mercredi 10 avril 2013

« La photographie joue un rôle essentiel dans l'étude du plateau de Guizeh » (Rus Gant)


L'interview que l'on lira ci-dessous est au confluent de plusieurs rencontres.
Tout est parti d'une fructueuse collaboration entre les techniciens de Dassault Systèmes et une entité de l'Université de Harvard, The Giza Archives Project, dirigé par Peter Der Manuelian, pour la reconstitutionen 3D du Plateau de Guizeh et l'exploitation de cette technologie à des fins d'enseignement.
Rus Gant est l'un des artisans du Giza Archives Project, en tant que « technology consultant » et « virtual reality designer ».
Keith Payne, webmaster du blog EmHotep, et moi-même avons eu l'opportunité, en mai 2012, d'assister à Boston à la première de Giza 3D. A cette occasion, nous avons pu faire la connaissance de Rus Gant et, déjà, d'esquisser l'interview ci-après. Celle-ci a été finalisée et réalisée récemment par Keith, qui a eu l'amitié de m'y associer virtuellement.
On pourra lire l'interview dans sa version originale ICI.
La traduction en français a été réalisée par Estelle Dennery, de Dassault Systèmes. Je lui renouvelle mon merci le plus cordial pour cette précieuse collaboration.
M.C.

Em Hotep/Pyramidales : Giza 3D est le fruit de la rencontre entre des temps très reculés et la technologie de pointe. Ce que l’on appelle l’« archéologie par satellite » est certainement l’une des plus manières les plus intéressantes d’utiliser la technologie moderne. Quelle est l’importance de cette imagerie satellite dans le projet Giza 3D ?
Rus Gant
Rus Gant : Afin de réaliser notre modèle, nous avons besoin des meilleures photographies aériennes et satellite existantes. Nous avons accès à une très riche collection de photographies satellite de la NASA et provenant d’autres sources, comme ce satellite allemand capable de fournir des vues stéréoscopiques d’ensemble à 50 cm de résolution.

Em Hotep/Pyramidales : Votre imagerie satellite est donc meilleure que celle de Google Earth ?

Rus Gant : Oui, bien meilleure. La résolution est largement supérieure et qui plus est, disponible dans différentes longueurs d’onde – infrarouge, lumière invisible, tout un domaine qui n’est pas accessible avec Google Earth. Outre la photographie satellite, nous avons des photos aériennes et notre base de données de cartes SIG réunissant plus de cent cartes historiques de Gizeh. Et c’est donc à l’aide de toutes ces ressources que nous construisons notre modèle. 



Em Hotep/Pyramidales : En cette ère de la photographie satellite, quelle est l’importance de la photographie aérienne dans la construction de Giza 3D et dans l’étude du plateau de Gizeh en général ?

Rus Gant : La photographie aérienne joue un rôle tout-à-fait essentiel car elle est maintenant utilisée depuis plus d’un siècle. De fait, nous recevons tous les deux ou trois ans une nouvelle photographie aérienne qui nous permet d’observer les fouilles, de voir le plateau changer : les routes apparaissent et disparaissent, et le plateau évolue au fil du temps. La photographie aérienne est vraiment une ressource extraordinaire.

Em Hotep/Pyramidales : Les photographies aériennes tant anciennes que nouvelles sont donc utiles ?

Rus Gant : Tout-à-fait. Nous avons même des photos prises depuis le dirigeable allemand Graf Zeppelin, qui a fait le voyage jusqu’aux pyramides en 1931. Nous possédons des clichés provenant de deux albums réalisés par des passagers qui ont pris des photos tandis que le dirigeable tournait autour des pyramides. Du fait de leur faible résolution, elles ne sont bien sûr pas aussi utiles que d’autres photographies aériennes, dont les meilleures demeurent les prises de vue militaires. Nous utilisons des photos de la RAF, de la Luftwaffe, de l’American Air Force et de l’armée de l’air égyptienne. Pendant la Première Guerre Mondiale, les militaires possédaient d’ailleurs les meilleurs appareils photo, de très grands formats permettant d’obtenir une résolution optimale.

Em Hotep/Pyramidales : Pour vous, quelles sont les parties les plus intéressantes de Giza 3D ?

Rus Gant : La zone de peuplement autour du temple de la vallée de Mykérinos est pour moi l’un des secteurs les plus intéressants, et ce à plusieurs titres. On y trouve notamment certaines des représentations les plus précises de la vie quotidienne dans l'Égypte antique au temps des pyramides.

Em Hotep/Pyramidales : On ne pense généralement pas aux environs d’un temple comme à une zone de peuplement. Comment se fait-il qu’on trouve d’aussi bonnes représentations du quotidien dans le temple de la vallée de Mykérinos ?

George Reisner
Rus Gant : Pendant la majeure partie de son histoire, les prêtres qui étaient affectés à ce temple avaient leurs quartiers d’habitation dans la cour, qui était donc une sorte de dortoir sommaire pour prêtres. Lorsque George Reisner a découvert le temple de la vallée, celui-ci avait quasiment toujours été enterré, si bien que la zone de peuplement n’avait pas été érodée. En dehors du village des constructeurs que Mark Lehner est en train de fouiller et de documenter, la zone de peuplement du temple de la vallée de Mykérinos constitue l’un des meilleurs témoignages d’architecture et offre certaines des informations les plus complètes que nous puissions avoir sur Gizeh. En fait, à certains égards, elle est même mieux préservée que le village de Mark. Et à mesure que Mark reprend les fouilles, il redécouvre les zones du site que Reisner avait naturellement ré-enterrées.
Dans un passage de ses notes, Reisner explique qu’ils ont réenfoui la zone afin de protéger les vestiges du monument et parce que 100 ans plus tard, les techniques de fouilles seraient plus au point, et que l’on y reviendrait. Il avait vu juste : Reisner a terminé ses fouilles en avril 1910, et l’équipe de Mark Lehner y est revenue exactement 100 ans plus tard, en 2010. Lorsque Mark fermera le chantier, il sera prévu qu’une équipe y revienne 100 ans plus tard.

Le Zeppelin survolant les pyramides


Em Hotep/Pyramidales : Le réenfouissement fait-il partie de l’héritage de Reisner ? N’est-ce pas une pratique courante aujourd’hui ?

Rus Gant : Absolument, le remblaiement est un mécanisme de sauvegarde, tout particulièrement utile lorsque nous avons affaire à une architecture de brique en terre crue, et pour tous les matériaux susceptibles de s’éroder, qui sont ainsi protégés contre les éléments. Par ailleurs, il est désormais courant de réserver de 10 à 40 % d’un site en vue de futures fouilles. La norme consiste de plus en plus à ne pas fouiller l’intégralité d’un site et à la place, à prélever des échantillons, trouver les éléments spécifiques que l’on recherche, puis laisser de grandes zones intactes pour les archéologues qui nous succèderont. En ce sens, Reisner était donc plutôt en avance sur son temps avec sa méthodologie – pas seulement par ses techniques d’enregistrement, mais aussi de par sa clairvoyance sur la préservation du site pour les générations futures.

Em Hotep/Pyramidales : Peut-on dire que Reisner était en avance sur son temps sur d’autres plans?

Rus Gant : Oui, par son recours à des équipes pluriscientifiques. En réunissant ces différentes disciplines, il a défini un standard qui sera suivi par la suite : un mélange d’égyptologues et de spécialistes – des experts en poterie et en botanique, des architectes, des artistes… Il a été le premier à constituer une grande équipe de ce type. Et c’est aujourd’hui devenu la norme.