vendredi 28 décembre 2012

“Il y a beaucoup d’art et de science dans les pyramides de Gizeh et, comparativement, fort peu dans celles de Saccarah, qui leur sont postérieures en date” (Théophile Desdouits - XIXe s.)

Théophile Desdouits (1836-1898) fut un journaliste et essayiste français. Il écrivit notamment dans le journal La Croix.
Son ouvrage Les soirées de Montlhéry, entretiens sur les origines bibliques (2e édition, 1842), met en scène, pour un long dialogue philosophique, M. Bulmont (M.B.) et le capitaine Vermaux, officier d’état-major (M.V.). Ces personnages sont-ils fictifs ou non ? Je n’ai trouvé aucun élément d’information me permettant de le savoir. Il semble par contre évident que les propos relatés traduisent les convictions de l’auteur.
L’extrait de l’ouvrage que l’on lira ici traite bien sûr des pyramides égyptiennes. Théophile Desdouits y commet un grossier contresens archéologique concernant une prétendue antériorité des pyramides de Guizeh sur celles de Saqqarah. Il se lance en outre dans certains développements visant à prouver, à la lumière de la progression ou, au contraire, du “cours retrograde” de sciences et des arts en prenant le Déluge comme ligne de démarcation, que le message biblique est une “autorité à l’abri de toute atteinte”. On le sait, pareil a priori est peu conciliable avec une authentique approche scientifique de l’histoire de la civilisation humaine.


Illustration Thalassa (FR3)
M.B. “...les sciences et les arts ont pu, chez certains peuples, suivre un cours rétrograde depuis l’époque diluvienne ; un point d’arrêt survint dans cette décadence, puis une ère de renouvellement et de progrès, dont les richesses intellectuelles furent la conquête des générations renouvelées, et le fruit de leur propre expérience. Mais longtemps les produits de cette palingénésie morale purent rester inférieurs à ceux de l’époque voisine du déluge.
C’est à cet ordre d’idées et de faits que je crois pouvoir rapporter les résultats suivants.
Les grandes pyramides de Gizeh, si elles sont une œuvre égyptienne, doivent appartenir à une époque excessivement reculée. Le Chéops est attribué par Manéthon au roi Souphis, que, d’après le catalogue d’Ératosthène, je trouve avoir régné quatre à cinq siècles après Menès ; et les découvertes qui résultent des fouilles faites en 1837 semblent avoir confirmé pleinement l’indication de Manéthon.
Or, les pyramides de Gizeh sont incontestablement plus anciennes que les pyramides de Saccarah. Cela résulte de ce fait remarquable que ces dernières, comme tous les monuments égyptiens, sont recouvertes, au moins à l'intérieur, d’inscriptions hiéroglyphiques. tandis que le Chéops en est entièrement dépourvu, et qu’il n’y en avait pas de traces même sur le sarcophage qu’on y a trouvé.

Pas de “hiéroglyphisme monumental” à l’époque de la construction des pyramides de Guizeh
La seule explication qu‘on puisse donner de ce fait consiste à admettre qu’à l’époque où les pyramides de Gizeh furent construites, l’usage de cet hiéroglyphisme monumental n’existait
pas encore, tandis qu’il se trouvait établi lorsqu’on éleva les pyramides de Saccarah. Ces dernières sont donc d’une date plus récente. Or, elles sont néanmoins d’une construction beaucoup plus grossière ; les pyramides de Gizeh, comparées à celles-là, sont un chef-d’œuvre dont les premières restent à une distance infinie ; elles manifestent aussi dans les moyens de travailler la pierre, et dans tous les arts que ce travail suppose, une très grande perfection.
De plus, bien que l’orientation du Chéops ne soit pas précise au point qu’on avait prétendu d’abord, elle l’est néanmoins assez pour qu’on doive l’attribuer à des opérateurs habiles. Il y a donc beaucoup d’art et de science dans les pyramides de Gizeh, et comparativement fort peu dans celles de Saccarah, qui leur sont postérieures en date.
J’explique cela en plaçant entre les deux époques cette ère de décadence que j’ai signalée comme possible. Longtemps, je l’avoue, j’ai douté que les pyramides de Gizeh fussent une œuvre égyptienne, et je les considérais comme des monuments antédiluviens. Cette croyance était fondée principalement sur ces deux motifs que les historiens étaient en désaccord formel sur l’âge, la date, et les constructeurs de ces monuments, et que les pyramides de Gizeh ne présentaient aucune trace de l’art égyptien, c’est-à-dire, de cet hiéroglyphisme qu’on retrouve partout ailleurs, et particulièrement dans les pyramides de Saccarah, que leur style néanmoins semblait rejeter vers une époque beaucoup plus ancienne.

Les découvertes de Vyse
Cette opposition était tellement frappante que les savants se trouvaient réduits à supposer qu’à l’époque de la construction des grandes pyramides, l’écriture hiéroglyphiqne n’existait pas encore. En présence de l’art de Gizeh et de la grossièreté de Saccarah, une telle hypothèse était manifestement absurde. Les découvertes faites en 1837 par le colonel Howard Vyse semblent avoir éclairci la question, et fixé certains points comme incontestables. Les murs des petites chambres qui se succèdent dans la partie supérieure du Chéops ont présenté des peintures en caractères hiéroglyphiques ; mais ces peintures cursives, sans ordre, et souvent renversées, n’appartiennent pas au monument ; on reconnaît que ce sont des dessins faits par les ouvriers dans la carrière, et sur les blocs qu’ils en extrayaient.
De plus, parmi ces dessins, il existe un cartouche qu’on reconnaît pour celui du roi Souphis. ll résulte de ces faits : 1° - que l’écriture hiéroglyphique existait lors de la construction du Chéops ; 2° - que ce monument a été bâti par les Égyptiens ; 3° - qu’il semble l’avoir été sous le règne du roi Souphis. Mais, encore une fois, les constructeurs n’ont appliqué aucune inscription hiéroglyphique ni au monument lui-même, ni au sarcophage qu’il contenait, tandis qu’on en rencontre de telles dans les pyramides de Saccarah.
Le secret de cette opposition se trouve naturellement dans l’hypothèse d’une époque de décadence intermédiaire. Au surplus, je n’attache aucune importance à cette théorie en ce qui concerne les pyramides.


Arche de Noé - Déluge

Confrontation à distance entre historiens

M. V. - Permettez-moi de vous faire observer que les découvertes dont vous venez de faire mention, et qui démontrent que le Chéops est bien l’œuvre du roi Souphis, comme le prétendait Manéthon, malgré Hérodote et Diodore, ne laissent pas que de donner une nouvelle autorité au témoignage du prêtre égyptien. Ceci est encore une pièce à l’appui de cet accord justement vanté entre le témoignage de Manéthon et celui des monuments.
De plus, il résulte de ce que vous venez de m’apprendre que la construction du Chéops, par exemple, remonterait à vingt-cinq siècles pour le moins avant notre ère, même en admettant la réduction que vous avez fait subir aux dynasties de Manéthon. Or, à cette époque, la nation égyptienne était bien jeune... d’après vos chiffres bibliques ; tandis que l’art et la science, qui, selon vous-même, ont présidé à l’érection de ces monuments merveilleux, supposent, à ce qu’il me semble, une haute civilisation. Je comprends, il est vrai, qu’il ne vous sera pas difficile d’échapper à cette conséquence, au moyen de votre système de transmission auquel j’adhère très volontiers.

M. B. - Je réponds à votre première remarque que l’autorité de Manéthon ne gagne rien aux découvertes de 1837, si nous restons au point de vue où nous nous sommes placés. Qu’il existât en Égypte des traditions qui attribuaient la grande pyramide au roi Souphis, que ces traditions aient été acceptées par Manéthon, préférablement à d’autres qui supposaient à ce monument une date plus récente, cela ne prouve pas le moins du monde que Manéthon ait vu bien clair dans l’histoire des premiers siècles de l’Égypte, où il place des dieux et des demi-dieux ; cela ne prouve pas qu’il n’ait pu additionner comme successives des dynasties qui auraient régné simultanément. En un mot, il n’y a pas un seul des faits que j’ai cités, pas un seul de mes arguments, pas une seule de mes conclusions, où il y ait à changer quelque chose, en conséquence du fait qui nous occupe.
Remarquez de plus que les traditions dont je vous parle n’étaient rien moins que mystérieuses ; que Diodore, en attribuant les pyramides à des rois assez récents, d’après le dire de ses maîtres, ajoutait que, selon d’autres autorités, ces monuments appartenaient à une époque beaucoup plus ancienne.
Remarquez aussi qu’il existe auprès du Chéops un tombeau sur lequel on voit aujourd’hui même le cartouche du roi Souphis : que ce monument, Manéthon a pu le voir ; qu’à son époque même il pouvait être très connu et très populaire. Il n’a donc pas fallu une grande érudition à l’historien pour tomber sur la vérité en citant le roi Souphis. Trouvez-vous là quelque chose qui puisse infirmer mes raisonnements et mes conclusions sur la simultanéité de plusieurs dynasties, et sur l’époque où ce roi aurait régné d’après le catalogue d’Ératosthène ?

M. V. - Non, pas absolument, j’en conviens...

La première des grandes pyramides, réminiscence de la tour de Babel

M. B. - Quant à votre seconde objection, vous y avez répondu vous-même. Oui, l’art et la science, si vous voulez, se manifestent à un degré assez haut dans le vingt-cinquième siècle avant notre ère ; mais cette époque est voisine du déluge, et elle a conservé, et peut-être même augmenté quelque peu le dépôt des traditions de l’art et de la science antédiluvienne. Oui, ces pyramides supposent une assez haute et assez ancienne civilisation ; mais cette civilisation est celle des siècles et du monde antédiluviens ; et cet héritage peut se trouver entre les mains d’une nation jeune encore comme l’était en ce temps-là le peuple des premiers Pharaons.
Les hommes qui posèrent les premières assises de la tour de Babel n’étaient certes pas d’ignorants sauvages ; et je soupçonne que la première des grandes pyramides pouvait bien être une réminiscence de cette fameuse tour...
Pour résumer tout ce qui précède, je vous répéterai donc :
1° - Qu’il n’existe aucun monument, aucun chiffre, aucun emblème qui doive faire attribuer à aucun peuple, et aux Égyptiens en particulier, des connaissances incompatibles avec les bornes dans lesquelles la chronologie biblique resserre leur histoire.
2° - Que même en admettant l’existence de ces monuments et de ces emblèmes, et en leur accordant la signification que quelques savants croient y voir, cette hypothèse s’accorde encore très bien avec l’histoire biblique, puisque les connaissances supposées ont pu être transmises aux jeunes nations post-diluviennes, comme héritage de la science du monde antédiluvien.
3° - Que cette transmission de la science des hommes des premiers âges a non seulement pu, mais encore dû se faire par Noé et sa famille. Seulement nous ignorons dans quelle mesure elle s’est faite, et quelles modifications cet héritage a pu subir entre les mains des générations nouvelles.
4° - Enfin, que cet emblématisme et les conclusions qu’en tirent les adversaires que je combats, non seulement ne contredisent point le témoignage de la Bible, mais qu’ils l’appuieraient au contraire d’une façon remarquable, puisque ce n’est que par la transmission de la science antédiluvienne et le renouvellement du genre humain qu’on pourrait expliquer et la science des nations à leur berceau, et leur incontestable ignorance à des époques postérieures.
Encore une fois, je ne crois pas aux emblèmes ; mais vous voyez que, dans tous les cas, l’autorité de notre Genèse est à l’abri de toute atteinte.”

Source : Google livres