samedi 27 mai 2017

“Les pyramides ont sans doute été construites d'après un formulaire pratique résultant d'une longue expérience” (Marcelle Baud - XXe s.)


Extrait de Égypte - Les Guides bleus, Hachette, 1956
Texte de Marcelle Baud (1890-1987), élève diplômée de l’École du Louvre, ex-attachée à l’Institut français d’archéologie du Caire, et Magdelaine Parisot.
Photo datée de 1920. Auteur non mentionné
Les pyramides sont des tombes royales : la certitude en est acquise depuis l'antiquité et les multiples théories contradictoires se renouvelant sans répit qui tendent à méconnaître ce caractère exclusif ne méritent même plus l'examen.
Elles sont toutes sur la rive gauche du Nil, et pour la plupart dans la partie de l'Égypte comprise entre la pointe du Delta et Fayoum. Il ne semble pas qu’on ait construit des pyramides après l'invasion des Pasteurs. Abandonné depuis lors en Égypte, ce mode de sépulture fut repris de long siècles après, par les rois éthiopiens de Nouri et du gebel Barkal, et ceux de Méroé, mais subit une déformation et constitua un type nouveau que nous n’avons pas à examiner ici.
Les pyramides (arabe, el-haram) avaient chacune leur nom, formé du nom royal de leur possesseur et d'une courte formule attributive. On connaît les noms de 24 pyramides environ (...).


Des agrandissements successifs d'un noyau initial
Les pyramides n’ont pas été construites à vue d'oeil et sans aucun plan, mais sans doute d'après un formulaire pratique résultant d'une longue expérience.
Les proportions en étaient établies à l'aide de calculs dont on a pu se faire idée par le papyrus mathématique du musée Britannique. Des considérations tirées de la comparaison des formes dans certaines pyramides induisirent Lepsius, et d’autres à sa suite, à supposer que ces monuments n'avaient pas été bâtis d’une seule venue, mais résultaient des agrandissements successifs d'un noyau initial.
Les pyramides étaient, sauf les plus anciennes, bâties sur plan carré et orientées avec exactitude. Elles étaient assises de préférence sur un sol rocheux, à l'abri de l'inondation. Les accidents du terrain ne rebutaient pas le constructeur, qui savait en tirer le meilleur parti. Quand les pyramides n'ont qu’une chambre, cette chambre est toujours excavée dans le roc. Dans le cas contraire, l'une est dans le sous-sol, tandis que l'autre ou les autres s'abritent dans le noyau construit. L'aménagement de la chambre souterraine comporte des éléments rapportés : les dalles de granit et les revêtements des parois.

Le noyau de la pyramide est tantôt en pierre, tantôt en briques crues, monté au moyen du plan incliné. Le revêtement (calcaire ou granit) était fait dans le sens inverse, c'est-à-dire de haut en bas ; au fur et à mesure qu'une assise était terminée, on abaissait d'autant le plan incliné.
Les couloirs, partie excavés, partie bâtis dans le noyau, étaient séparés de la chambre par une fermeture à herse, formée d'une ou de plusieurs dalles de granit glissant verticalement dans des coulisses. L’orifice extérieur était également fermé par un système de herse qui pouvait varier d’une pyramide à l'autre. Quoi qu'il en soit, cette dalle était elle-même recouverte après coup par le revêtement. Quant aux questions que soulève l’aspect extérieur de la pyramide complètement revêtue, nous les négligeons résolument ; aucune des données fournies par Hérodote et les écrivains arabes n'étant acceptable dans sa forme.

Histoire des pyramides de Guizèh
Le récit d'Hérodote (II, 121-136), le plus ancien que l'on possède sur les pyramides de Guizeh, peut se résumer ainsi : Khéops, constructeur de la première pyramide, infligea l'obligation de la corvée à son peuple. Cent mille travailleurs se relayèrent tous les trois mois pour exploiter les carrières de la chaîne arabique (Tourah et Maasarah), pour transporter les blocs à pied d'oeuvre, construire la chaussée, travail qui dura dix ans, et enfin la pyramide elle-même, travail qui dura vingt ans. On l'éleva degré par degré au moyen de machines formées de “petites pièces de bois” qui étaient en nombre égal aux gradins ou que l'on montait au fur et à mesure. Khéphren ne fit qu'imiter son père : sa pyramide différait toutefois de la première, outre ses dimensions un peu réduites, en ce qu'elle avait un premier degré en marbre d’Éthiopie (lisez granit), et que son sous-sol n’était pas envahi par l'eau du Nil.
À l’inverse de ses prédécesseurs, qui avaient fermé les temples, Mykérinos fut un homme pieux. Sa pyramide coûta moins de peine à son peuple que les précédentes. Elle était revêtue, à moitié, de pierres d'Éthiopie. Quelques Grecs attribuèrent plus tard de ce monument à la courtisane Rhodope, contemporaine d'Amasis, attribution contre laquelle s'élève Hérodote. Toujours est-il que Mykérinos put, après mort, jouir de sa sépulture, tandis que Khéops et Khéphren en furent privés par le peuple indigné des mauvais traitements qu’ils lui avaient infligés. Ajoutons qu’Hérodote mentionne sur le revêtement de la grande pyramide une inscription relative au payement en nature des ouvriers.
À quelques variantes près, Diodore ne fait que reproduire ce récit. Selon lui, Mykérinos mourut avant l'achèvement de sa pyramide, bien que celle-ci soit décrite comme terminée ; la moitié inférieure de son revêtement était en pierre noire semblable à la pierre thébaïque. Le monument, d'un travail soigné, portait sur sa face septentrionale le nom du roi. Strabon ne parle pas longuement des pyramides, mais donne un détail intéressant gui a beaucoup attiré l'attention des modernes, en ces derniers temps : la grande pyramide était fermée par une pierre mobile.
La seule notion à retenir du passage de Pline est celle des auteurs qui traitèrent des pyramides : c'étaient, outre Hérodote, Evhémère, Douris de Samos, Aristagoras, Dionysius, Artémidore, Alexandre Polyhistor, Butorides, Antisthènes, Démétrius, Démotélès, Apion.

D'un seul jet
La tradition classique, puisée à une source qui ne remonte pas au-delà du Ve s. av. J.-C., nous apprend que les pyramides de Guizèh furent construites d'un seul jet. Selon le Dr Borchardt, la pyramide de Khéops porte au contraire la trace de trois états successifs. Le premier projet n'avait prévu qu'une seule chambre creusée dans le rocher : il aurait été modifié avant son complet achèvement, et sensiblement agrandi ; on aurait alors aménagé dans l'épaisseur de la maçonnerie une seconde chambre ; mais ce deuxième plan, ne répondant pas davan,tage à la magnificence de Khéops, on décida un nouvel agrandissement et c'est à ce dernier projet que l'on doit la grande galerie et la vraie chambre du tombeau. Enfin, les derniers travaux sur les pyramides (M. J.-P. Lauer), ont révélé que les quatre blocs d'angle du dernier état étaient littéralement encastrés dans le radier de façon à maintenir une parfaite cohésion de la base.
La deuxième pyramide a conservé la trace de deux états, dus également à un changement de plan opéré en pleine période de construction. La troisième pyramide, agrandie aussi (de huit fois son volume primitif, selon Borchard) pendant le règne de Mykérinos, fut restaurée sous les rois saïtes. Une nouvelle chambre fut creusée, plus basse et à l'ouest de l'ancienne. Cette restauration avait été motivée par une violation au cours des troubles de la XXe dynastie, époque qui fut aussi fatale à un grand nombre de tombes thébaines. Fl. Petrie fait remonter la violation de la nécropole memphite à la fin de l'Ancien Empire, c'est-à-dire pendant les années stériles en monuments qui s'étendent de la VIe à la Xe dynastie. Quelle qu'en soit l'époque, nous pensons que cette violation est antérieure au voyage d'Hérodote. Quand il visita l'Égypte, on connaissait plus ou moins l'économie intérieure des pyramides. Les momies de Khéops et de Khéphren n’étaient probablement plus dans leurs sarcophages : la légende populaire de l’impiété de ces deux rois n’est née que du besoin d’expliquer le vide des deux tombeaux.

Quoi qu'il en soit, les pyramides conservèrent leur revêtement à peu près pendant toute l'antiquité et le Moyen Âge. On avait cessé, dès l'époque chrétienne, de les considérer comme des tombeaux. Les écrits byzantins (...) les donnent en se fondant sur une fausse étymologie (froment), comme d'anciens greniers royaux, et cette fausse attribution persiste jusqu'à la fin du XIVe s. “Quand nous fusmes venus à iceux greniers” écrivait en 1395 le pèlerin Simon de Sarrebruche. Mais, comme ces greniers pouvaient receler des trésors, la première pensée des Arabes fut d'y pénétrer. C'est ce que fit le calife Al-Mamoûn qui, arrêté dans l'exploration de la grande pyramide par le bloc de clôture placé à la bifurcation du couloir ascendant, tourna ce bloc et arriva jusqu'à la chambre du sarcophage. On raconte qu'il trouva un cercueil, renseignement qui, s'il n’est pas exact, n'est pas nécessairement en contradiction avec la thèse moderne de la spoliation des tombeaux, puisque les anciens tombeaux, nous le savons aujourd'hui, furent ultérieurement utilisés comme de véritables dépôts de momies. On s'attaqua ensuite aux revêtements. Ils fournissaient des blocs d’une exploitation facile pour la construction des monuments dont les sultans couvrirent leur capitale. Le même Simon de Sarrebruche vit les degrés de pyramide “à moitié descouverts” et des ouvriers occupés à faire rouler de haut en bas les pierres “qui font la couverture”. Le produit de cette dévastation allait pour les deux tiers aux constructions du sultan et pour un tiers aux maçons. On estime, d'après les récits des écrivains arabes et des voyageurs, que la 3e pyramide entamée dans le cours du XVe s. avait entièrement perdu son revêtement au siècle suivant, et que la 2e, plus longtemps épargnée, puisque son revêtement existait encore en très grande partie lors du voyage de Greaves en 1638, le perdit entre cette époque et l’arrivée de l'Expédition française.

Sur cette auteure, un autre "morceau choisi" dans l'Égypte entre guillemets :

Les caractères du dessin égyptien, par Marcelle Baud