mercredi 6 février 2013

“L'architecture égyptienne nous paraît réunir au degré le plus éminent les conditions de durée et de stabilité que les institutions religieuses et politiques de ce peuple avaient en vue” (Sarrazin de Montferrier - XIXe s.)

Pour la commodité du référencement, la citation introduisant cette note a été attribuée au mathématicien Alexandre André Victor Sarrazin de Montferrier (1792-1863). Elle est extraite en réalité du Dictionnaire des sciences mathématiques pures et appliquées (1835), cet ouvrage collectif ayant été réalisé par une société d’anciens élèves de l'École Polytechnique, 1835, sous la direction de Sarrazin de Montferrier.
Deux pages de ce dictionnaire, reproduites ci-dessous, sont consacrées à certaines caractéristiques de l’architecture égyptienne ancienne, cet art de bâtir ayant été appliqué singulièrement dans l’édification des pyramides.
Il ne s’agit, certes, que de généralités. Ces considérations étaient toutefois inspirées par un déficit d’intérêt de la part des “jeunes architectes” et, plus globalement, par la disparité entre un “antique système de construction” et des “mœurs mobiles et frivoles habitudes”.
Noble propos, en effet, qui ne serait sans doute pas déplacé dans un contexte plus moderne...


Illustration extraite de la "Description de l'Egypte"
“L'ordre chronologique donne à l'architecture des Égyptiens la première place dans l'histoire de l'art de bâtir. Il est vrai que la cabane ne peut l'avoir précédée chez cette nation, dont la civilisation est comme la grande aïeule de la nôtre, et dont cependant l'antique sociabilité est demeurée pour nous un impénétrable mystère. Au lieu de forêts, le sol de l'Egypte ne renferme que des carrières qui produisent des pierres faciles à mettre en œuvre. Force a donc été à l'homme de se construire dans ce pays des abris plus solides que la cabane, et de chercher ailleurs que dans la nature les modèles des vastes édifices qu'il y a construits.
Le caractère grave et tout national de l'architecture égyptienne n'a point permis aux peuples modernes d'adopter aucune de ses formes. A l'aspect de ces masses imposantes, mais qui semblent porter l'empreinte d'un système impitoyable de servitude, destiné à enchaîner le passé et l'avenir dans une effrayante immobilité, l'art a dû s'arrêter, comme l'intelligence se perd dans un problème insoluble.

“Des connaissances mécaniques puissantes”

C'est à tort cependant qu'on a dénié à ce système d'architecture des règles théoriques, comme celles dont les ordres grecs offrent l'application. C'est également à tort qu'on l'a considéré comme constatant une absence totale de science, d'invention et de goût. Nous n'en jugeons point ainsi. On tombe dans de semblables erreurs toutes les fois qu'on essaie de séparer les œuvres de l'homme de leur principe intellectuel. Mais si les meilleures lois sont, pour un peuple, celles qu'il peut le mieux supporter, et qui conviennent d'ailleurs à son génie, les plus beaux édifices sont aussi ceux qui, dans leur destination d'utilité, s'harmonisent le mieux avec le climat, les mœurs et les idées générales des peuples où ils sont élevés.
L'architecture égyptienne nous paraît réunir au degré le plus éminent les conditions de durée et de stabilité que les institutions religieuses et politiques de ce peuple avaient en vue. Ses monuments les plus anciens n'offrent aucune différence remarquable avec ceux qu'il a construits dans les derniers temps de sa nationalité; ils ont le même caractère, les mêmes proportions, les mêmes dispositions, et semblent également, dans leur sombre majesté, élevés pour le même but.
Il est donc impossible de ne pas reconnaître dans l'architecture égyptienne une suite de règles plus sévères encore et plus exigeantes que celles dont les Grecs établirent l'usage. Ces règles, dit-on, rendaient du moins tout progrès impossible ; le progrès, tel que nous le concevons, n'entrait point comme élément social dans la législation égyptienne. Elle n'avait pas voulu que les caprices du goût pussent jamais affecter l'ordre religieux et politique qu’elle avait établi ; l’architecture nationale devait donc subir ses prescriptions absolues. Mais sous le rapport de la science, cette architecture suppose des connaissances mécaniques puissantes, et sous ceux de l'invention et du goût, nous ne pouvons l'apprécier sans faire la part du climat, de la religion et des mœurs publiques, dont il lui était ordonné de reproduire partout les symboles respectés.
La connaissance de l'architecture égyptienne ne fait point partie des études auxquelles se livrent les jeunes architectes de nos jours. Sans doute la pratique en grand de cet antique système de construction formerait avec nos mœurs mobiles et nos frivoles habitudes une choquante disparate ; mais quelquefois cependant on en rencontre dans nos cimetières quelques souvenirs incomplets. On dirait que la douleur, commune à l'humanité, et dont le langage est universel, vient rappeler à l'artiste, en présence d'un tombeau, les traditions de l'architecture égyptienne, si puissante sur l'âme, car son caractère grave et mélancolique est aussi empreint de l'idée de l'éternité. (...)


Cimetière du Père-Lachaise (Paris)
“Des connaissances astronomiques déjà avancées”

Les commencements de l'astronomie égyptienne sont demeures cachés dans le mystère qui enveloppait les institutions religieuses, muettes dépositaires de sa civilisation et de son savoir.
On a voulu tirer une conséquence favorable aux connaissances astronomiques des Égyptiens de la direction exacte des faces de leurs pyramides vers les quatre points cardinaux. Certainement le hasard ne peut avoir constamment produit cette disposition remarquable de leurs plus anciens monuments ; mais cependant aucunes des observations égyptiennes ne nous ont été conservées. Il est au contraire historiquement prouvé que les astronomes de l'école d'Alexandrie recoururent aux observations chaldéennes. D'un autre côté, longtemps avant cette époque, Thalès, Pythagore, Eudoxe et Platon étaient venus de la Grèce visiter les prêtres égyptiens, et ils puisèrent dans leurs entretiens les connaissances qu'ils rapportèrent dans leur patrie. D'où vient donc que les monuments et les prêtres de l'Egypte sont demeurés muets pour les savants d'Alexandrie ? C'est là, si l'on peut s'exprimer ainsi, une de ces singularités de l'histoire qui doivent rester à jamais inexplicables, et qu'il faut se borner à faire remarquer.
Manéthon, prêtre égyptien, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, composa, vers l'an 260 avant J.-C, une longue une histoire de son pays pour l'instruction de Ptolémée Philadelphe, fils et successeur de Lagus. Il n'est pas possible de savoir si cet écrivain, en compilant les contes les plus absurdes, et en faisant remonter l'origine de la civilisation égyptienne à une antiquité fabuleuse, répétait des opinions reçues par la caste privilégiée dont il faisait partie, ou s'il voulait tromper sciemment un prince de race étrangère, en lui inspirant du respect pour une nation dont les dieux eux-mêmes avaient gouverné les ancêtres durant une période immense. Quoiqu'on ne puisse tirer aucune induction certaine de tout ce chaos, il est demeuré prouvé, par des monuments et des témoignages non suspects, que l'Egypte, dès une antiquité relative fort reculée, possédait des connaissances astronomiques déjà avancées.”
Source : Google livres