusqu'à ce qu'elle fût posée sur la ligne parallèle, qui répondait au trou, où elle était destinée. Cette pierre avait à droite, sur le bout, un entaillement de 3 doigts, entaillé pour cadrer avec celle qui avait, à l'entrée de la petite salle, un débordement de cette même épaisseur qui devait arrêter justement cette première pierre au niveau du mur septentrional de la salle, et l’empêcher d'entrer plus avant. Toutes celles qui furent mises après furent tirées, descendues et poussées en la même manière ; et le trou étant rempli, on remplit aussi le vide de la coulisse, qui était à l'entrée ; et on l'égala avec des pierres préparées à cela, de sorte qu'il ne paraissait pas qu'il y eût eu, en cet endroit, aucune ouverture, la suite de la coulisse se trouvant parfaitement rétablie.

Fermeture de la “salle”
Il ne restait plus que la salle même à fermer. Si l'on veut se persuader qu'il n'y avait de bouché que le canal qui se joint de l'entrée de la salle, par une longueur de 120 pieds, ou environ, à la première entrée de la pyramide, et qui fait un angle avec elle, il est aisé d'établir la manière dont cela s'est fait. On attacha un gros câble, bien poissé, à des poutres de bois ou de fer, qui étaient enchâssées dans les deux premiers trous qui se trouvent sur les banquettes, ou marges de la glissoire, à trois pieds ou environ du canal qui y correspond, à l’entrée de la salle. On descendit après dans la glissoire la pierre qui devait correspondre à la superficie du premier canal, ou canal d'entrée, c'est-à-dire à l’angle que ces deux canaux faisaient en cet endroit, et qui était taillé de manière que cette ouverture devait être si parfaitement et si uniment bouchée qu'elle ne pût être reconnue dans la suite par ceux qui voudraient la rechercher.
Cest pour cela que le canal d'entrée n'avait pas justement la correspondance â la fin avec la supérieure, mais 10 à 12 pieds plus haut, en ce qui en paraît aujourd'hui. Sur cette première pierre, on descendit la seconde, et la troisième, jusqu'à ce que la coulisse fût pleine et que la crête, dont j'ai parlé, ne permît plus d'y en mettre une, pour alors briser l'échafaud qui soutenait toutes les pierres, et en faire sortir les pièces par l'espace qui se trouvait encore entre le trou où les pierres devaient glisser, et le câble qui les soutenait. Cela fait, les ouvriers se retirèrent par ce même endroit ; et le dernier mit le feu au câble, que je suppose avoir été disposé pour le recevoir. Ce câble venant à se couper, les pierres furent entraînées par leur poids et par la pente de la coulisse et du trou où elles devaient glisser, et l'extrême polissure qui subsiste encore, sur les pierres du fond dans l'endroit de leur destination. Ou bien on trouva l’art, en soutenant intérieurement la première, de les y laisser tomber peu à peu pour ne point briser par un poids si énorme, et une rapidité extrême, l’entrée de la pyramide qui faisait la sûreté de sa fermeture. Voilà comme on peut croire qu'elle fût fermée de l'intérieur au-dessous.

Rôle du puits
Si on ne fait aucune attention au puits qui se voit en entrant dans la salle, à la défiguration du canal qui a été forcé, et à l'arrêt qui se trouve au haut de la coulisse, qui n'y aurait pas été sans doute s'il n’avait dû avoir son usage ; pour moi, j'estime, par la forme du puits, la petitesse de son canal, le tournoiement ménagé exprès, la disposition des chambres qui s'y rencontrent, qu'il était destiné à la retraite des ouvriers, qui devaient travailler à fermer la véritable entrée de la pyramide. II était impossible que ce canal fût destiné a transporter des corps dans les capacités, qui se trouvent sur la route, comme quelques-uns l'ont pensé ; puisqu'un corps avec une caisse ne put jamais y être introduit que difficilement ; même un corps mort, qui ne se plie pas, n'y aurait pu passer. La disposition des endroits ne paraît pas avoir de cette destination : ainsi ces capacités n'ont pas dû être fermées ; au contraire, elles n'ont été pratiquées que pour enfermer les pierres, dont Ie canal avait d'abord été bouché, après que les ouvriers en furent sortis.
Il n'est pas plus vraisemblable que ces lieux fussent destinés à enfermer des trésors. Pourquoi ne les pas mettre plutôt dans une des deux salles, avec les corps des Princes et des Princesses qui y étaient enfermés ? Pourquoi le canal ne finit-il pas à ces grottes ? Pourquoi n'en voit-on pas la fin ? Il était nécessaire qu'il y eût une entrée royale dans les salles de la pyramide. II fallait y introduire les corps destinés à ces superbes sépultures dans des caisses qui leur fussent proportionnées. On y mit, sans doute, les Dieux qu'ils adoraient, et les vases qui servaient aux sacrifices. Tout cela avait besoin d'un canal qui lui fût proportionné. II est aussi apparent que les tombeaux furent visités par le Roi même, ou les Princesses auxquelles ils devaient servir ; et, par conséquent, il fallait, pour y parvenir, une route aisée et naturelle ; mais, comme il importait à la sûreté des sépultures qui avaient été recherchées sur toutes choses, qu'elles ne pussent être violées, on imagina humainement tout ce qui pourrait en défendre l'entrée, après que les corps y étaient étaient déposés. II est sûr qu'on aurait pu, sans se servir du puits, le fermer très sûrement, en la manière que j'ai décrite  mais, outre la difficulté de faire tomber doucement le grand poids de pierres qui y étaient destinées, il est très constant qu’avec le secours du puits, on se garantissait non seulement du désordre qu'elles pouvaient causer, en tombant tout à coup, mais que l’on assurait encore cette ouverture tout autrement, que par la première voie.
On laissait couler, dans ce canal, les pierres une à une ; et l’on pouvait même la soutenir par des anneaux qui devaient, en ce cas, être ménagés dans une profondeur creusée au derrière de la pierre, de manière que cet anneau n'empêchât pas la suivante de joindre parfaitement, après que le canal eut été rempli de cette sorte, jusqu'à la galerie.
On pouvait encore continuer de remplir toute la coulisse de pierres, jusqu'à l'arrêt qui se trouve sur la fin auprès de l’esplanade ; ce qui se faisait sans aucune peine, et servait à deux fins. La première à donner un double travail à ceux qui, entreprenant de forcer cette entrée, auraient non seulement le poids de toute la pierre qui remplissait le canal à vaincre à la pointe du marteau, mais encore tout celui qui était au-delà dans la coulisse, qui succédait dans le canal, à mesure qu'il se vidait par le bas. Un second avantage, c'est que l'on ne pouvait faire remonter sur la coulisse les pierres, dont le canal était rempli ; car la coulisse étant elle-même remplie, avec un arrêt à la fin, nulle force humaine ne pouvait jamais faire remonter les pierres du canal ; au lieu que, si le dernier se fût trouvé vide, ou eût pu, avec des machines, repousser véritablement les pierres et entrer dans la galerie, sans être obligé de les user peu à peu.
Aussi voit-on, comme je l'ai remarqué, que ce poids de 120 pieds de pierres, de trois pieds et demi en hauteur, et trois pieds trois pouces en largeur, qui se trouve dans la coulisse au-delà du canal, et qui n'était pas apparemment ignoré de ceux qui travaillaient à s'ouvrir une route, a été cause qu'on a soutenu cette longue suite de pierres avec des étais, et qu'on a gâté et usé celles qui se trouvaient dans le canal, dans l’endroit même où elles étaient naturellement après la fermeture; ce qui est cause qu’il est gâté tout à l’entour. On évita, par ce soin toujours excessivement laborieux, celui de briser dans le canal 120 pieds de pierres, qu'il fut mille fois plus aisé de casser, quand on fut parvenu dans la galerie. Et, quant à la sortie des ouvriers par le puits, encore que je ne l’aie pas examiné moi-même, la juste relation que j'ai de ce qui s'en découvre aujourd'hui, qui n'est qu'une partie de la route entière, me fait juger que cette fausse entrée a été invincible, après qu'on l'eut fermée en dedans par quelques coulisses proportionnées à la petitesse de son ouverture.

Cliché de Jon Bodsworth

“Je suppose qu'on savait les secrets de la pyramide”
Car, comment travailler dans un trou de deux pieds, quelques pouces, carré, surtout avec les tournoiements qui s'y trouvent ! Ajoutez à cela la longueur de ce canal et les secrets qui y pouvaient encore être. On voit qu'on aurait eu plutôt fait de démolir la pyramide que de se faire jour, par ce labyrinthe étroit et si bien fermé. J'estime même qu'il n'en aurait guère moins coûté au Prince, qui entreprit de forcer la grande entrée, de démolir la pyramide que de vaincre tous les obstacles qu'il y a eu à surmonter pour y parvenir.
II est sans doute que le premier canal, qu'on trouve en entrant, était rempli de pierres proportionnées, et qu'il a fallu les en retirer, avec de grandes peines. Je ne doute pas même qu'il n'y eût un obstacle auparavant ; et l'on voit encore le lieu d'où il a fallu, pour cela, tirer des pierres prodigieuses. Quand le canal fut tout vidé, le grand ouvrage resta à faire. Je suppose qu'on savait les secrets de la pyramide, et j'en juge parce que la pierre, qui répondait à l'angle de deux canaux, a été ôtée ; c'est-à-dire qu'on avait entrepris de forcer ce canal par la route directe ; mais, après l'a voir enlevée, peut-être avec quelques autres, on reconnut qu'il fallait bien des années pour en venir à bout. En cette sorte, les pierres se succédaient les unes aux autres de la hauteur de toute la coulisse, c'est-à-dire par un espace de 240 pieds. On abandonna donc ce dessein, dont l'entreprise sait que cet endroit n'est plus bouché par une pierre juste à la forme de l'ouverture ; et c'est le vide que l’on trouve d'abord, en descendant.
On se fit une route de 10 à 12 (pieds) au dessous. On pénétra dans l'épaisseur du mur, qui se trouvait devant, et à la droite ; et la capacité ayant été élargie, on attaqua de nouveau ce canal, en reprenant à gauche et regagnant la route qu'on avait perdue, en tirant à droite. Je ne doute pas que la première pierre n'ait beaucoup coûté à tirer ; mais on eut ensuite plus de facilité pour la seconde, à la faveur des étais dont j'ai parlé. On gagna de cette sorte la galerie ; on vainquit l'entrée de la grande salle, avec des peines sans doute extrêmes. Celle de la petite, quoique cinq à six fois plus longue, coûta sans doute moins ; mais, quoiqu'il en ait été , il est indubitable qu'outre la connaissance des routes qu'il a fallu avoir, il a coûté au Roi qui l’a fait couvrir, bien des années, des travaux continuels, et une très grande dépense.

Des masses étonnantes qui soutiennent le haut de la pyramide
Je ne sais quel a été le plus content, ou de celui qui perfectionna un si grand ouvrage, ou de celui qui força une entrée, qui paraissait humainement invincible. L'un et l'autre ont quelque chose de singulier. Les Arabes ont là-dessus plusieurs histoires. Ils assurent, que le Roi qui viola ces tombeaux, dans l'espérance d'y trouver de grands trésors, trouva ces paroles dans la salle haute, écrites en lettres d'or sur le mur : II ne reste à l'impie que le déplaisir de l’avoir été sans fruit. Ceux qui n'ont pas vu les pierres prodigieuses, dont ces canaux sont environnés, et surtout couverts, se persuadent, qu'il n'était rien de plus facile que de démolir jusqu'au second canal, d'où, avec un espace un peu plus raisonnable, on aurait pu laisser tomber les pierres qui les bouchaient, et le vider de cette sorte, sans beaucoup de peine ; mais, outre que ces canaux sont faits avec la pierre la plus dure, et de très grands morceaux, ils sont encore bâtis tout autour avec d'autres pierres d'un poids et d'une grosseur énorme.
Les pierres qui le couvrent ont 10 à 12 pieds de longueur, la largeur n'est guère moindre, et l’épaisseur de 8 ou 10. Il y a de plus sur ces pierres d'autres masses étonnantes qui soutiennent le haut de la pyramide, qui n’est en aucun endroit si solidement bâtie qu'ici. Le reste des pierres qui la composent sont à la vérité prodigieuses ; mais elles n'ont rien d'égal à celles-ci. Deux cent huit pierres, il en manque peut-être deux ou trois rangs en haut, font la hauteur de 700 pieds, ou environ. On peut juger par là de la hauteur de chacune. La largeur, et profondeur sont assorties ; et, pour le dire en peu de mots, je suis persuadé qu'un Roi paisible dans son royaume n'a pu, en moins de vingt ans, et qu'avec deux cent millions, et l'aide de cent cinquante mille ouvriers, achever cette pyramide, en supposant qu'elle ne fût couverte que de marbres tirés de l’Égypte vers l’Éthiopie.

Non seulement la pyramide a été fermée ; mais elle l’est encore, par sa véritable entrée
Si l'on fait réflexion à l’état des lieux que je décris, je ne crois pas que personne doute que cette pyramide n'ait été entièrement fermée. Non seulement elle a été fermée ; mais elle l’est encore, par sa véritable entrée. II reste trois pierres et la moitié d'une qui seront à la postérité des témoins irréprochables de ce que j'avance ; et l'on pourra, en levant seulement la moitié, qui reste sur les trois premières, tirer des conséquences sur la manière dont elles auront été descendues de la galerie ; c'est-à-dire qu'on pourra voir, en examinant le derrière de la pierre, s'il y a quelque anneau, à la faveur duquel on l'eût descendue du dedans, ce qui serait une preuve incontestable, que le puits a été la retraite des ouvriers, comme je le crois ; mais, quand je n'aurais par pour moi ce témoignage que ces canaux seraient libres, que la pyramide n'aurait jamais été fermée, je parle de l'entrée de la galerie vide, la pierre de 6 pieds posée, en bâtissant la pyramide dans cet espace cannelé que j'ai décrit, la liberté des canaux qui conduisent au tombeau, qui n'ont pas pu être fermés que par dès pierres enfermées dans la galerie, me seraient des preuves indubitables qu'elle aurait été fermée ; puisque, si cela n'était pas, la galerie serait pleine de pierres qu'on n'aurait pas pris la peine de briser pour la liberté d'une route inutile ; et la pierre de six pieds, qui faisait un secret, boucherait encore l'entrée de la salle, ou au moins elle serait soutenue par quelque autre pierre que l'on aurait mise par dessous, pour ['empêcher de boucher ce passage, ou quelque autre chose la soutiendrait.

Des mémoires qui “serviront au moins à éclaircir les curieux de la postérité”
C'est ainsi que la vérité se rétablit avec le temps ; et ces mémoires, quand ils ne seraient pas entièrement conformes, comme il se peut, serviront au moins à éclaircir les curieux de la postérité qui voudront bien se donner la peine d'examiner ces lieux sur ce que j'en dis.
La pyramide, qui est entièrement découverte, et qui passe pour la plus grande, quoique la seconde ne soit qu'un peu plus étroite, est la plus solidement bâtie. La plus petite des trois l’emporte sur celle qui la sépare de la première. Elles ne sont ouvertes ni l'une, ni l'autre, et ne le seront peut-être jamais, que par l’ordre d'un grand Prince. Peut-être même ne pourra-t-on point les ouvrir sans les démolir ; car pourrait-on aujourd'hui réussir sur la première sans une parfaite connaissance des secrets, qui seront ignorés pour les autres ? Ce qu'on peut assurer est que le principal tombeau est toujours au milieu de la pyramide ; ce qui se connaît par la grande des Momies, qui est ouverte comme celle-ci, et par quelques autres moindres. On sait aussi que les entrées de toutes celles que l’on a découvertes tournent vers le Nord. II est donc probable que les autres ont aussi leur entrée du même côté.

De très grandes pyramides ont été entièrement rasées
Outre les trois grandes pyramides, il y en a aux environs beaucoup d'autres qui seraient considérables, et par leur grosseur, et par leur fabrique, si elles n'étaient obscurcies par celles-là. Les unes ont été souillées, ou ouvertes ; d'autres ne le font pas encore. La dernière des trois grandes en a trois à son Midi, sur une ligne qui va du Levant au Couchant, lesquelles sont encore entières, et qui méritent d'être estimées pour la grandeur des pierres qui les composent. Je crois qu'elles ont été incrustées de marbre granite, au moins les deux, qui sont les plus occidentales. Je le juge par l’inégalité de leur parure, qui n'est pas telle dans les pyramides parfaites. Outre les petites pyramides, il y a mille manières de tombeaux, et mille ruines qui témoignent de grandes démolitions. On voit en certains endroits que de très grandes pyramides ont été entièrement rasées, et d'autres entièrement démolies. Il y en a de carrées, de pierres solides, d'une fabrique admirable. Mille grottes creusées dans la pierre vive nous découvrent d'autres sépulcres. Je les ai presque toutes vues. II y en a beaucoup à l’Orient de la première pyramide, au Midi de cette chaussée de pierres, dont j'ai parlé. II y en a aussi quelques-uns au Nord. Je ne doute pas que les débris de la pyramide n’en couvrent beaucoup d'autres du même côté, dont il y en a sans doute qui n'ont pas été ouvertes. Il y en a aussi plusieurs autour du parement du fossé taillé dans le roc, dont la seconde pyramide est environnée au Nord et à l’Ouest. On y voit plusieurs hiéroglyphes et caractères d'écriture sur l'entrée des tombeaux, et deux inscriptions en grand contre l'escarpement, le premier du côté du Nord, et le second du côté de l’Ouest. II y en a d'autres sur un long tombeau, bâti en carré, avec deux petites entrées. Sur l’une des portes, on voit aussi un relief à la différence des autres hiéroglyphes, qui sont ordinairement enfoncés. La pierre, qui faisait le dessus de l'autre porte, a été enlevée. Il y avait aussi, sans doute, quelques lettres hiéroglyphiques. II n'y en a aucune dans la capacité de la grande pyramide ; tout y est uni.”

Source : Bayerische SaatsBibliothek digital