mercredi 28 octobre 2015

Kamal al-Mallakh, le découvreur de la barque de Khéops


Issu d’une famille copte de Haute-Égypte, Kamal al-Mallakh (26 octobre 1918 - 29 octobre 1987) était diplômé en architecture et titulaire d’une maîtrise en égyptologie.
Conjointement à ses travaux de fouilles sur la zone de Giza, où il est intervenu durant quatorze années, il collaborait au journal “Al-Ahram”. Il fut en outre l’un des fondateurs du Festival international du Film du Caire.



Son nom reste attaché à un événement majeur de l’histoire de l’égyptologie : la découverte, en 1954, d’une première barque solaire, au sud de la Grande Pyramide de Giza, ainsi que d’une autre fosse qui, selon lui, devait renfermer une seconde barque.
Tout commence en avril 1950. Kamal al-Mallakh suit attentivement les travaux de construction d’une route, pour le confort des touristes, entre la Grande Pyramide et le Sphinx. Il porte notamment son attention sur un alignement d’une quarantaine de grandes dalles de calcaire de longue portée, découvertes par les ouvriers du chantier. L’archéologue est convaincu qu’elles ne font pas partie des fondations de la pyramide de Khéops, mais qu’elles recouvrent, comme un toit, une fosse dont le contenu reste à découvrir. 


Le 26 mai 1954, avec une petite équipe d’ouvriers, il commence à gratter et élargir progressivement un interstice entre deux dalles plus friables que les autres pour pouvoir y passer la tête, puis le buste. Il perçoit alors une forte odeur de bois de cèdre provenant de la cavité. Serait-il donc sur le point d’aboutir au terme de ses longues recherches et patientes recherches, tel un Carter découvrant les “merveilles” de la tombe de Toutankhamon ?
Le 26 mai, relate-t-il, à midi par une journée torride, j'enfonçai hystériquement mon visage pour voir le bois. D'abord je ne pus rien distinguer à cause du contraste entre la lumière aveuglante du dehors et l'obscurité de l'intérieur. Comme je fermais les yeux pour rassembler mes esprits et me préparais à regarder de nouveau, je perçus l'odeur d'un vague parfum. Alors, je souris. C'était l'odeur d'un étrange composé vieux de 5000 ans. Pour moi c'était le parfum du temps. J'étais certain, à présent, que le bois était encore là. Faisant apporter deux miroirs pour refléter la lumière du soleil, le dieu des anciens Égyptiens, vers l'intérieur, par le trou, je distinguai la barque et son grand gouvernail. Nous savons aujourd'hui que le bois est du cèdre apporté du Liban. Des joints en bois rassemblaient les diverses parties du pont ; on pouvait voir des clous en bois et des joints. J'aperçus aussi un petit joint en cuivre. De plus, on pouvait distinguer une étoffe recouvrant certaines parties du bois.
Le front ensanglanté, Kamal al-Mallakh se retourne vers les membres de sa petite équipe : des larmes de joie coulent sur leurs visages souriants.




La barque, datée de 4.600 ans, est en bois de cèdre. De forme papyriforme, elle est munie de tout son outillage - rames, cordes et cabine - et comprend 1.224 pièces détachées. Elle mesure 43,5 m de long. Sa proue, formée d’un élément vertical papyriforme, s'élève à 5 m et sa poupe à 7 m. Les planches de la coque sont assemblées comme un puzzle, par tenons et mortaises, et solidarisées par des cordes en alfa. “Avec émerveillement, écrit Jean Leclant dans “Orientalia”, vol. 30, on peut voir comment les pièces étaient percées de trous permettant le passage des cordes les fixant les unes aux autres ; les cordes passaient à l’intérieur même du bois et, sauf en de rares cas, elles n’étaient pas visibles de l’extérieur. Le navire était ainsi constitué de pièces ‘cousues’ littéralement les unes aux autres.” Sur le pont, le rouf était peut-être destiné à accueillir momentanément la dépouille du pharaon lors de son transfert, sur le Nil, vers la nécropole de Giza.
Une fonction symbolique est également liée à cette embarcation. “Des savants, écrit Jean Yoyotte dans le “Dictionnaire de la civilisation égyptienne” (Hazan, 2011), ayant suggéré que les barques ainsi enterrées dans la nécropole permettaient au défunt de s’identifier à Rê, on dit couramment les “barques solaires de Giza”. Mais d’autres conjectures sont plausibles : barques pour se promener dans l’autre monde, barques-catafalques perpétuant par leur présence la vertu des rites d’enterrement, barques pour aller se revivifier aux lieux saints… Tous ces genres de bateaux sont en effet connus du rituel funéraire, et, dans l’embarras du choix, mieux vaut pour l’instant parler de ‘la barque de Chéops’.

Conscient de la portée scientifique de sa découverte, Kamal al-Mallakh extrait avec une infinie précaution les multiples pièces du bateau. Ce travail lui prend 20 mois. Puis la tâche est confiée à Hag Ahmed Youssef Moustafa, spécialiste en restauration des antiquités, ainsi qu’à Zaki Iskander et Zaki Nour, de reconstruire l’embarcation, dont la destination finale est un musée construit au pied de la Grande Pyramide, au-dessus de la fosse où elle fut découverte.

La deuxième fosse, identifiée par Kamal al-Mallakh, fait l’objet de recherches en septembre 1987 par une équipe d’archéologues japonais. Elle contient également une barque, très dégradée. Les recherches sont poursuivies en 1992-1993, puis à partir de juin 2011, par l'Université japonaise de Waseda. Compte tenu de son extrême fragilité, cette seconde barque solaire a droit aux mêmes égards, voire plus encore, que la première. Toutefois, contrairement à celle-ci, il n’est pas envisagé, pour l’instant tout au moins, qu’elle fasse l’objet d’une exposition au public.

Plus d’un demi-siècle après leur extraordinaire découverte, l’énigme suscitée par les “barques solaires” demeure. Mais quelle que soit l’interprétation donnée à leur fonction dans les rites funéraires pharaoniques, Kamal al-Mallakh aura, par son intuition et sa détermination, contribué à écrire l’une des plus belles pages de l’égyptologie moderne.

MC

Sources



Jean Leclant, “Orientalia” : Vol. 30, No. 1


"Resurrecting the Pharaoh’s Solar Boat", by Leyland Cecco



Orientalia : Vol. 30, No. 1